Analyse UFAPEC Décembre 2023 par B. Loriers

17.23/ Nos cours de récréation : entre sécurité et prise de risque nécessaire ?

Introduction

Les risques encourus par les élèves dans les cours de récréation dans l’enseignement fondamental sont source d’inquiétude pour des parents et associations de parents que l’UFAPEC rencontre. Notons que ce ne sont pas les écoles elles-mêmes qui génèrent ces dangers. Elles agencent et entretiennent leur cour afin de limiter les accidents : tout espace extérieur, comme les cours de récréation, comporte en lui-même des risques.

Ce climat d’inquiétude des parents serait à mettre en lien avec l’évolution sécuritaire de notre société, où la volonté de prévenir les accidents occupe une place importante pour de nombreux adultes. En lien avec ce besoin de prévention, nous nous demanderons ce qu’est une surveillance adéquate ? Il en va du droit pour l’élève de grandir dans un environnement sécurisé, tout en lui laissant un espace de  liberté (dont un enfant a besoin) pour se développer. Mais il en va aussi du droit de l’école de pouvoir remplir sa mission éducative, sans avoir à se justifier en permanence devant des peurs excessives de parents.

L’enjeu que nous envisageons dans cette analyse est l’équilibre à trouver entre la responsabilité des adultes de protéger les enfants (protection perçue parfois comme de la surprotection) et le besoin nécessaire d’espace de liberté pour l’enfant afin de se construire et prendre confiance en lui.

Sécurité optimale dans la cour de récréation

Les élèves ont droit à un environnement sécurisé au sein de l’institution scolaire et chaque école se doit de respecter, entre autres le code du droit économique, qui précise la notion de produit ou service sûr. Il est nécessaire que ce produit ou ce service ne présente aucun risque ou seulement des risques réduits compatibles avec l’utilisation du produit ou avec la prestation de service et considérés comme acceptables, dans le respect d’un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité[1]. Carine Renard, experte en règlementation des aires de jeu au sein du SPF économie, explique que les professionnels qui aménagent un espace doivent évaluer l’enjeu éducatif et la prise de risque. La législation ne permet que les risques acceptables. La valeur ludique et les opportunités de jeux doivent se trouver en proportion du risque[2].

Dans le « Guide pratique relatif à la prévention et gestion des violences en milieu scolaire » publié par la fédération Wallonie-Bruxelles, on peut lire que l’école a le devoir de préserver la sécurité et l’intégrité tant physique que morale et psychique des enfants qui lui sont confiés[3].

Une surveillance adéquate s’inscrit dans une relation avec l’adulte qui connait l’enfant et sa capacité à prendre des risques. Xavier Goossens, conseiller pédagogique à l’ONE, explique qu’il est essentiel de connaître les spécificités des enfants à encadrer[4]. Mais qu’en est-il quand des dizaines d’élèves jouent dans la cour et que les encadrants sont en nombre insuffisant ? Il est donc nécessaire de réfléchir au nombre d’encadrants par rapport au nombre d’enfants, en fonction de leur âge. Nous entendons l’inquiétude des parents et associations de parents concernant ce nombre de surveillants, notamment pour le temps de midi.

Outre le nombre de surveillants, l’UFAPEC fait le constat que ces adultes engagés sous statut ALE, article 60 ou émargeant du CPAS, sont des personnes remises au travail qui n’ont pas toujours de formation éducative et qui restent parfois un court laps de temps dans l’école. Elles ont la responsabilité d’enfants, avec des enjeux éducatifs parfois complexes à gérer, et doivent pouvoir bénéficier d’une formation adéquate à cet effet[5]. Rappelons qu’actuellement, les temps de midi ne sont pas considérés comme du temps scolaire et sont payants dans certaines écoles. Pour l’UFAPEC, il importe que ce temps fasse bien partie de la journée scolaire. Abordé de manière éducative, ce temps a en effet toute sa place à l’école[6].

Les enfants et la prise de risque

Notre réflexion confronte ce droit à la sécurité optimale au sein de l’école avec l’attirance des enfants pour le jeu risqué. Des études[7] montrent qu’ils en ont besoin pour se développer, y compris à l’école où ils passent une bonne part de leur temps. A contrario, le risque zéro entraînerait des conséquences négatives car il entraverait le développement de l’enfant en limitant les occasions d’apprendre, d’expérimenter et de devenir autonome. Pour Boris Jidovtsseff, professeur à la faculté de médecine de l’ULiège, les enfants se familiarisent avec l’environnement à travers leurs expériences, découvrent ce qui est dangereux et apprennent à gérer les risques encourus. Les enfants qui s’engagent dans les jeux stimulants améliorent leurs compétences motrices et leur orientation spatiale. Laisser la possibilité à l’enfant de s’engager dans des jeux à risques aura un effet bénéfique sur la maitrise des dangers qu’il aura à affronter, aussi bien durant l’enfance que plus tard en tant qu’adulte, notamment en situation d’urgence[8].

D’une part, lorsque l’enfant touche ou attrape quelque chose, observe le monde, son cerveau se construit petit à petit. Pour la pédagogue Céline Alvarez, il est essentiel que nous, adultes, n’entravions pas systématiquement ce besoin constructeur en le réfrénant pour notre confort ou la sécurité de l’enfant (ne touche pas à ça, reste là, assieds-toi, attends-moi…). Lorsque nous faisons cela, ce n’est pas l’enfant que nous contraignons, mais son intelligence en train de se construire[9]. D’autre part, si l’enfant est surprotégé, il peut avoir une représentation d’une société sans danger ni défi, ce qui correspond rarement à la réalité du monde extérieur[10].

Une surveillance adéquate serait-elle synonyme d’équilibre entre le désir de l’enfant d’agir de manière responsable et une surveillance réelle mais discrète ? Une surveillance constante serait un frein au développement personnel. Pour développer leur imaginaire, prendre des initiatives, inventer des jeux et des mises en scène, beaucoup d’enfants ont besoin d’être en dehors du regard et de l’attention de l’adulte. En d’autres mots, leur potentiel de créativité et d’imagination sera limité si l’adulte intervient dans la situation, même par sa simple présence constante, vécue par les enfants comme inhibante[11].

Des représentations variées du risque

Le concept de risque varie d’une société à une autre, mais aussi d’une période de l’histoire à une autre. Il existe en effet une influence culturelle forte sur les pratiques et les représentations en ce qui concerne la prise de risques. Par exemple, une analyse des normes de sécurité montre une politique sécuritaire plus stricte dans les pays anglo-saxons, par peur d’un litige. A l’inverse, les Norvégien(ne)s reconnaissent les bienfaits des jeux risqués à l’extérieur pour les enfants et encouragent leur pratique. En Australie, certains parents se plaignent du manque d’opportunité de jeux stimulants en raison de normes de sécurité trop strictes[12].

Outre ces influences culturelles, nous observons que les expériences personnelles des membres de l’équipe éducative influencent leurs représentations, leurs croyances sur les bénéfices de la prise de risque. Un directeur d’école fondamentale nous explique : nous avons différentes personnalités parmi les surveillants. L’un sera stressé et évitera qu'il y ait un seul problème dont il pourrait être responsable ; un autre surveillant fera (trop ?) confiance aux enfants, ou un autre encore observera avec discrétion et agira quand c'est nécessaire… Les expériences de chaque encadrant auront un impact sur leurs relations avec les élèves[13].

Le vécu et les expériences individuelles des parents influencent également leur propre perception du danger et les équipes pédagogiques font parfois face aux plaintes de parents hyper-protecteurs qui voudraient pouvoir tout contrôler.

En dehors du vécu personnel des adultes, les sensibilités au risque varient aussi selon la position occupée dans l’école. L’institution scolaire et l’association de parents auront un point de vue collectif, englobant la sécurité du groupe d’élèves, point de vue qui va parfois différer du point de vue individuel du parent, qui pensera peut-être d’abord uniquement au bien-être et au développement de son enfant.

Les risques relationnels

Au-delà de l’aspect matériel, les cours de récréation permettent à l’enfant d’être acteur de sa socialisation. Ces moments de récréation sont avant tout des moments de rencontre et de construction de liens, parfois d'amitiés. Les enfants partagent leur jeu, leur découverte, leur créativité[14]. Mais ces relations entre élèves peuvent aussi se révéler « risquées », notamment dans les rapports de domination qui peuvent s’y jouer. Or, pour être sereins et ouverts aux apprentissages, pour expérimenter le vivre ensemble, les élèves ont besoin de se sentir en sécurité à l’école, particulièrement dans leurs relations avec leurs pairs. L’institution scolaire a pour mission d’assurer cette sécurité via des règles de vie claires, afin de prévenir et traiter toutes formes de violence. Pour l’UFAPEC, ces adultes ont la responsabilité d’enfants, avec des enjeux éducatifs parfois complexes à gérer, et doivent pouvoir bénéficier d’une formation adéquate à cet effet[15].

Pistes

  • Une surveillance adéquate

La surveillance de la cour de récréation peut être un véritable défi pour les adultes qui remplissent cette mission, défi amplifié par cette constatation : les enfants aiment échapper aux regards des adultes ! Pour le sociologue Daniel Gayet, la cour est un lieu d’apprentissage de la gestion des contradictions entre les demandes de l’adulte et celles des copains. Ce qui explique la stratégie d’évitement de la surveillance des enseignants[16].

Réfléchir à une surveillance adéquate et appropriée est donc une piste que de nombreuses équipes explorent. Quels sont donc les éléments qui pourraient rendre une surveillance adéquate ?

Il s’agit avant tout pour l’équipe de repérer les risques propres à sa cour de récréation : inspection visuelle régulière de toutes les zones, des toilettes et des coins cachés, afin de détecter le matériel détérioré, le bris de verre, le vandalisme éventuel…

Il s’agit aussi clarifier le règlement d’usage en équipe, pourquoi pas sous forme de charte[17] Faut-il impliquer les élèves dans l’élaboration de ces règles ? Les expériences rencontrées au sein des écoles nous démontrent que ces lois sont mieux comprises et intégrées par les élèves s’ils participent à leur rédaction. Impliquer les enfants et les rendre acteurs dans le processus d'évaluation des risques et dans la gestion de la cour de récréation est une piste intéressante et particulièrement éducative[18]. Une analyse globale de la cour de récréation permet de prendre en compte le point de vue des enfants, utilisateurs et premiers concernés, pour en faire des acteurs de leur propre espace et de leur sécurité. Leurs avis peuvent être différents de ceux des adultes et permettent de déterminer collectivement les atouts de la cour de récréation existante ainsi que les besoins d’amélioration ou de changement.

  • Un partenariat avec tous les acteurs

Afin que les enfants puissent trouver un espace de réel ressourcement et de bien-être, l’UFAPEC demande que les espaces de récréation soient pensés et aménagés dans chaque école, ceci dans le cadre des travaux du conseil de participation, et que chaque enfant ait l’espace qui lui convient pour se ressourcer, se détendre et se défouler[19]. Certaines associations de parents prennent aussi le temps de réfléchir à l’agencement de la cour de récréation, à son usage et à son entretien. Les adultes, équipe pédagogique et parents, peuvent encourager les enfants à jouer en respectant les autres élèves et les règles de sécurité. Dans ce sens, certaines écoles organisent un parrainage des plus petits par les plus grands. D’autres mettent aussi en place des élèves médiateurs…

La communication entre l’équipe éducative et les parents est essentielle et permet de déceler les attentes et les craintes des parents et de l’équipe, afin de trouver un équilibre entre les législations sécuritaires et les bénéfices développementaux qu’apportent les jeux comportant un certain risque. Différents canaux peuvent être utilisés pour recevoir les avis des parents : réunions de l’association de parents et du conseil de participation, sondages, débats, soirées rencontres, boite à idées…

  • Des aménagements réfléchis

Enfin, dans la réflexion pour un aménagement optimal de la cour, les tranches d’âges peuvent être prises en compte pour assurer la sécurité et le confort des plus jeunes. Ainsi, de nombreuses écoles prévoient une cour différente ou un espace sécurisé avec des modules adaptés aux élèves de l’enseignement maternel.

L’école, rappelle l’UFAPEC dans une précédente analyse, est un lieu de socialisation, d’intégration sociale, de construction de l’identité de l’élève, d’épanouissement, et de formation des citoyens et citoyennes de demain[20].  Dans ce contexte, l’aménagement peut aussi prévoir des endroits destinés au football, d’autres lieux pouvant être réservés au calme... Ces périmètres délimités permettent de réduire les risques d’accidents et de conflits entre élèves et chacun devrait pouvoir s’y sentir à l’aise grâce à une organisation de l’espace.

Conclusion

Les élèves ont droit à un environnement et à un matériel sûrs dans leur cour de récréation, à une protection élevée pour leur santé et leur sécurité et nous observons d’ailleurs le soin que de nombreuses écoles apportent à cette sécurité. Cette sécurité va dépendre d’une inspection régulière du matériel, mais aussi d’une surveillance réfléchie : repérer les dangers, établir des normes d’usage claires avec tous les acteurs de l’école, pour trouver un équilibre entre des règles qui assurent une sécurité optimale et les bénéfices comportementaux d’un jeu stimulant.

Ces bénéfices sont reconnus par de nombreux chercheurs, qui se rejoignent sur le fait que le risque acceptable que l’enfant expérimente dans la cour de récréation est nécessaire à son développement. En effet, cette menace mesurée lui donne confiance en lui, améliore ses conditions physiques, renforce la résilience émotionnelle. Le risque acceptable apprend à l’enfant à évaluer le danger et à prendre des décisions éclairées.

Nous avons vu que la notion de risque est variable, car elle dépend de l’époque, de l’histoire (notre société actuelle plonge les personnes dans une grande peur du risque), de l’endroit (influences culturelles) et du vécu des personnes (chacun son ressenti en fonction de son vécu et de son rôle). Mais malgré la sensibilité propre à chacun face au risque, chaque adulte doit pouvoir faire respecter les règles, rédigées si possible par tous les acteurs de l’école. Ces règles d’usage de la cour de récréation devraient valoir pour tous à tout moment, de manière cohérente.

Enfin, En dehors de l’aspect matériel, la cour de récréation est un lieu de socialisation où les élèves, parfois, s’exercent à des rapports de domination. L’institution scolaire a parmi ses nombreuses missions celle de promouvoir le vivre ensemble, et parallèlement à cela la mission de prévenir et gérer les conflits qui peuvent exister entre les élèves. Cependant, nos écoles fonctionnent avec les moyens disponibles qui se révèlent trop souvent insuffisants, notamment en ce qui concerne le nombre d’encadrants (en fonction du nombre d’enfants) et leur formation. Nous avons pointé particulièrement les temps de midi, qui jusqu’à maintenant ne sont pas considérés comme du temps scolaire. Pourtant, les moments passés dans la cour de récréation à ce moment-là ne sont-ils pas aussi des occasions d’apprendre ? N’est-il pas nécessaire que ces temps de midi soient considérés comme faisant bien partie de la journée scolaire, nécessitant, comme tout temps passé dans la cour de récréation, des accompagnants suffisamment formés ?

 

Bénédicte Loriers

 


[1] Code du droit économique, Livre IX : sécurité des produits et services : LOI - WET (fgov.be)

[2] Intervention lors du colloque : Cour de récréation : comment oser le risque sans danger ?, organisé par Good Planet, Bruxelles, 24 mars 2023.

[3] Guide pratique relatif à la prévention et gestion des violences en milieu scolaire, 2013, p. 162. https://www.ufapec.be/nos-analyses/brochure-violences-scolaires.html

[4] Intervention lors du colloque : Cour de récréation : comment oser le risque sans danger ?, organisé par Good Planet, Bruxelles, 24 mars 2023.

[7] JIDOVTSEFF Boris, Perception de l’investissement de l’espace extérieur par les enfants et les jeunes, Université de Liège, janvier 2020 : https://www.one.be/fileadmin/user_upload/siteone/PRO/Recherches/RAPPORT-final-09-03-20-version-finale.pdf

[8] JIDOVTSEFF Boris, ibidem, p. 29.

[9] ALVAREZ Céline, Les lois naturelles de l’enfant, éditions des Arènes, Paris, 2016, p. 43.

[10] LORIERS Bénédicte, Les conséquences de la surprotection parentale sur l’enfant et sur le vivre ensemble à l’école, analyse UFAPEC 2022 : https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2022/UFAPEC_2422-Surprotection.pdf

[11] Mômes en santé, la santé en collectivité pour les enfants de 3 à 18 ans : https://www.one.be/fileadmin/user_upload/siteone/PRO/Brochures/Momes_en_sante_2017.pdf Brochure ONE, édition 2017, p. 25.

[12] JIDOVTSEFF Boris, Perception de l’investissement de l’espace extérieur, ibidem, p. 32.

[13] Témoignage d’un directeur d’école fondamentale recueilli le 21 novembre 2023.

[14] SCHMIDT JPh, Une cour de récréation réinventée, terreau d’un nouveau vivre ensemble ?, analyse UFAPEC 2016, n°20 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/2016-cours-ecole.html

[16] GAYET Daniel, L’élève, côté cour, côté classe. Paris, INRP, 2003, pp. 22-23.

[17] En exemple, l’asbl Educa Santé propose des fiches-outils pour promouvoir la sécurité dans la cour de récréation : observer la situation et les éléments à améliorer, analyser les risques, prendre des mesures préventives... : Promotion de la sécurité et prévention des traumatismes, 2020, Educa Ssanté asbl : https://www.educasante.org/wp-content/uploads/2020/05/FP2-Promouvoir-la-securite-et-prevenir-les-traumatismes-dans-la-cour-de-recreation.pdf

[18] LORIERS Bénédicte, L’école doit-elle construire sa loi avec les élèves ? analyse UFAPEC 2020 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1720-construire-loi-eleves.html

[20] CLAES Manon, Cour de récréation, une place égale pour les filles et les garçons ? analyse UFAPEC 2018 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/0918-cours-de-recre-entre-filles-garcons.htm

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