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Ados 2.0 : génération mutante, info en rade ?
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17.25/ Ados 2.0 : génération mutante, info en rade ?
Introduction
Les débats autour des jeunes et des écrans sont vifs et au cœur des préoccupations parentales. Des craintes sont exprimées au sujet de la santé mentale, la socialisation et le développement cognitif des jeunes. Dans ce contexte, parents et associations de parents d’élèves sollicitent l’UFAPEC pour organiser des soirées d’échange et d’information sur le sujet. Comment accompagner mon enfant dans son utilisation d’internet et des réseaux sociaux ? Dans une société digitalisée, comment réguler les usages ? Comment prévenir sans interdire purement et simplement ?
Nous venons de consacrer une analyse à la question des influenceurs jeunesse.[1] Nous abordons à présent la question des sources d’information et d’actualité des jeunes, et plus particulièrement ceux de 12 à 18 ans, en âge d’être dans l’enseignement secondaire et d’avoir un smartphone. Il s’agit là d’un autre enjeu essentiel de l’éducation aux médias et au numérique, qui concerne autant l’école que les parents.
À l’ère des GAFAM[2] ou géants du numérique, les jeunes, les digital native, s’informent en premier lieu via les plateformes, réputées pour proposer avant tout du divertissement. Cela pose plusieurs questions de société : les jeunes s’intéressent-ils encore à l’information et à l’actualité ? Si oui, comment, sur quels sujets et avec quel contrôle des sources ? Faut-il s’inquiéter d’un nouveau rapport à l’information ? Quel impact ces nouvelles pratiques informationnelles juvéniles ont??'elles sur le rapport au monde, la relation avec les adultes, l’esprit critique et la citoyenneté ? Enfin, face à ces évolutions, quelle éducation au numérique et aux médias mettre en place ?
Précisons que l’intelligence artificielle est une question à traiter à part entière et de façon spécifique. D’autres publications y seront consacrées prochainement.
Les ados et l’info
Dans cette analyse, nous utiliserons invariablement les termes information[3] et actualité[4]. Et, même si une évolution significative s’opère inévitablement avec le développement du numérique, nous désignerons par médias traditionnels, la presse écrite, la radio et la télévision qui sont des médias de masse, adressés à une large audience, généralement composée d’individus ou de groupes isolés, anonymes, répartis sur un territoire plus ou moins vaste et sans possibilité de réponse immédiate.[5]
Chacun peut le constater, les points presse diminuent peu à peu, la presse écrite en format papier est en chute libre. La radio et la télévision sont aussi moins prisées des jeunes. Lire, écouter ou regarder le journal au salon sont des activités familiales en recul alors que des jeunes streamers comme Hugo Décrypte seraient suivis en nombre par les moins de 35 ans.[6]
Deux enquêtes récentes menées par Média Animation[7] en collaboration avec le CSEM (conseil supérieur de l’éducation aux médias)[8] nous donnent pour la première fois des informations objectives avec des tendances chiffrées sur les pratiques des jeunes en matière d’usages numériques et notamment d’information en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB).[9]
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Sujets d’information
Les jeunes du secondaire, représentatifs de la période adolescente, déclarent s’intéresser avant tout aux informations liées à une de leurs passions ou à la culture : les sorties musicales et vidéoludiques, le sport, l’actu people, les séries populaires du moment… En revanche, les sujets associés plus traditionnellement à l’actualité tels que la politique ou les nouvelles locales suscitent beaucoup moins d’engouement de leur part.[10]
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Sources d’information
En 2020, les adolescents s’informent d’abord via les réseaux sociaux (52 %), l’entourage (16 %), la télévision (15 %), les sites web (14 %), la radio (3 %), mais pas via la presse écrite papier (0 %).[11]
En 2024, la question a été posée différemment : « À quelle fréquence utilises-tu les sources ci-dessous pour t’informer ? ». Les réponses par ordre décroissant sont :
- les réseaux sociaux et les conversations avec l’entourage (la famille ou les amis) pour plus de 50 %.
- Les moteurs de recherche en ligne, comme Google, ainsi que les émissions et documentaires diffusés à la télévision ou sur les plateformes de streaming.
- Et, fait inattendu, le journal télévisé que 53 % des jeunes déclarent encore regarder, dont 18 % quotidiennement.[12]
Notons encore que les plateformes privilégiées par les jeunes pour s’informer sont Instagram, Tik Tok et YouTube.[13]
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Formats d’information
La vidéo et l’image sont ce que les jeunes préfèrent pour s’informer (73 %). On parle d’ailleurs d’informations incarnées. Viennent ensuite le texte écrit en ligne (14 %), le son (8 %), le texte écrit sur papier (5 %).[14]
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Degré d’engagement face à la recherche d’information
Les ados semblent s’informer principalement de façon passive. Trois quarts déclarent que les infos viennent plutôt à eux sur les réseaux sociaux ou qu’ils en en entendent parler autour d’eux.[15]

- Pour t’informer un peu, tu ne regarderais pas le JT avec moi ? Ou tu pourrais lire une revue !
- Je regarde mes stories.
Si ça m'intéresse vraiment, je cherche ou j’en parle avec les potes et même parfois avec toi, mon Papou !
Apathie, crédulité et individualisme
Selon certains, les jeunes seraient nettement moins informés, moins curieux et moins critiques. Ce point de vue est clairement décrit dans l’ouvrage Génération Internet[16] de Jean M. Twenge, professeure et chercheuse en psychologie aux USA.
La chercheuse, qui étudie les différences générationnelles depuis longtemps, a analysé quatre études menées depuis les années 60 auprès des jeunes Américains. Elle a complété son analyse par de nombreux entretiens. Elle arrive à identifier des attitudes nouvelles et alarmantes en lien avec un usage excessif des écrans. Par cet ouvrage, elle alerte sur le danger de ceux-ci qui rendraient les jeunes immatures et déprimés.
Jean M. Twenge a également consacré quelques pages de son ouvrage à la question de l’information qu’elle semble plutôt associer à l’actualité nationale et politique. Ses recherches la conduisent à affirmer que les IGens (Internet Génération) :
- ne sont pas vraiment accros aux infos et ce, indépendamment du processus de digitalisation de la société ;
- sont beaucoup moins informés ;
- ne connaissent généralement pas de sites fiables pour s’informer.[17]
La chercheuse craint encore qu’Internet conduise à l’apathie et à la polarisation politique. En effet, elle estime que la culture numérique amène à évoluer en vase clos et à se construire des opinions peu nuancées tout en ne s’engageant plus au niveau citoyen et politique. Elle pointe là le risque de ce que l’on nomme « la pensée unique ». Plus concrètement, elle distingue chez les jeunes hyperconnectés, un individualisme et une recherche d’authenticité qui pourraient expliquer, par exemple, le succès de candidats politique comme Donald Trump.[18]
Si ce livre reflète avant tout la réalité américaine, il est néanmoins mis en perspective dans sa préface par un scientifique belge, le philosophe et politologue Vincent de Coorebyter. Face aux nouveaux usages liés au smartphone, le philosophe craint une crise profonde de la transmission et de la culture. Une technologie qui permet des connexions instantanées et qui met une masse inouïe d’informations à portée d’écran réduit le temps consacré à la recherche et à la lecture distille l’idée fallacieuse selon laquelle il ne sert à rien d’apprendre puisque tout est sur le Net, encourage à chercher l’information sur les réseaux sociaux plutôt que dans les journaux ou auprès des grandes chaînes de télévision.[19]
Le philosophe rejoint l’avis de Jean M. Twenge. Les écrans rendent les jeunes moins informés. Il perçoit encore comme conséquence sur les adolescents des difficultés de concentration et de conceptualisation, des performances en baisse en écriture et en lecture critique, un doute sur ce que les adultes et l’école peuvent leur apporter.[20]
Curiosité, vigilance et adultes-repères
À côté de ces avis plutôt alarmistes, d’autres points de vue se veulent plus nuancés : les jeunes s’intéressent toujours à l’information, mais d’une façon différente. Ils sont également relativement conscients des phénomènes de désinformation.
Tatiana Debrabandere, journaliste de formation, chargée de projet au CSEM et professeure invitée à l’IHECS (institut des hautes études des communications sociales) où elle enseigne « l’institution des médias et de l'éducation aux médias » a accepté de répondre à nos questions pour nous aider à mieux comprendre les pratiques numériques des jeunes au vu des résultats des enquêtes Génération 2020 et 2024 précitées .[21]
L’objectif des deux recherches, explique la journaliste, était d’aller au-delà des nombreux fantasmes et discours alarmistes nourris par l’omniprésence des technologies numériques, de s’abstenir de jugement de valeur et de mieux connaitre et comprendre les usages des jeunes pour suggérer des pistes éducatives.
Elle constate d’ailleurs que les deux enquêtes contribuent à démystifier le stéréotype selon lequel les jeunes ne s’informent plus.
Ces enquêtes ont montré que les jeunes continuent à s'intéresser à l'actualité surtout par curiosité et pour essayer de comprendre le monde qui les entoure : la culture, les phénomènes populaires, les faits divers. Ils peuvent s’y intéresser de façon approfondie. Il y a des formats vraiment super longs sur Youtube et si c'est en lien avec leur passion, ils vont pouvoir écouter un podcast d'une heure et demie. Quand il s'agit de sujets complexes comme la géopolitique, la santé, l'environnement, ils s’y intéressent moins, sauf si cela fait partie de leurs passions.
Mais, s’ils sont capables d’écouter ou de visionner des contenus longs, les jeunes s’informent d’abord à travers des vidéos assez courtes qu’ils trouvent sur les réseaux sociaux avec des portes d’entrée plus attractives et variées, un flux continu et des contenus priorisés par les algorithmes.
Les enquêtes révèlent qu’il existe des différences socio-économiques en termes d’accès à l’information : qualité du smartphone, de la connexion internet et du nombre de data lié à l’abonnement, présence ou non d’ordinateurs dans le foyer.
Les enquêtes confirment encore que la presse papier, la radio ou la télévision ne représentent plus la porte d'entrée principale vers l'information. Toutefois, et c’est un paradoxe, les médias traditionnels restent une référence importante en termes de fiabilité pour les jeunes.
Par ailleurs, la famille reste un lieu de transmission et d’échange d’information important : On a remarqué que les jeunes s’informaient encore beaucoup à l’occasion du fameux JT du soir où des informations sont échangées. Les jeunes se sentent beaucoup plus en confiance en famille où ils peuvent montrer un peu plus de vulnérabilité qu'à l'école ou ailleurs. Donc c'est vraiment dans l'entourage que naissent les discussions liées à l'information. On peut dire que la transmission du capital familial informationnel subsiste et même se renforce.
Alors qu’on pourrait penser que les adolescents, vu leur jeune âge, ne sont pas encore « éduqués », ils sont plutôt conscients de la désinformation et essayent de développer des stratégies de façon intuitive pour débusquer les fake news : présence ou non de légende sous une photo, publié ou non par un média reconnu, ouverture de tous les commentaires, choix de ne rien partager sur son fil d’actu, etc.
Tatiana Debrabandere attire enfin notre attention sur le fait que les pratiques et les intérêts des jeunes sont en partie propres à l’âge adolescent plutôt qu’à une évolution sociétale. C’est vrai qu’on vient toujours avec la question qu’ils ne sont pas au courant de la guerre en Ukraine ou à Gaza mais en fait, ils s'informent sur d'autres choses. On a du mal, nous, en tant qu'adultes, à relativiser et à se dire qu’effectivement, c’est aussi de l’information et peut-être que nous, quand on avait 12 ans, on ne s'informait pas sur la guerre au Kosovo non plus. Le jeune est en complète construction au niveau de son identité et n’a sans doute pas les mêmes préoccupations que les adultes. La chose la plus importante et centrale dans sa vie, c'est le lien qu'il a et qu’il crée avec ses amis.
D’autres recherches vont dans le même sens que Génération 2020 et 2024, notamment celle de l’INJEP (institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire) en France, qui est intéressante, car elle cible les 18-30 ans. Cette étude confirme que les jeunes, y compris les jeunes adultes, pour une majorité (70 %), s’informent de façon régulière sur des sujets de plus en plus variés, en utilisant une diversité de sources et de supports (d’abord en ligne via les réseaux sociaux, hors ligne et via des échanges). L’étude française montre encore que les jeunes développent un esprit critique envers les réseaux sociaux et vérifient les informations via d’autres canaux complémentaires (télévision, site internet spécifiques et discussions avec l’entourage). Enfin, cette recherche confirme que les jeunes restent influencés dans leurs pratiques informationnelles par le milieu familial, mais aussi par le genre et le niveau d’études.[22
Une mutation dans le rapport à l’information
Au-delà du débat sur l’intérêt pour l’actualité, le rapport des jeunes à l’information s’est transformé. Il est marqué aujourd’hui par :
- l’infodivertissement fortement développé par les réseaux sociaux et mêlant les codes de l’information et du divertissement parfois au détriment de la véracité des faits [23]
- l’interaction en donnant au public la possibilité de liker, commenter, voire partager, un post, une vidéo
- la personnalisation : chacun s’informe sur les sujets qui l’intéressent, choisit d’approfondir tel sujet ou actualité.
La notion même d’information ou d’actualité est remise en cause. Dans la foulée, le rôle et le concept des médias traditionnels sont bousculés. Le choix des sujets, leur priorisation et la façon de les traiter ne sont plus opérés uniquement par les médias. Tatiana Debrabandere, précise encore. Aujourd’hui , l’information est plurielle : les jeunes construisent eux-mêmes leur vision de l'actualité et deviennent un peu coproducteurs de l'information, c'est-à-dire qu'ils vont choisir en fonction des sujets. On n’est pas sur quelque chose de linéaire comme le JT où on nous impose la trame. L'interaction c’est aussi le fait d'aimer des contenus incarnés comme, par exemple, Hugo Décrypte avec des narratifs plus engageants.
C’est tout un écosystème qui est en mutation. Les médias traditionnels ont compris que pour continuer à exister et à défendre un journalisme professionnel et déontologique, ils doivent évoluer et s’adapter au numérique. Aujourd’hui, il y a un effacement des frontières entre ces médias et les plateformes. La presse écrite, télévisée et audio-visuelle est aussi présente sur les réseaux sociaux multipliant ses canaux et offrant des contenus spécifiques aux jeunes générations.
En outre, les plateformes numériques, n’amènent pas que du négatif. Bien régulées, elles représentent une ressource majeure et inédite pour une diffusion rapide de l’information et le développement de mouvements citoyens et solidaires.
De plus, face au trop-plein d’information et de désinformation, les jeunes, du moins certains, pourraient bien revenir vers un journalisme d’investigation[24] ciblé « jeunes ». Prenons l’exemple de Mise à jour produit par la RTBF sur TikTok à destination des adolescents. On essaie dans certaines problématiques d’éveiller leur esprit critique, ça c’est sûr. On va vraiment expliquer ce qu’il se passe et parfois débunker des trucs qui ont pu se dire sur les réseaux sociaux ou des rumeurs.[25]
Surcharge informationnelle et risque de désertion
Nous le savons de longue date, trop d'information tue l'information.[26] Dans ce monde hyperconnecté, nous sommes bombardés en permanence d’information. Ce que l’on nomme l’infobésité (contraction entre information et obésité) et la désinformation ou les fake news entrainent une surcharge mentale.
Le risque de cette fatigue informationnelle chez les jeunes, comme chez les adultes, est de se détourner de l’actualité et même d’y devenir indifférents. En 2024, une enquête menée par l’institut Reuter dans près de cinquante pays faisait état d’une augmentation de l'évitement sélectif de l'information. Environ quatre personnes sur dix (tout âge confondu) déclaraient éviter parfois ou souvent l'information, et ce d’autant plus que cette dernière était perçue comme ennuyeuse, répétitive, anxiogène ou négative.[27] .
Ceci soulève des enjeux de santé publique et démocratiques[28] et nous amène à la place de l’éducation aux médias dans un monde ultramédiatisé.
Un antidote efficace : l’éducation aux médias (EAM)
Dans un monde médiatique devenu plus vaste et plus complexe, une éducation aux médias est essentielle pour apprendre aux jeunes à naviguer dans le flot informationnel.
Le CSEM définit l’EAM comme l’ensemble des pratiques visant le développement des connaissances, des compétences et des pratiques médiatiques de leurs bénéficiaires (désignées par l’expression « littératie médiatique ») dans le but de rendre ceux-ci actifs, autonomes, critiques, réflexifs et créatifs dans leurs usages des médias.[29]
Si l’enquête Génération 2024 montre que les jeunes ont confiance dans leurs compétences numériques et essayent certaines stratégies de façon intuitive pour débusquer la fausse information, cela ne suffit pas à la formation de leur esprit critique. Tatiana Debrabandere insiste sur le fait qu’il faut instaurer des mécanismes de vérification des sources, donner des repères pour détecter les fausses infos. J'ai travaillé trois ans pour Ouvrir mon quotidien[30]. Ce genre d’opérations dans les écoles est plus que jamais nécessaire tout en évoluant bien entendu. Cette opération, qui nous dit-elle touche environ 1.300 écoles et plusieurs milliers d’élèves, permet aujourd’hui un accès d’un mois à la presse, y compris en format numérique, d’avoir des projets pédagogiques qui mettent en contact les élèves et les journalistes pour pouvoir aller les rencontrer sur le terrain, leur poser des questions, analyser la fabrique de l'information, comparer d'autres formats. C'est essentiel à la formation de leur esprit critique, cela encourage la lecture, la concentration, l'analyse plus approfondie… Les opérations Ouvrir mon quotidien ou Journalistes en classe dans les écoles[31], la Semaine de l’éducation aux médias[32], l’accueil de groupes de jeunes dans les locaux de la rédaction de médias traditionnels[33] et bien d’autres activités participent à cette éducation aux médias.
Mais des actions ponctuelles ne suffisent pas. L’EAM doit être structurelle et se faire dans les différents lieux de socialisation du jeune, et ce dès le plus jeune âge. Des associations comme Média Animation, avec qui l’UFAPEC collabore, mettent de nombreuses ressources à disposition dans ce sens.[34] Un des constats majeurs des enquêtes comme Génération 2020 et 2024, c’est à quel point l'adulte a une place importante dans l'accompagnement des jeunes. Et s’il y a des cultures informationnelles parallèles entre les parents et les enfants, est-ce pour autant négatif ? Tatiana Debrabandere y voit, au contraire, une opportunité d'avoir des dialogues intergénérationnels riches en s’intéressant à la pratique de son enfant. Notre rôle en tant qu’éducateur, parent, chercheur, journaliste, c'est d'accompagner le jeune pour lui permettre de devenir un citoyen critique, capable d'accéder aux informations, de comprendre les risques plutôt que de les subir, de saisir les enjeux de société et de participer activement à un débat démocratique.
Conclusion et perspectives
Cette analyse permet de dépasser certaines croyances sur les jeunes et l’information. Des enquêtes sur leurs usages numériques permettent d’objectiver quelque peu la réalité, de nuancer le débat et de montrer qu’il faut repenser l’éducation aux médias en considérant les notions d’information et d’actualité comme évolutives.
Pour conclure, non, les jeunes ne sont pas des mutants informationnels ! Ils s’intéressent encore à l’actualité, mais de façon différente. Ils accèdent à l’information essentiellement depuis leur smartphone via les réseaux sociaux et des vidéos sur les sujets qui leur plaisent. Par la digitalisation et l’hyperconnexion de notre société, le rapport à l’information s’est transformé, marqué par l’infodivertissement, l’interaction et la personnalisation.
Si certaines pratiques sont propres à l’adolescence, des différences socio-économiques subsistent dans l’accès à l’information. Un certain déterminisme persiste également dans les usages en fonction du milieu familial, du genre et du niveau d’études.
Les jeunes sont à l’aise avec les GAFAM et sont aussi relativement conscients de la désinformation. Les discussions en famille et les médias traditionnels restent des références importantes auxquelles ils recourent pour vérifier des informations.
Par ailleurs, le trop-plein d’information et de désinformation provoque une fatigue mentale, chez les jeunes comme chez les adultes. Pour l’éviter, ils sont de plus en plus nombreux à ignorer les actualités. Ce désintérêt pourrait entraîner un désengagement citoyen mettant en péril nos démocraties.
Alors que 40 % de la population belge est en fragilité numérique, comment notre société et le politique mettent-ils en œuvre une éducation à une information fiable, pertinente, scientifique et plurielle ? Nous insistons sur la revendication exprimée dans le Mémorandum 2024 du CSEM : la nécessité de doter la Fédération Wallonie-Bruxelles de moyens proportionnels aux besoins conséquents et inédits de l’EAM. Si l’éducation des jeunes via l’enseignement reste un enjeu crucial, elle ne suffit pas. Il y a urgence à investir dans l’EAM pour tous les citoyens, tout au long de la vie à l'heure où les réseaux sociaux véhiculent massivement des messages haineux, où la désinformation se répand de façon préoccupante, où les intelligences artificielles s'apprêtent à bouleverser de nombreux secteurs de la société.[35] L’EAM est appelée à se réinventer en permanence et à rencontrer les besoins spécifiques des différents publics, à lutter contre diverses inégalités et à soutenir, entre autres les parents dans leur rôle d’éducateurs en accompagnant leur enfant, en s’informant et en s’intéressant à ses pratiques.[36]
Quant à la formation au numérique à l’école, l’UFAPEC rappelle l’importance de l’inscrire dans la perspective globale de l’éducation aux médias, en faveur d’un développement critique des médias numériques, comme le prévoient les référentiels FMTTN[37] du tronc commun et ce dès l’enseignement primaire et tout au long de la scolarité.
L’UFAPEC reste particulièrement attentive au soutien des parents dans l’éducation aux médias, afin de leur permettre de poser un cadre clair et de créer un dialogue permettant à leur enfant de se sentir reconnu dans ses pratiques numériques. Cela contribue à développer chez le jeune un point de vue critique et nuancé pour exercer ses responsabilités de citoyen.
Dominique Houssonloge
[1] HOUSSONLOGE D., Du clic au déclic : et si les influenceurs faisaient plus que vendre des baskets à nos enfants ? - Analyse UFAPEC 2025 n°13.25 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1325-influenceurs.html
[2] GAFAM ou GAMAM est l'acronyme des géants du Web — Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft — qui sont les cinq grandes firmes américaines (fondées entre le dernier quart du XXe siècle et le début du XXIe siècle) qui dominent le marché du numérique. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/GAFAM
[3] Renseignement ou évènement qu'on porte à la connaissance d'une personne, d'un public -https://dictionnaire.lerobert.com/definition/information
[4] Ensemble des évènements actuels, des faits tout récents -https://dictionnaire.lerobert.com/definition/actualite
[5] CHANIA R., « L'audience, un puissant artefact » in Cairn info, sciences humaines et sociales, 2013, p. 35 - https://shs.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2003-3-page-35?lang=fr
[6] INSTITUT REUTER, Aperçu et principales conclusions du rapport sur l'actualité numérique 2025, 17/06/2025 - https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2025/dnr-executive-summary
[7] Organisation partenaire d'éducation permanente et centre de ressources en éducation aux médias - https://media-animation.be/
[8] Où l’UFAPEC siège en tant qu’organisation représentative des parents de l‘enseignement catholique. La mission principale du CSEM est de promouvoir l'éducation aux médias et favoriser l'échange d'informations et la coopération entre tous les acteurs concernés par l'éducation aux médias en Fédération Wallonie-Bruxelles- https://www.csem.be/csem/le-conseil
[9] Génération 2020 est la première enquête d’envergure sur la question en FWB. Génération 2024 analyse les pratiques numériques des jeunes de façon plus générale tout en consacrant un chapitre à l’information et à l’actualité. Cette seconde enquête rejoint les constats de la première
[10] Génération 2024 : les jeunes et les pratiques numériques, réalisé par Média Animation en collaboration avec le CSEM, dans le cadre du projet fédéral Betternet et avec le soutien du programme Europe Digitale de l’Union européenne (UE), 2024, p. 73 - https://generation2024.be/wp-content/uploads/2024/05/Publication-resultats-GENE2024-Web.pdf
[11] Génération 2020 : les jeunes et l’info, réalisé par Média Animation en collaboration avec le CSEM, dans le cadre du projet fédéral Betternet et avec le soutien du programme Connecting Europe Facility de l’UE, 2021, p. 23 - https://media-animation.be/wp-content/uploads/2022/02/g2021_mise_en_page_brochure-07_02_22.pdf
[12] Génération 2024, op. cit., p. 74
[15] Idem
[16] TWENGE J. M., Génération Internet : comment les écrans rendent nos ados immatures et déprimés, Mardaga, 2018
[17] TWENGE J. M., op. cit., pp. 364-365
[18] Idem
[19] TWENGE J. M., op. cit., p. 18
[20] TWENGE J. M., op. cit., p. 17
[21] Interview réalisée le 07/01/2024
[22] INJEP, Comment les jeunes s’informent sur les actualités en 2024, novembre 2024, p. 4 - https://injep.fr/wp-content/uploads/2024/11/IAS79_jeunes_actualites.pdf
[23] CLEMI (centre pour l’éducation aux médias et à l’information), L’infodivertissement, un genre hybride qui malmène l’info ? -
[24] Le journalisme d'investigation se caractérise par des recherches approfondies sur un sujet délicat et d'intérêt général, en consultant et recoupant plusieurs sources, en faisant preuve d’indépendance et déontologie. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Journalisme_d%27enqu%C3%AAte
[25] DEMET A. , Pourquoi est-ce si important de sensibiliser les plus jeunes à l’utilisation des médias et des réseaux sociaux ?, RTBF Actus, 18/11/2024 - https://www.rtbf.be/article/pourquoi-est-ce-si-important-de-sensibiliser-les-plus-jeunes-a-l-utilisation-des-medias-et-des-reseaux-sociaux-11463203
[26] Citation attribuée à Noël Mamère, journaliste et homme politique français.
[27] INSTITUT REUTER, op. cit.
[28] Voir notamment DE MUYLDER Valentine, S'informer sans s'épuiser dans En marche, 26/06/2025 - https://www.mc.be/en-marche/sante/sante-mentale/sinformer-sans-sepuiser - et FONDATION JEAN JAURES, Les Français et la fatigue informationnelle. Mutations et tensions dans notre rapport à l’information, 01/09/2022 - https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-et-la-fatigue-informationnelle-mutations-et-tensions-dans-notre-rapport-a-linformation/?post_id=35923&export_pdf=1
[29] CSEM, Une définition de l'éducation aux médias, 05/04/2022 https://www.csem.be/csem/textes-et-avis/une-definition-de-leducation-aux-medias
[33] Voir par exemple ce qui est fait par le RTBF : https://www.rtbf.be/article/medias-et-reseaux-sociaux-la-rtbf-joue-un-role-d-education-chez-les-adolescents-11296591
[34] https://media-animation.be/ressources-education-medias/?qpage=1&qtheme=false&qtype=false&qs=false
[35] CSEM, Pour une politique d’éducation aux médias dynamique et durable Mémorandum du Conseil Supérieur de l’éducation aux Médias, 23/05/2024, p. 1 - https://www.csem.be/sites/default/files/2024-06/Memorandum%202024%20CSEM%20VF%2023.05.24.pdf
[36] CSEM, op. cit., p. 1
[37] Le référentiel du tronc commun FMTTN définit les attendus d’apprentissage relatifs à la formation manuelle, technique, technologique et numérique, de la 1e année primaire à la 3e année secondaire. Adopté par le gouvernement le 24 février 2022, ce référentiel est entré en vigueur en septembre 2022 pour les 1re et 2e primaires. https://pactepourunenseignementdexcellence.cfwb.be/mesures/la-transition-numerique/#:~:text=secondaire%202025PDF-,Questions%20fr%C3%A9quentes,S%C3%A9curit%C3%A9
