Analyse UFAPEC novembre 2018 par A. Pierard

19.18/ Construction de soi et groupe de pairs : quel lien entre ces deux éléments phares de l'adolescence ?

Introduction

L’adolescence est la période de la vie, entre l’enfance et l’âge adulte, où chacun va construire son identité afin de s’inscrire et se faire sa place en tant qu’individu dans notre société.

L’adolescent vit beaucoup avec son groupe de pairs. Les amis semblent prendre plus d’importance que la famille… Le groupe de pairs devient le groupe le plus influent pour les jeunes, car ceux-ci vont s’affirmer par les interactions vécues entre eux, même si la famille et l’éducation reçue ont aussi un impact sur la construction identitaire.

Etape majeure du développement de soi, l’adolescence est une période de la vie où beaucoup de choses peuvent se jouer. Il est donc intéressant de se pencher sur la question de l’impact des pairs sur les jeunes, car ceux-ci se construisent ensemble et sont les adultes de demain.

Quel rôle et quelle influence réelle les copains ont-ils dans le processus de construction de soi des jeunes ? Qu’est-ce que le groupe apporte à nos adolescents ? Se soutiennent-ils dans leur devenir de citoyens ?

Comment accompagner nos adolescents face à la pression éventuelle des autres ?

L’adolescence, une phase de vie[1]

Phase du développement humain, l’adolescence est la période transitoire entre l’enfance et l’âge adulte. Elle commence avec la puberté et les changements corporels, psychologiques, émotionnels et relationnels qui l’accompagnent.

Entre la nostalgie des adieux à l’enfance et l’angoisse de leur naissance à l’existence, pour reprendre les termes de Jean-Jacques Rousseau, beaucoup se sentent extrêmement vulnérables. Ils ne savent pas qui ils sont, réagissent à fleur de peau et rejettent le monde des adultes qu’ils jugent sévèrement.[2]

Tous ces éléments provoquent un réel chamboulement impliquant un cheminement personnel. Les différentes instances de socialisation (la famille, l’école et le groupe de pairs) ont un rôle important à jouer auprès de l’adolescent dans sa recherche identitaire. Les besoins de détachement de la sphère familiale et de rattachement aux semblables expliquent que le groupe de pairs est le groupe le plus influent au cours de l’adolescence.

Théorie de Judith Harris : socialisation par le groupe de pairs

En 1994, Judith Rich Harris, psychologue américaine, a formulé une théorie du développement de l'enfant axée sur le groupe de pairs. Elle conteste l’idée que l’éducation familiale soit le déterminant principal de la personnalité des adultes. Selon sa théorie, l’influence éducative des parents n’a qu’un faible impact sur la construction identitaire.

Pour construire son identité personnelle, l’humain est sous l’influence d’éléments provenant de trois origines différentes :

  • La génétique (50 %)
  • La famille (10 %)
  • Des facteurs inexpliqués (40 %)

Selon Judith Harris, ces 40 % correspondent à l’influence des pairs, car la personne, durant son enfance et son adolescence, se socialise au contact de ses amis. Une raison invoquée pour expliquer cette hypothèse est que les enfants et les jeunes n'adoptent pas le même comportement en dehors qu'à l'intérieur de la maison. Ils ne sont pas avec les mêmes personnes, et donc ne suivent pas les mêmes règles et positionnements. Le groupe de pairs correspond-il à ces 40 % ? Y a-t-il d’autres facteurs aussi importants, voire plus, que le groupe de pairs ?

  • « Nous et eux »

Le besoin de distinguer et de classer est un besoin humain qui se rencontre dès l’enfance. Les premières catégories sont faites selon des paramètres visibles (sexe, origine sociale ou géographique, vêtements, etc.). Dans ce sens, il va de soi que le jeune va développer un sentiment d’appartenance au groupe et en défendre les membres. Le groupe de pairs serait un lien d’expérimentation de la solidarité, du partage et du soutien ?

Tout au long de la vie et selon les situations, les catégories vont fluctuer (citadins vs villageois, supporters sportifs, partis politiques, etc.). Comment gérer les conflits d’intérêt entre différents groupes d’appartenance ? Plus précisément, entre le groupe « famille » et le groupe de pairs ?

  • Conformisme de groupe

Au sein du groupe d’appartenance, des normes, des rituels et un langage propre peuvent se construire et être partagés. C’est un moyen pour se reconnaitre : porter une telle marque de vêtements, célébrer un même évènement, etc. En effet, à l’adolescence, quel que soit leur milieu social d’origine, les adolescents se remettent en question sur leur place dans la société et cherchent alors leurs identités à travers les autres, notamment en les imitant. On parle alors d’un phénomène de conformisme, particulièrement chez l'adolescent qui, vulnérable, porte un profond intérêt à l'opinion des personnes de son groupe d’appartenance ou encore de son groupe de référence.[3]

Une fois le groupe constitué, ses membres vont tendre à se conformer à ce qui se dit ou fait dans le groupe. Ce conformisme n'est toutefois [pas] systématique, mais surtout très fort en cas d'agression de l'extérieur du groupe. En d'autres termes, chaque membre d'un groupe peut adopter un comportement, des attitudes sensiblement différentes des autres membres du groupe, du moins tant qu'il n'y a pas de menaces extérieures. Dans ce cas, les membres vont se "serrer les coudes" et adopter une ligne de conduite très unie, généralement calquée sur celle du meneur -- "Ils sont comme moi, et je suis comme eux". Ce comportement est souvent observé par les enseignants, qui sont souvent surpris de l'unité d'une classe lorsque survient une menace extérieure (c'est-à-dire, d'eux-mêmes). Les élèves, par exemple, pourront faire bloc pour éviter qu'un des leurs soit puni.[4]

  • Autocatégorisation

La catégorisation du groupe par rapport aux autres marque une claire séparation (même si l’on peut se rattacher à l’une ou l’autre catégorie selon les circonstances) et rapproche entre eux les membres d’un même groupe.

Pour prendre des exemples concrets, à l’école, on peut se placer selon les catégories d’élèves et d’enseignants.

Cette autocatégorisation a un effet puissant dans les classes : l'enseignant est le seul adulte, et il n'a pas toujours intérêt à rendre cette catégorie trop saillante, sous peine de voir se liguer contre elle les enfants ou adolescents de la classe. Quand l'adulte se montre un peu trop sévère, les élèves peuvent être plus agités, afin de manifester leur appartenance au groupe "enfants"[5]

Entre élèves, la catégorisation la plus saillante sera la démarcation entre filles et garçons, même si des amitiés se nouent entre personnes des deux sexes dès l’enfance et peuvent perdurer à l’adolescence. On peut imaginer dès lors les difficultés de construction de soi pour les jeunes qui se situent en dehors de la catégorisation traditionnelle fille/garçon.

Dans la réalité, comme le souligne Harris, la plupart des garçons ne détestent pas toutes les filles, et vice versa. Mais, à l'école, que ce soit en classe ou en récréation, la catégorie la plus saillante est "garçon/fille". Cette catégorisation sexuelle perdure en grandissant : les pré-adolescents ont des avis très rigoureux en ce qui concerne l'attitude à avoir vis-à-vis de l'autre sexe.[6]

Des comportements peuvent être dirigés par l’appartenance au groupe du même sexe. Par exemple, un adolescent s’entendant très bien avec sa voisine pourrait ne pas s’asseoir à côté d’elle en classe pour être avec ses camarades masculins.

L’importance du groupe de pairs

  • Être entre soi

Un des premiers intérêts du groupe est de répondre au besoin d’appartenance, de se regrouper entre camarades selon les centres d’intérêts, les amitiés nouées.

Une dynamique de groupe va se développer, dans la compréhension mutuelle, la construction de rites et langages, le partage de règles communes. Le groupe se pairs est-il à considérer comme une micro société ?

  • Trouver des figures d’attachement et combler des carences affectives

L’adolescent va se rapprocher de ses camarades et choisir des figures d’attachement, non plus dans une logique d’asymétrie, mais bien dans une logique de réciprocité. Tout en prenant distance par rapport à ses parents, l’adolescent cherche à nouer des liens avec ses semblables.

Appartenir au groupe permet de construire des alliances fortes. Les adolescents peuvent transférer au sein du groupe des sentiments ambivalents provenant de la sphère familiale : fierté, réconfort, compassion, sécurité, jalousie, rancœur, fragilité, etc. Pour certains, les amis sont les frère ou sœur qu’ils n’ont jamais eus.

  • Se comparer – devenir groupe de référence

Le besoin humain de comparaison et de distinction comprend deux parts : une séparation du reste de la société (se détacher des parents, se montrer plus grands que les enfants) et un rapprochement du groupe de pairs. L’adolescent se sent compris par ses pairs qui vivent la même chose que lui.

On peut ici évoquer les groupes d’appartenance et de référence (identiques ou non). Le groupe de référence a deux fonctions : une fonction comparative (s’évaluer et évaluer les autres) et une fonction normative (servir de modèle normatif).

Le groupe de référence peut être attractif ou repoussoir. L’adolescent qui vient d’un milieu socioéconomique moins favorisé ou culturel différent pourrait, en référence à ses origines, repousser les attitudes de son entourage et adopter d’autres attitudes afin de s’intégrer dans le groupe. Prenons pour exemple l’adolescent d’origine maghrébine et islamique qui mangera du porc ou boira de l’alcool dans le but de faire comme les autres. Les raisons de sortir du groupe d’appartenance d’origine peuvent être un sentiment de rejet, une recherche de reconnaissance, un attrait pour un groupe de référence autre.

Si l’adolescent souhaite appartenir à un groupe de référence autre que son groupe d’origine, il va rompre avec les comportements du groupe d’appartenance pour adopter ceux du groupe de référence, ainsi que les normes et les valeurs de ce groupe.

Soulevons l’exemple de Marième, l’héroïne du film Bande de filles[7], qui va s’affranchir et suivre les codes du groupe de filles qu’elle a rencontré et qu’elle veut intégrer.

  • Développer un code culturel commun

Le groupe a une importance décisive en matière de diffusion et de réception du message des médias par l’appropriation de marques[8] et l’utilisation des nouvelles technologies de la communication. Le groupe affirme l’expression d’une culture commune qui peut devenir un code culturel générationnel. Les adolescents vont porter des vêtements de la même marque, acheter des produits portant le même label, être connectés de manière permanente au groupe par les réseaux sociaux.

Au cours de cette période, le groupe de pairs d’un individu devient alors essentiel, son rôle s’observe notamment dans les domaines de la consommation vestimentaire et alimentaire mais aussi dans les goûts culturels propres aux adolescents. (…) Le conformisme vestimentaire est néanmoins un facteur d'intégration, surtout chez les jeunes.[9]

  • Se construire sous le regard des autres

C’est au sein du groupe de pairs que le jeune va se construire. L’importance du regard des autres à l’adolescence pousse les jeunes à suivre le mouvement, à faire comme les autres ou à se démarquer selon les personnalités.

L’appartenance à un groupe d’amis devient ainsi essentielle et nécessaire car elle répond à des besoins éducatifs, personnels et sociaux : se découvrir, s’affirmer, se construire une image, une personnalité, à travers l’identité groupale mais également à travers l’intimité, le soutien affectif, l’entraide…[10]

La reconnaissance et le soutien des camarades sont des éléments essentiels pour développer une reconnaissance personnelle et une bonne estime de soi. Cet effet est à prendre en compte de manière générale, mais aussi, plus précisément, par rapport à la scolarité des adolescents. Le rapport des pairs aux apprentissages et leur comportement en classe va influencer le rapport que l’adolescent entretient avec l’école. L’aide et le soutien apportés par les amis favorisent une meilleure estime de soi générale et scolaire essentielle à l’investissement de l’élève dans sa scolarité.[11]

  • Vivre de nouvelles expériences ensemble

Se construire, c’est avant tout vivre des expériences. Le groupe de pairs est un lieu important d’expérimentations nouvelles hors du cadre familial. C’est avec les amis qu’on va tester nos limites, découvrir de nouveaux horizons et s’autonomiser.

Au sein du groupe, les adolescents vont se lancer des défis à réaliser sous le regard des pairs. Ces défis du genre « cap ou pas cap » permettent aux adolescents d’affirmer leur identité, d’attirer l’attention, d’exister aux yeux des autres. Il s’agit surtout d’explorer leurs capacités et de définir leurs limites en testant leur corps, leur force, leurs aptitudes face au danger. Pensons aux adolescents du film American Pie[12] qui lancent un pacte au sein de leur bande, se poussant à « devenir des hommes avant l’entrée à la faculté ».

La prise de risques est un passage obligé dans la quête identitaire. Elle est nécessaire dans l’apprentissage de la relation au monde et aux autres. Même si la logique de l’excès (dans le trop ou le trop peu) fait partie de la culture adolescente, il semble opportun de veiller à ne pas tomber dans l’extrême et se mettre en danger en se lançant dans des jeux dangereux. [13]

C’est dans ce contexte qu’est apparu le « binge drinking » que certains jeunes préfèrent appeler la « biture express » : l’alcoolisation ne donne plus lieu à une demande d’évaluation ; le but avoué (sinon recherché) est la « défonce » (la perte de conscience) plutôt que l’ivresse. Il faut donc y voir un acte individuel de recherche de ses limites. Mais pas seulement, car il s’agit aussi d’une forme interactive de jeu, d’un acte de bande au sens délinquant du terme. L’adolescent fait comme les autres pour soulager sa « fatigue d’être soi » : il affirme des préférences pour des marques qui le distinguent, voire l’opposent à ses parents, tout en se sécurisant dans sa bande. Dans le binge drinking, on ne boit pas totalement avec les autres : on boit comme les autres, à côté des autres. Un phénomène très bien analysé par les fabricants de boissons qui ont su l’exploiter en devenant les sponsors de soirées étudiantes : la marque de la boisson bue, le t-shirt distribué, etc. sont autant d’accessoires qui renforcent le simulacre de collectivité autour d’une « défonce » qui demeure individuelle.[14]

Dans ce sens, les adultes ont un rôle à jouer auprès des adolescents afin de permettre la discussion à la maison ou à l’école sur les consommations nocives (alcool, cigarette). L’enjeu est de responsabiliser les adolescents, de les aider à agir en connaissance de cause et de leur montrer qu’ils peuvent trouver une épaule bienveillante pour les soutenir dans ce cheminement personnel où, même s’ils accordent une grande place aux camarades et suivent le groupe, ils ont besoin de la présence d’adultes à leurs côtés.

La pression des copains

Les adolescents ne se comportent pas de la même manière à la maison qu’au sein du groupe de pairs. Par attachement au groupe ou par peur du rejet, du jugement et de l’isolement, les adolescents peuvent se sentir poussés par les camarades à agir d’une façon différente, pour être reconnu et apprécié, pour faire partie intégrante du groupe. Cette pression exercée par les camarades peut avoir des effets positifs et négatifs.

D’un côté, elle incite à accomplir des choses dont on n’avait pas le courage. Les copains peuvent aussi convaincre l’adolescent de ne pas faire quelque chose qui n’est pas dans son intérêt ou l’inciter à accomplir quelque chose ayant un effet positif. Cela va motiver l’adolescent et le rendre confiant, l’aider à surmonter ses peurs, lui permettre d’obtenir des conseils et d’éviter d’enfreindre la loi ou de nuire à sa santé. L’ami bienveillant qui évite de boire de l’alcool en est le bon exemple. Si elle est positive, la pression des copains serait-elle un facteur de stimulation à devenir des CRACS (citoyens responsables, actifs, critiques et solidaires) ?

La pression des camarades peut aussi inciter à faire quelque chose de condamnable ou qu’on ne voulait pas faire, à poser des gestes non désirés juste pour être accepté par le groupe. L’adolescent pourrait être amené à avoir des gestes occasionnant des problèmes avec la justice ou nuisant à sa santé.

Sous l’influence du groupe, l’adolescent peut avoir des difficultés à se dégager de l’emprise et de la pression exercée, consciemment ou non, par les camarades. Comment faire face à cette pression ? Pour faire face à la pression des copains, l’adolescent peut développer diverses attitudes positives : avoir confiance en soi, suivre son instinct, apprendre à dire non, s’éloigner des mauvaises influences. Le maintien d’un dialogue entre l’adulte et le jeune peut l’aider à se détacher d’une influence néfaste du groupe.

La bande : un cas précis ?

Quand on parle de bande, on pense à des groupes de jeunes garçons délinquants. Mais ce n’est qu’une image stéréotypée de la bande. De la simple bande de copains fluctuant au gré des attirances, au « gang » délinquant très organisé, les formes que peut revêtir la bande sont multiples.[15] En quelque sorte, tout groupe de pairs est une bande.

Bulle protectrice, la bande est un lieu formateur où s’expérimente le jeu social et relationnel, où s’affirme l’identité et se consolide le narcissisme fragilisé par la prise de distance, voire la rupture avec le monde de l’enfance.[16] La bande est le théâtre des émois, des interrogations, des confidences, des excès de la jeunesse. Les adolescents se sentent plus forts ensemble. Ils s’amusent et se provoquent afin de découvrir et d’explorer des nouveautés en groupe. La bande offre une protection, elle rend plus fort. Elle joue un rôle dans la construction psycho-affective de l’adolescent en ce qui concerne son identité, sa socialisation et sa maturation affective.[17]

Quand risque-t-on de passer de la bande jouant un rôle positif dans le processus de construction de soi au groupe de jeunes déviants ? Selon Jean-Louis Le Run, pédopsychiatre, la bande est dangereuse pour les adolescents lorsqu’elle cesse d’être un espace de construction psychique souple et transitoire, un espace de découverte de l’autre et du monde, pour devenir une prison groupale, porteuse de destruction pour les autres et, finalement, pour ses membres, incapables de rejoindre un collectif plus large en prise avec les enjeux sociétaux.[18]

L’esprit de groupe en classe

L’école est non seulement un lieu d’apprentissage, mais aussi le lieu du développement de compétences sociales et de la construction identitaire, car les élèves y passent la majorité de leur temps. C’est au sein de l’instance de socialisation que constitue l’école qu’un adolescent forgera sa propre identité. Les établissements scolaires n’ont pas pour unique rôle de transmettre des savoirs scolaires, puisqu’ils y passent le plus clair de leur temps, l’école est aussi un lieu où les adolescents côtoient un ensemble varié de contacts grâce au contact de qui ils se socialisent. De ce fait, la scolarité est aujourd’hui un élément essentiel à la formation des individualités qui s’écarte de la famille et se structure moins autour des valeurs scolaires que du poids des pairs.[19]

  • Élèves face à l’enseignant

Comme évoqué précédemment, une catégorisation forte est celle enseignants/élèves. Au sein de la classe, l’enseignant se retrouve donc seul face au groupe « élèves ». Ceux-ci, usant de la force du groupe, peuvent parfois prendre l’enseignant pour cible, être difficiles en classe… L’enseignant doit alors trouver un moyen (autorité, séduction) pour ramener la classe dans une optique positive propice aux apprentissages.

  • Elèves entre eux

Au sein de l’établissement scolaire ou plus précisément de la classe, des groupes peuvent se constituer, parfois pour accentuer les différences saillantes entre des profils d’adolescents. Les élèves ont tendance à accentuer des différences rendues saillantes. Ce phénomène rend dangereux les groupes de niveaux que les enseignants créent parfois. Car les élèves de chaque groupe vont tout faire pour accentuer les différences, et tenter d'être fiers d'appartenir à leur groupe. Par exemple, tout en reconnaissant être des lecteurs moyens, les élèves d'un tel groupe vont parvenir à se considérer -- au choix -- comme plus gentils, forts. Ils pourront aussi développer des attitudes négatives par rapport à l'école : les bons lecteurs sont tous des lèche-bottes, des prétentieux, etc. Et cette attitude pourra avoir des effets cumulatifs au cours des ans, puisque, outre la différence garçon/fille, l'autre catégorie saillante est la réussite scolaire.[20]

Les adolescents ne sont pas toujours forcément intégrés au groupe classe. Certains sont isolés, volontairement ou non, sans que cela n’empêche nécessairement ces jeunes de se construire et de développer leur personnalité. Comment tenir compte des « isolés » ? Quelle réponse donner aux jeunes souffrant de cet isolement ?

Ces jeunes sont-ils réellement isolés ou trouvent-ils ce lien aux pairs d’une autre manière ? On peut penser aux adolescents qui ne se sentent pas bien au sein du groupe classe ou n’ont pas leur groupe d’amis à l’école mais en dehors, dans des activités sportives ou artistiques. Il nous semble important d’évoquer aussi les adolescents créant des liens avec leurs pairs sur les réseaux sociaux ou via des jeux en ligne. Faut-il à tout prix faire partie d’un groupe de pairs pour vivre pleinement son adolescence ?

  • Actions de l’enseignant

Pour agir sur la catégorisation faite par les adolescents, l’enseignant peut influencer le groupe d'élèves de trois manières.

  • Influer sur les normes du groupe. Il s’agit d’avoir une influence positive sur les élèves focalisant l'attention des autres.
  • Définir les limites du groupe. L’enseignant, pour éviter de faire face à un groupe uni contre lui (élèves VS enseignant), doit faire en sorte d’intégrer le groupe classe.
  • Définir l'image que le groupe se fait de lui-même. [21]

Faut-il pour autant chercher à s’intégrer au groupe comme le fait Mr Keating, professeur de littérature joué par Robin Williams, dans Le cercle des poètes disparus[22] ?

L’enseignant a tout intérêt à faciliter le travail en commun et le vivre-ensemble au sein de la classe en permettant aux élèves de construire autant que possible un réel groupe de travail solidaire où les adolescents sont reconnus dans leur unicité.

De nombreuses études fondées sur l’expérience ont montré qu’on n’apprend pas tout seul, que la recherche en petits groupes est stimulante pour l’intelligence et formatrice du sens social. Les praticiens de la pédagogie Freinet et de la Pédagogie institutionnelle savent combien l’organisation de la classe en un ensemble structuré fondé sur des rapports de solidarité et d’échanges, où chacun est responsable de ses apprentissages et de la bonne marche de la classe, où chacun a pouvoir et parole, est facilitante et aidante pour tous, y compris ceux qui ont de moindres atouts intellectuels.[23]

Conclusion

Le groupe de pairs a effectivement une importance considérable à l’adolescence. Il répond aux besoins de réunion, de mêmeté et de différenciation, car il permet de se rassembler en se démarquant des autres. Il répond aussi aux désirs de découverte, d’expérimentation et de reconnaissance. Chacun est traversé par le désir inconscient d’être reconnu par l’autre, d’avoir de la valeur à ses yeux, par le désir d’exister dans sa singularité en face d’autrui.[24]

Dans ce sens, les adolescents ont aussi besoin d’évoluer auprès d’adultes responsables et structurés qui les reconnaissent et les respectent dans leur individualité en les aidant à avancer dans leur cheminement personnel. Parents et enseignants, nous sommes là pour rester ouverts à la discussion et sécuriser les jeunes en leur rappelant les limites à ne pas dépasser. Comme nous le disions déjà dans une précédente analyse, prévenir le recours problématique à des conduites à risque, c'est d'abord préparer l'adolescent à une dynamique d'écoute, d'attention et de compréhension en respectant qui il est à chaque moment de la construction de son processus identitaire.[25]

Le respect doit venir des adultes et des camarades qui, selon les relations établies et l’influence exercée, joueront des rôles distincts auprès de l’adolescent. Le rôle des pairs à l’adolescence n’est pas de façon exclusive, soit positif, soit négatif : celui-ci dépend de la structure du groupe, de sa cohésion, de son fonctionnement, du type d’engagement dans la relation, des normes et des valeurs qui y sont imposées et par conséquent de ce que l’élève va élaborer de sa relation aux autres.[26]

Former des CRACS est un objectif visé dans notre système d’enseignement, mais aussi au sein d’organisations de jeunesse de plus en plus présent dans notre société. De manière informelle, le groupe de pairs stimule-t-il les adolescents pour devenir des CRACS ? Les copains peuvent-ils aider à être conscient de ses droits et devoirs, à s’engager dans des projets favorisant le mieux vivre ensemble, à se forger sa propre opinion, à pousser l’entraide et le partage ?

Le groupe de pairs est un lieu dynamique d’humanisation favorisant la construction personnelle. Les adolescents peuvent y puiser de la force, de la vitalité, de l’audace, de la confiance en soi, etc. Tous des éléments qui vont les accompagner sur le chemin de la vie.

 

 

Alice Pierard

 

 

 


[1] Pour approfondir la question du processus de construction de soi à l’adolescence, nous vous invitons à lire notre analyse : A. PIERARD, Processus d’individualisation de soi à l’adolescence, Analyse UFAPEC n°05.13, mars 2013, http://www.ufapec.be/nos-analyses/0513-individualisation-ado.html

[3] L’influence des groupes de pairs, publié le 19 janvier 2015, http://influenceconso.over-blog.com/2015/02/l-influence-des-groupes-de-pairs.html

[4] P. DESSUS, La socialisation par le groupe de pairs, mis à jour en octobre 2001, http://www.educh.ch/education/la-socialisation-par-le-groupe-de-pairs-a678.html

[5] Idem.

[6] Idem.

[7] Film de Céline Sciamma, sorti en 2014.

[8] Pour approfondir la question de l’impact des marques à l’adolescence, nous vous invitons à lire notre analyse : D. HOUSSONLOGE, Les marques, crédo des ados ?, Analyse UFAPEC n°13.09, 2009, http://www.ufapec.be/nos-analyses/1309-les-marques-credo-des-ados.html

[10] L. HERNANDEZ, N. OUBRAYRIE et Y. PRETEUR, « Relations sociales entre pairs à l’adolescence et risque de désinvestissement scolaire », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n°60, 2012 p. 88.

[11] Idem.

[12] Film de Paul et Chris Weitz, sorti en 1999.

[13] Pour approfondir les questions de prise de risque, de jeux dangereux et de rites de virilité, nous vous invitons à lire nos analyses : A. FLOOR, Les jeux dangereux ce n’est plus du jeu !, Analyse UFAPEC n°20.11, 2011, http://www.ufapec.be/nos-analyses/2011-jeux-dangereux.html - M. LONTIE, La notion de risque chez les adolescents, Analyse UFAPEC n°33.12, décembre 2012, http://www.ufapec.be/nos-analyses/3312-ados-risques.html – M. LONTIE, Sécurité routière et prise de risque à l’adolescence, Analyse UFAPEC n°20.14, octobre 2014, http://www.ufapec.be/nos-analyses/2014-securite-routiere.html - F. BAIE, Les rites de virilité à l’adolescence sont-ils encore présents dans notre société ?, Analyse UFAPEC n°13.16, juin 2016, http://www.ufapec.be/nos-analyses/1316-rites-virilite.html

[14] J.P. CORBEAU, Adolescence sous influence, publié le 6 avril 2012, http://www.reseau-canope.fr/docsciences/Adolescence-sous-influence.html

[15] J-L. LE RUN, « La bande à l’adolescence », in Enfances & Psy, n°31, 2006, https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2006-2-page-56.htm, p. 59.

[16] Idem, p. 60.

[17] Idem.

[18] Idem, p. 65.

[19] L’influence des groupes de pairs, op cit.

[20] P. DESSUS, La socialisation par le groupe de pairs, op cit.

[21] P. DESSUS, La socialisation par le groupe de pairs, op cit.

[22] Film de Peter Weir, sorti en 1989.

[24] J. MOLL, Les phénomènes de groupe et leur influence sur les apprentissages, op cit.

[25] M. LONTIE, La notion de risque chez les adolescents, Analyse UFAPEC n°33.12, décembre 2012, http://www.ufapec.be/nos-analyses/3312-ados-risques.html,p. 8.

[26] L. HERNANDEZ, N. OUBRAYRIE et Y. PRETEUR, « Relations sociales entre pairs à l’adolescence et risque de désinvestissement scolaire », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, n°60, 2012, p. 92.

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