Analyse UFAPEC Décembre 2023 par B. Loriers & J. Feron

18.23/ Ecoles connectées… pour toutes les familles ?

Introduction

En 2020, au milieu de la crise Covid, l’UFAPEC a interrogé les parents sur leur communication numérique avec l’école[1]. La crise du covid a été à la fois un accélérateur de l’implémentation du numérique dans les écoles et aussi un révélateur de la fracture digitale des parents et des enseignants. Écoles et familles ont du s’outiller et apprendre à utiliser ces plateformes.

Trois ans plus tard, qu’en est-il ? Où en sont les parents ?

De nombreuses écoles ont opté pour l’utilisation de plateformes numériques, parfois aussi appelées ENT (espaces numériques de travail) : Classe Dojo, Smartschool, Happi, CaBaNGa, It School, Team’s, Claroline, It’s learning, Google classroom, Konecto… Impossible ici de toutes les citer.

Ces plateformes sont-elles une opportunité pour le parent d’exercer son rôle vis-à-vis de l’école ? Facilitent-elles le contact et l’information avec l’école ? Les associations de parents (AP) exercent-elles mieux leur rôle de représentantes des parents grâce à ces outils ? Ces plateformes permettent-elles une meilleure participation des parents en général ?

Tous les parents savent-ils utiliser la plateforme choisie par l’école ? N’y a-t-il pas un risque de laisser une partie des familles sur le côté ?

Le droit d’accès à l’information sur la vie de l’école et sur la scolarité de leur enfant pour TOUS les parents sans exception ne risque-t-il pas d’être mis à mal ?

De même que le droit d’exercer son rôle citoyen dans l’école : implication dans l’AP et le conseil de participation[2] (CoPa) au niveau collectif, mais aussi participation plus large à la vie de la communauté scolaire. Pour cela, certains parents ont probablement besoin de plus de soutien et d’accompagnement que d’autres. Comment l’envisager ? Qui doit s’en charger ?

Faits, chiffres et constats

  • Plateformes numériques à l’école, pour quoi ?

Ces plateformes dont nous parlons, à quoi servent-elles ? Elles peuvent avoir de nombreuses fonctions qui varient selon le choix des écoles : messagerie électronique, , évaluations des élèves et journal de classe en ligne, accès aux devoirs et à divers documents pédagogiques, inscriptions à des évènements de l’école, communication de l’AP, etc.

Les écoles les utilisent pour trois grandes raisons[3] :

  1. la gestion scolaire interne et administrative (notes et bulletins, prise de présence, réservations des locaux, des repas ou du matériel, PIA[4]…)
  2. la pédagogie (distribution du travail aux élèves, travail collaboratif entre enseignants, gestion des devoirs, ressources pour les élèves, partage de documents, remédiation en ligne…)
  3. la communication (envoi groupé de sms, de mails, organisation d’évènements, réunion de parents en ligne, prises de rendez-vous, enquêtes, paiements…)

Le choix des écoles se fait donc selon des objectifs qui leur sont propres. Or le coût et la gestion des plateformes sont des critères qui pèsent lourd comparés à la relation aux familles. La communication avec les parents est aussi conditionnée par les possibilités offertes ou non par la plateforme.

  • Utilisation des plateformes par les familles, une évidence ?

Selon l’office belge de statistique, Statbel[5], 87 % des ménages disposaient d’une connexion internet à domicile en 2018, ce pourcentage monte à 94 % pour 2022 et 2023, et même à 99 % pour les ménages avec enfants scolarisés. On peut donc penser qu’aujourd’hui, la plupart des parents peuvent se connecter aux plateformes de l’école de leur enfant.

Mais accéder à internet ne signifie pas pour autant qu’on ait les aptitudes à ses nombreuses utilisations. Toujours selon Statbel, en 2021, 46 % des Belges (âgés de 16 à 74 ans) n’avaient pas les compétences numériques de base[6] ! Et même si en 2023, ce pourcentage s’améliore légèrement et descend à 41 %[7], cela fait beaucoup de parents potentiellement en difficulté face à des plateformes pas toujours simples à manier. Utiliser une plateforme numérique nécessite des compétences multiples. Ce n’est donc pas parce que les parents possèdent un smartphone[8] et l’utilisent, qu’ils sont capables de se débrouiller avec une plateforme numérique.

Ces difficultés d’usages sont directement en lien avec le niveau d’instruction des personnes…

Par rapport à l’école, non seulement les familles peu instruites sont moins capables d’aider leur enfant en ce qui concerne le numérique, mais aussi de suivre sa scolarité, d’entrer en lien avec l’école, ou encore de participer à la communauté scolaire si l’utilisation d’une plateforme est requise.

Ceci est confirmé par une enseignante du Namurois qui témoigne à sa petite échelle : le mode d’emploi pour se connecter n’est pas aisé pour les parents à la base « faibles lecteurs ». Les démarches du login, du mot de passe, de l’installation, etc., les découragent assez rapidement. Ils ne suivent donc pas facilement leurs enfants et petit à petit se désengagent de leur scolarité. De plus, puisque les bulletins sont désormais sur la plateforme, nos réunions de parents n’ont plus le succès d’autrefois.
J’ai posé la question à mes élèves : en 3e générale, 12 élèves sur 24 me disent que leurs parents les suivent sur la plateforme. En 4e professionnelle option aide familiale, aucun parent ne prend la peine de se connecter
[9].

Or, on sait que l’implication des parents dans la scolarité de leur enfant améliore le parcours scolaire de ce dernier. La circulaire qui accompagne le décret du 30 avril 2009 sur les associations de parents insistait sur ce point : la participation parentale est indéniablement un avantage, un atout pour donner aux élèves le maximum de chance dans la réussite de leur cursus scolaire[10].

Les plateformes, indispensables ou à proscrire ?

  • Du plus….

Les espaces numériques de travail apportent beaucoup aux écoles comme déjà évoqué en partie : gain de temps dans la gestion des tâches administratives, centralisation des informations, mais aussi dans la communication avec les parents, communication plus aisée et rapide, etc.

Le recours possible à l’image et à la vidéo est un avantage de ces plateformes, comme l’explique Josette-Marie Houben, responsable des conseillers techno-pédagogiques au sein de la cellule de soutien et d’accompagnement (CSA) du SeGEC (Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique) : Plateforme ne veut pas dire écrit uniquement. Il y a un potentiel insoupçonné. (…) Le numérique permet de trouver plus facilement un moment qui arrange tout le monde et de recourir à l’image et à la parole, à la vidéo[11].

De nombreux parents ont témoigné d’une certaine satisfaction et des avantages des plateformes : accès facilité à l'information, quelle que soit la situation familiale (parents séparés, à mobilité réduite, etc.) ou la relation avec son enfant, vue régulière sur l'évolution de l'enfant, échanges facilités avec l'enseignant :

  • Je suis séparé et la plateforme de l’école me permet de rester informé[12].
  • La plateforme me permet de recevoir les infos de l’école que mon ado ne me transmettrait pas nécessairement.
  • Je peux recevoir les infos sur les apprentissages de mon enfant, notamment les évaluations régulières.
  • Je reçois rapidement des informations sur les absences de mon ado.
  • La communication directe par mail avec les professeurs est simple et facile. Elle permet un contact personnalisé, et une certaine souplesse pour les deux parties.

Pour les comités d'AP également, les plateformes permettent, pense-t-on, de toucher plus facilement l'ensemble des parents  pour, par exemple, organiser une activité ou inviter à une réunion.

Des enseignants constatent qu’une plateforme peut favoriser un meilleur suivi scolaire : certains parents jonglent avec ces nouveaux outils et suivent davantage la scolarité de leur enfant. Ils sont d’emblée au courant des tâches que leur enfant doit effectuer : devoirs, leçons, documents à fournir. De plus, les parents sont prévenus des absences ou des remarques que les professeurs ont encodées.

La plateforme peut parfois leur permettre de créer du lien avec les familles : par exemple, en maternelles, en postant de petites vidéos des enfants en classe-.

Des enseignants mettent également en avant le fait que de nouvelles applications permettent de faire de la différenciation avec les élèves. En effet, pour donner des exercices spécifiques à l’un ou l’autre élève en difficulté, pour proposer de la remédiation ou mettre des liens vers d’autres logiciels, applis et ressources à utiliser en classe, les plateformes sont des outils multiusages pour ceux qui les maitrisent.

  • Et du moins

Des enseignants, des directions d’école et des parents disent que, bien que les plateformes soient utiles, elles créent parfois des complications, liées, entre autres, à une multiplication des canaux de communication, au flux parfois très intense des messages et à des difficultés d’utilisation au quotidien et, ce, même pour des utilisateurs fréquents d’internet (difficultés à comprendre les diverses possibilités de la plateforme par exemple).

  • L’arborescence de la plateforme de l’école est compliquée pour nous (un parent).
  • La complication vient du fait que chaque institution, scolaire ou autre, a sa plateforme, et il en existe beaucoup. De plus, il n’y a parfois pas d’utilisation uniforme au sein d’une même école : chaque enseignant a ses pratiques et demandes qui lui sont propres (un parent).
  • On doit continuer à transmettre les informations en version papier pour être certain que les parents les reçoivent (une directrice de DOA).

Les plateformes sont aussi la source de tensions, étant donné le nombre parfois élevé de mails, la connexion quasi permanente entrainant des injonctions d’immédiateté ou encore le côté impersonnel et la perte de lien humain.

  • Une AP de Liège nous renvoie que les parents ne s’en sortent plus devant le nombre de mails et la longueur des courriers. Certains parents ne les lisent même plus…
  • La plateforme de l’école peut envenimer les relations entre nous et notre jeune, si par exemple certains résultats négatifs arrivent pendant un moment de détente familial. Il n’y a plus de moments dédiés rien qu’à l’école.
  • Notre plateforme rend la déconnexion compliquée, tant pour les élèves (qui se sentent obligés de se connecter souvent), pour les parents, que pour nous les profs, parce qu’il arrive que certains parents attendent une réponse immédiate.
  • Le négatif, c’est qu’il y a des parents qui ne se déplacent même plus. La communication directe est un manque (une directrice).

On a aussi pu remarquer que la communication entre parents de l’AP est parfois compliquée, car certains outils peuvent conduire à des malentendus et devenir une sorte de défouloir. Les messageries instantanées créent une communication immédiate, sans possibilité de prise de recul et qui exigent en plus de la réactivité. Tous ces ingrédients mis ensemble peuvent devenir explosifs si un cadre et un modérateur ne sont pas mis en place.[13]

Pistes pour accompagner les parents

  • Comment l’école peut-elle aider les parents ?

Pour répondre à la diversité des familles, des pratiques inclusives liée à l’usage des plateformes numériques existent déjà dans certaines écoles : ateliers collectifs et démonstration pour expliquer la prise en main de l’outil, tutoriels, contact avec une personne ressource, accueil au secrétariat de l’école, etc.
De nouvelles habitudes se développent par ailleurs pour rendre la communication via la plateforme plus accessible aux parents en difficulté avec l’écrit ou le français : utilisation de pictogrammes ou de visuels, courrier avec QR code renvoyant vers des vidéos ou des audios, rencontre en visioconférence, traduction instantanée des messages pour les familles. Il faudrait cependant généraliser ces utilisations.

Pour l’UFAPEC, la communication est essentielle dans la construction au quotidien du partenariat école-familles, notamment en réfléchissant ensemble aux canaux d’information les plus opportuns entre les parents et les autres acteurs de l’école[14]. Encore faut-il que ces canaux soient accessibles à tous les parents, en tenant compte des différents profils des familles, notamment celles qui ont peu de maitrise du numérique.

L’école a-t-elle le temps et les moyens humains?nécessaires pour assurer le développement de pratiques inclusives et le soutien aux parents ? Si les parents peuvent demander de l’aide individuellement, ont-ils le temps nécessaire à cette formation ? Certains, de crainte d’être jugés et de paraitre incompétents s’ils demandent de l’aide, ne risquent-ils pas de faire comme s’ils comprenaient et de taire leurs difficultés, ce qui passerait pour un manque d’intérêt, voire une démission, aux yeux de l’école ?

  • Comment l’AP peut-elle aider les parents ?

L’AP peut aussi réfléchir à cette question, sonder l’ensemble des parents, débattre et faire des propositions au CoPa ou, à minima, le mettre comme point à l’ordre du jour. L’AP peut aussi commencer elle-même par prendre en compte toutes les familles et leurs usages, numériques ou non.

Au conseil de participation, la communication école-familles peut se construire collectivement et la pertinence des plateformes être questionnée par les différents acteurs. Quelle plateforme choisir, pour quels objectifs ? Quels manques constate-t-on quelles et améliorations possibles pour ce qui est déjà en place ? Quel cadre donner à ses usages ? Un parent, répondant à l’enquête UFAPEC de 2020, souhaitait que l’école ait une réflexion globale avec les parents, sur le choix d'outils numériques répondant aux besoins de tous (enfants, enseignants, direction et parents) tant au niveau de la communication que de l'enseignement[15].

Pour Josette-Marie Houben, la mission de l’école est d’expliquer aux parents qu’une plateforme, c’est une plaque tournante qui permet justement la communication et l’apprentissage du numérique, non pas en tant que consommateur, mais en tant qu’acteur.
Il faudrait plutôt inviter les parents à construire la plateforme avec eux, leur demander comment, eux, ils verraient cela[16]

Conclusion

Les parents qui ont des compétences numériques limitées, comme on l’a vu, ont un réel risque de « décrochage parental » du partenariat école-familles si l’école, pour communiquer, utilise intensivement, voire exclusivement, des plateformes numériques.

Le CoPa est un lieu où tous les acteurs de l’école peuvent discuter de ces plateformes de communication, pour les évaluer et améliorer leurs usages. Pourquoi pas à l’aide d’une charte à coconstruire entre partenaires ?

Les plateformes peuvent renforcer le partenariat dans certains cas, faciliter une partie de la communication, mais jamais remplacer le lien physique nécessaire avec l’enseignant, la direction ou les autres parents au risque d’exclure une partie des familles, de perdre en humanité. C’est de la responsabilité de chaque acteur d’en tenir compte et d’y être vigilant.

En 2019 déjà, la FWB écrivait : Les technologies de l'information et de la communication (TIC) donnent l’occasion de repenser les échanges entre les personnes : elles ouvrent les possibilités d’accroître la participation des parents à la vie scolaire de leur(s) enfant(s). Les collaborations peuvent être plus nombreuses, variées et adaptées aux réalités de notre société actuelle[17].

Ces propos nous semblent bien éloignés des réalités de bon nombre d’écoles, tant pour certains enseignants que pour certains parents. Si l’on veut que cette vision ambitieuse devienne une réalité, il nous semble nécessaire qu’un accompagnement concret, ajusté et systématique pour toutes les écoles soit mis en place afin de ne laisser aucune famille sur le bord du chemin. Cela demande de la volonté, du temps, de l'énergie, des moyens, encore et toujours.

 

Bénédicte Loriers & Julie Feron

 

 


[2] Le conseil de participation est une instance de dialogue et de concertation qui permet de réunir tous les acteurs et partenaires d’une communauté éducative : pouvoir organisateur (PO), direction, équipe éducative et pédagogique, élèves, parents, associations en lien avec l’école. Pour en savoir plus, lire : HUBIEN B. Le Conseil de participation : un lieu fondamental de dialogue et de concertation, analyse UFAPEC n°33.13, décembre 2013.

[3] DEBAISIEUX, E., Les plateformes scolaires en question, 9 mai 2019 https://dintic.fesec.be/les-plateformes-scolaires-en-question/

[4] PIA = plan individuel d’apprentissage, outil méthodologique élaboré pour chaque élève à besoins spécifiques présent dans l’enseignement spécialisé ou suivi en intégration. Ce PIA est ajusté durant toute la scolarité de l’élève en énumérant les objectifs à atteindre en tenant compte de ses besoins spécifiques.

[6] Statbel définit 4 niveaux de compétences : aucune / basses / de base / avancées. Ceux-ci sont établis par le nouveau cadre européen : le cadre DigComp qui mesure 21 compétences dans cinq domaines. https://www.comprendredigcomp.com/index.html

[8] 92 % des utilisateurs surfent avec leur smartphone, 69 % avec un laptop, 35 % avec une tablette et 32 % un ordinateur fixe. https://statbel.fgov.be/fr/themes/menages/utilisation-des-tic-aupres-des-menages#news

[9] Témoignage recueilli le 5 décembre 2023 par mail.

[10] Circulaire n° 4182 du 11 octobre 2012 portant sur le Décret du 30 avril 2009 portant sur les Associations de parents d'élèves et les Organisations représentatives d'Associations de parents d'élèves en Communauté française, p. 1.

[11] FLOOR A., Impact des nouvelles pratiques de communication numérique sur les relations familles-école, étude UFAPEC 2020 n°16.20/Et3, p. 30 : www.ufapec.be/files/files/analyses/2020/1620-Et3-comm-numerique.pdf

[12] Les témoignages repris ci-dessous (pp. 6-7) ont été récoltés lors de la réunion du 14 novembre 2023 avec l’association de parents de l’Institut Saint-Joseph de Florennes.

[13] FLOOR A., Les groupes WhatsApp de parents : un plus pour le partenariat école-familles ?, analyse UFAPEC n°12.23 novembre 2023, p. 6. Des chats ou autre messageries instantanées sont aussi disponibles sur certaines plateformes.

[16] FLOOR Anne, op cit., p. 29.

[17] Service général du Numérique Éducatif, Guide Les outils numériques de communication entre les parents et l'école,février 2019, p. 2. http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=15079&do_check=HJCSFLTHRN

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