Analyse UFAPEC décembre 2024 par A. Pierard

21.24/ Transport scolaire et autonomie des élèves à besoins spécifiques, quelle compatibilité ?

Introduction

Le transport scolaire permet à de nombreux élèves de se rendre à l’école. Afin de pallier les problématiques (longueur du temps de trajet, épuisement des élèves, inconfort durant le trajet, manque de chauffeurs et de convoyeurs, etc.), les services en charge de ce transport scolaire font évoluer le système en recherchant, pour chaque enfant, la meilleure solution. Dans la situation actuelle, quelle est la vision du transport scolaire ?

Ce n’est pas tout d’avoir le droit d'aller à l'école, il faut pouvoir y accéder dans des conditions correctes. Comment faire face aux défis actuels pour répondre aux besoins des élèves et assurer leur transport ? Faut-il penser des alternatives permettant aux élèves de développer leur autonomie ?

Nous savons bien que le transport scolaire soulève de nombreux enjeux auxquels nous restons attentifs, mais nous souhaitons concentrer cette analyse à la question de l’autonomie possible des élèves à besoins spécifiques inscrits dans l’enseignement spécialisé et conduits vers ces établissements scolaires.

Le transport scolaire, un droit

L’organisation du transport scolaire répond à un besoin. Il permet aux élèves éloignés des écoles de l’enseignement spécialisé et aux élèves n’ayant pas de ligne publique pour assurer leur trajet quotidien de se rendre jusqu’à l’école.

En Région bruxelloise [1]

Le service du transport scolaire de la commission communautaire française (COCOF) a pour mission de transporter les élèves de l'enseignement spécialisé francophone de la Région de Bruxelles-Capitale. Pour cette année scolaire, près de 5000 élèves sont concernés :

  • 2902 élèves sur les circuits de bus mis en place par la COCOF ;
  • 2068 élèves avec abonnement sur les lignes de transport public.

Depuis 2022, afin de développer des alternatives pour pallier le manque de bus et de chauffeurs et d’accompagner l’autonomisation des élèves, la COCOF a mis en place des rangs accompagnés sur les lignes publiques. Pour l'année 2024-2025, il y a 12 rangs accompagnés, avec entre 4 et 10 élèves par rang.

En Région wallonne [2]

Les compétences sont partagées entre la direction du transport et des déplacements du SPW[3] (examen des demandes de prise en charge, octroi du droit au transport, gestion du personnel d'accompagnement, etc.) et l’OTW[4] (organisation et exécution des circuits de transport scolaire en collaboration avec les transporteurs, gestion des plaintes relatives à l’exécution du service, etc.).

En Région wallonne, le transport scolaire est organisé pour les élèves de l’enseignement spécialisé, mais aussi pour les élèves de l’enseignement ordinaire, vers l’école la plus proche de leur domicile, répondant au caractère confessionnel ou non confessionnel choisi, organisant l’orientation d’études choisies et située au-delà de la distance raisonnable.[5]

Pour cette année scolaire 2024-2025, plus de 23.000 élèves wallons sont concernés :

  • 7205 élèves de l’enseignement ordinaire ;
  • 15.899 élèves de l’enseignement spécialisé.

Des alternatives aux circuits

Les circuits spécifiques du transport scolaire, nous l’avons signalé depuis de nombreuses années, ne permettent pas toujours un trajet dans les meilleures conditions. S’il reste à déplorer que de nombreux enfants font de trop longs trajets, dans des circonstances parfois inhumaines, le transport scolaire n’est pas pour autant ardu pour tous. De nombreux circuits roulent bien et des élèves arrivent à l’école disponibles pour les apprentissages qui y seront donnés. Comme un papa nous l’explique, c’est le cas pour son fils de 11 ans inscrit dans une école d’enseignement spécialisé de type 1[6]. Thomas reste 40 minutes dans le bus par trajet. Il peut y écouter sa musique avec ses écouteurs et tous les élèves semblent sereins dans ce bus. Il arrive à l’école ou à la maison en étant de bonne composition. C’est donc un plaisir de pouvoir bénéficier de ce service.[7]

Une maman est aussi contente du transport scolaire pour sa fille de 15 ans inscrite dans une école d’enseignement spécialisé de type 2[8]. Elle souhaiterait une évolution pour les adolescents, afin de pouvoir les accompagner vers une plus grande autonomie. Mon mari et moi travaillons tous les deux, nous ne savons pas assurer les trajets pour Mia. Nous n’avons pas d’autre alternative possible que le transport scolaire. Nous souhaitons l’autonomiser sur ses trajets, mais cela va prendre du temps ; il me semblerait pertinent d’accompagner nos jeunes dans l’utilisation des lignes publiques.[9]

Selon Benoit Lengelé, directeur de l’école Joie de Vivre[10], dans la vie scolaire d'un jeune, le seul endroit où il n'apprend rien, c'est dans le bus de ramassage scolaire donc tout enfant qui est retiré du transport scolaire est en situation de progresser. Nous ne pensons pas qu’aucun apprentissage soit possible dans les transports scolaires (vie en groupe, sécurité, respect, etc.), mais d’autres apprentissages pourraient se développer si l’élève utilisait un autre moyen que les circuits spécifiques pour se rendre à l’école.

  • Utilisation des lignes publiques

Certains élèves relevant de l’enseignement spécialisé et bénéficiant du transport scolaire utilisent les lignes de transport publiques :

  • 2068 élèves en Région bruxelloise ;
  • 340 en Région wallonne.

La mise sur ligne publique est privilégiée en Région wallonne pour les élèves relevant des types 1 et 8, en primaire ou en secondaire (avec possibilité de faire une demande justifiée d’utilisation d’un circuit de transport scolaire adapté). À Bruxelles, les élèves fréquentant l’enseignement secondaire des types 1, 3 et 7 et les élèves ayant atteint l’âge de 10 ans et fréquentant l’enseignement de type 8 sont dirigés vers les lignes publiques (avec une possibilité de dérogation en tenant compte du profil de l’enfant, des données familiales et de la complexité du trajet).

Les parents et les écoles ne sont pas toujours favorables au transport des élèves via une ligne publique. Nous avons pu le constater, entre autres, avec le nombre de demandes de dérogations introduites auprès de la commission transport scolaire bruxelloise où nous siégeons. Les parents et les écoles justifient leurs demandes selon les besoins de l’enfant, son manque d’autonomie ou de sens de l’orientation, la complexité du trajet. Ce n’est pas toujours facile de se prononcer face à ces demandes, car les membres de la commission n’ont pas toujours suffisamment connaissance des capacités et limites des élèves concernés. Ces dérogations demandées par les parents sont-elles toujours justifiées ?

Comme le dit la maman d’une élève inscrite dans l’enseignement spécialisé de type 3[11], Sonia (12 ans) n’est pas à l’aise sur les lignes de transport. Je ne veux pas la laisser se déplacer seule en ville. Je trouve important qu’elle puisse se rendre à l’école sur un circuit scolaire, avec un accompagnateur présent pour l’encadrer et la rassurer. Les autres déplacements, elle les fait toujours avec moi ou son papa. Je comprends les autres parents qui pensent comme nous : il faut des adultes présents auprès de nos enfants. [12]

Dans l’autre sens, la maman d’un autre élève inscrit dans l’enseignement spécialisé de type 7[13] explique trouver important de permettre aux élèves, comme Théo, de devenir autonomes sur les lignes publiques. S’ils se débrouillent pour aller à l’école, sur un trajet connu et simple (Théo fait 20 minutes de tram entre la maison et l’école, sans correspondance), ils pourront apprendre d’autres trajets et se déplacer pour aller voir des copains, faire des activités, visiter un membre de la famille, etc. C’est un réel bénéfice pour eux ![14]

  • Accompagnement sur les lignes publiques

En région bruxelloise, des rangs accompagnés sont mis en place sur les lignes de la STIB depuis 2022. Les élèves sur ces rangs sont encadrés par des agents d’accompagnements de la COCOF. Comme l’explique Emmanuel Baufayt, chef de service du transport scolaire, ces rangs ont pour avantage de permettre plus d'autonomie pour les enfants qui les prennent, une meilleure inclusion dans la société. Cela permet de libérer des places à bord de bus classiques pour les enfants qui en ont le plus besoin. [15]

Ce système a ses limites aussi. Emmanuel Baufayt explique que les lieux de domicile des enfants sont parfois éloignés d'un arrêt STIB et rendent impossible la mise en place de rangs pour certains élèves qui en ont les capacités. Pour d’autres élèves, ce sont leurs besoins spécifiques et impacts sur leurs capacités qui freinent la possibilité d’être sur un rang accompagné.

Après deux années d’effectivité, il serait intéressant de pouvoir évaluer le système des rangs. Quels sont les réels bénéfices pour les élèves ? Est-ce possible pour eux de prendre les lignes publiques seuls après un certain temps ? Si oui, après combien de temps ?

  • Est-ce possible partout ?

L’offre de transport sur les lignes publiques n’est pas la même en région wallonne qu’à Bruxelles. Les zones rurales et urbaines ne sont pas égalitaires à ce sujet. Les alternatives aux circuits scolaires sont plus variées en ville. Même entre villes, les réalités ne sont pas les mêmes. Pour permettre plus d’autonomie des élèves sur les lignes publiques, faudrait-il augmenter l’offre ? Cela implique-t-il de créer de nouvelles lignes ? D’avoir une fréquence plus régulière (certains bus ne passent qu’une fois le matin et une fois en fin de journée) ? Avec quel budget ?

De plus, l’offre d’enseignement spécialisé est aussi à améliorer. Comme nous l’expliquons dans notre Mémorandum, le manque d’écoles adaptées à leurs situation à proximité pour certains élèves à besoins spécifiques crée la nécessité du transport scolaire, avec parfois de trop longs trajets pour les élèves. Il apparaît donc nécessaire d’investir dans un élargissement de l’offre, de manière judicieuse.[16] Dans ce sens, il doit y avoir un ajustement entre les offres d’établissements organisant l’enseignement spécialisé et les  circuits de transport scolaire.

Cela doit être réfléchi en parallèle du développement d’une école plus inclusive et du décloisonnement de l’enseignement spécialisé. Si le nombre d’élèves à besoins spécifiques intégrés dans l’enseignement ordinaire augmente, si l’on crée plus de classes à visée inclusive, ces éléments permettront aux élèves à besoins spécifiques d’aller dans une école plus proche de leur domicile.

  • Est-ce possible pour tous ?

Les parents sont parfois tiraillés entre l’envie de donner plus de liberté à leur enfant, lui permettre son autonomie, d’un côté, et un esprit sécuritaire, le besoin de savoir leur enfant encadré, de l’autre côté, qui plus est pour des parents d’enfants avec des besoins spécifiques importants et relevant de l’enseignement spécialisé. Comment concilier ces deux points de vue bien légitimes et contradictoires ?

S’ils veulent proposer des alternatives aux circuits spécifiques, les services du transport scolaire ont tout à gagner à agir en concertation avec les parents pour les mettre en confiance, leur faire part du potentiel pour l’enfant d’un tel apprentissage de l’autonomie, pourquoi pas accompagné dans un premier temps.

Selon les besoins spécifiques des élèves, il faut pouvoir aussi garder des circuits spécifiques. Tous n’ont pas les moyens de circuler en autonomie sur les lignes publiques. Faut-il pour autant instaurer une dépendance à l’adulte pour tous les trajets ? L’école n’aurait-elle pas, elle-même un rôle à jouer dans l’apprentissage d’expériences de mobilité autonome ? Quels moyens sont donnés aux écoles pour faire cet apprentissage essentiel pour l’inclusion sociale des élèves ?

Des écoles spécialisées apprennent, en collaboration avec les parents, l’autonomie dans les transports. Cet apprentissage permet aussi de développer un réseau social en dehors du monde du handicap. Comme en témoigne Vincent Léone, à l’IRSA, et je mesure tout le bénéfice que cela apporte, on peut faire des apprentissages plus spécifiques comme les apprentissages de locomotion. Il y a quelqu’un qui m’a appris à me déplacer en toute sécurité et, ça, c’est tellement utile. Tous les jours, je pense à cette personne.[17]

Pouvoir faire ses déplacements en autonomie, c’est aussi faire partie du groupe de pairs, si important à l’adolescence, et trouver sa place dans l’espace public. Comment dès lors permettre aux élèves à besoins spécifiques d’exprimer leurs capacités d’action individuelle et sociale favorisant leur autonomie ?

Une autonomisation sur les transports publics, cela va de pair avec la mise en place d’une société plus inclusive et d’une sensibilisation de tous aux besoins spécifiques de ces élèves. Comme l’exprime Benoit Lengelé, il faut remettre le jeune au centre de l’attention. Si on veut améliorer l'autonomie, il faut trouver un système pour que le collectif soit davantage attentif à l'individuel. S'il y a quelque chose à réfléchir, c'est au niveau de la responsabilité collective.[18]

Des enjeux pour un service de qualité

Selon Emmanuel Baufayt, l’enjeu majeur est d’offrir un service de qualité aux bénéficiaires. Pour y arriver, nous travaillons sur différents axes : le recrutement et la formation des accompagnateurs scolaires, les relations avec les écoles, la communication avec les parents, la qualité des bus et la collaboration avec les chauffeurs.

L’enjeu essentiel, c’est la qualité du transport pour tous, au regard des besoins des élèves. Nous rejoignons Benoit Lengelé qui défend l’intérêt d’’optimiser la qualité du transport et de le réserver aux élèves pour qui il n'y aura pas d'autres solutions. C’est à comparer à la logique d'amener dans le spécialisé les élèves pour lesquels on aura déterminé que les aménagements raisonnables sont insuffisants.[19]

Tous ces éléments sont essentiels pour un transport scolaire de qualité, les deux services transport scolaire en ont conscience, mais leur en donne-t-on les moyens ?

Un des enjeux principaux du secteur reste un financement à la hauteur des besoins. Dans ce sens, il semble intéressant de développer les alternatives aux circuits spécifiques. Autonomiser les élèves pour qui c’est possible de prendre les lignes publiques, même avec un rang accompagné, permet de donner plus de moyens pour un encadrement adapté des élèves plus jeunes et des élèves ayant des besoins spécifiques plus lourds sur les circuits spécifiques.

Pistes et conclusion

Le transport scolaire est une nécessité absolue pour permettre à de nombreux élèves d’avoir accès à leur établissement scolaire. L’accès à l’éducation est un droit fondamental ! Il faut donc tout faire pour que ce droit puisse être exercé par tous.

C’est pourquoi l’UFAPEC est ouverte au développement d’alternatives supportables pour les élèves sur les lignes publiques. Dans ce cas, il est nécessaire de préparer ces changements avec les élèves et leur famille et de réfléchir ces alternatives dans une optique d’autonomisation des élèves, d’accompagnement vers cette autonomie, tout en veillant à la qualité du trajet et à la sécurité de chacun.

Nous le savons, tout changement fait peur. Il faut donc pouvoir guider les différents partenaires pour que cela soit effectivement bénéfique pour chaque élève et qu’aucun ne soit confronté à des situations impossibles pour elle ou lui.

La problématique du transport scolaire est étroitement liée à l’isolement des écoles spécialisées et au manque d’offre. Et si aller un peu plus loin dans la mise en œuvre de l’école inclusive était une solution parmi d’autres ? Plutôt que de mettre des moyens dans des circuits de transport scolaire, ne serait-il pas plus cohérent et surtout plus humain de leur permettre d’être scolarisés dans une école plus proche de chez eux où ils pourront aussi développer leur autonomisation et leur inclusion au contact des élèves de l’ordinaire ?

 

Alice Pierard

 

 


[1] Lien vers la page du service transport scolaire de la COCOF : Transport scolaire COCOF

[2] Lien vers la page transport scolaire sur le site de la région wallonne : Transport scolaire RW

[3] Service public wallon.

[4] Opérateur wallon du transport, connu sous la dénomination TEC.

[5] Décret du 1er avril 2004 relatif au transport et aux plans de déplacements scolaires, article 2, 6°.

[6] Enseignement destiné aux élèves présentant un retard mental léger.

[7] Propos recueillis le 6 novembre 2024. Par respect pour les parents, les témoignages ont tous été anonymisés.

[8] Enseignement destiné aux élèves présentant un retard mental modéré ou sévère.

[9] Propos recueillis le 10 octobre 2024.

[10] École d’enseignement spécialisé secondaire organisant les types1 et 2, située à Jette. Propos recueillis le 11 octobre 2024.

[11] Enseignement destiné aux élèves présentant des troubles du comportement.

[12] Propos recueillis le 15 octobre 2024.

[13] Enseignement destiné aux élèves présentant des déficiences auditives.

[14] Propos recueillis le 14 novembre 2024.

[15] Emmanuel Baufayt, conseiller chef de service de la formation professionnelle et du transport scolaire à la COCOF. Propos recueillis le 28 octobre 2024.

[16] Mémorandum UFAPEC, 2024, Mémorandum UFAPEC 2024, p. 84.

[17] Propos recueillis, par Dominique Houssonloge, le 14 mai 2024 dans le cadre de notre étude sur la réussite dans l’enseignement spécialisé. Pour lire l’étude : HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ? étude UFAPEC 2024 n°13.24 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1324-et2-reussite-ens-specialise.html

[18] Propos recueillis le 11 octobre 2024.

[19] Idem.

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