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Les menstruations : un sujet tabou à l'école ?
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25.25/ Les menstruations : un sujet tabou à l'école ?
Introduction
À l’adolescence, les premières menstruations arrivent. Les jeunes filles découvrent les tracas qui y sont liés : gêne, moqueries, questions, besoin d’information, coût des produits menstruels, douleurs, etc.
Reconnue comme telle par l’organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2022, la question des menstruations concerne la santé et les droits humains. Le sujet devient de moins en moins tabou, mais il reste sensible alors que cela fait partie de la vie, c’est un phénomène biologique.
Parler des menstruations soulève des questions sociales, culturelles et économiques. Il y a des enjeux de santé publique, de société, d’égalité et de dignité humaine. Quelle information donner aux adolescentes ? Quel accès aux produits menstruels et à des sanitaires propres ? Quelle prise en compte de la précarité menstruelle ?
L’école est le lieu où les adolescentes passent le plus temps. Comment prendre en compte les menstruations à l’école ? Quelle sensibilisation faire auprès des élèves ? Comment en faire un sujet de discussion ouvert, bienveillant et serein ?
Les menstruations, encore un tabou ?
Le sujet reste sensible, car il touche à la sphère de l’intime. Comme le partage le gynécologue obstétricien Michel Scourneau, en Europe, le sujet est plus facilement abordé, même s’il peut encore susciter des moqueries, particulièrement chez les adolescents. À l’école, les incidents liés aux règles, la gestion des protections hygiéniques et l’intimité restent problématiques pour de nombreuses jeunes filles.[1]
Céline Teret, coordinatrice pédagogique du service éducation permanente de l’asbl Question Santé, précise que les élèves manquent souvent d’explications sur le cycle menstruel et ses impacts, dans le corps, dans les relations ou encore sur la manière de « gérer » ses règles.[2]
Comment grandir avec l’image d’un phénomène normal si on n’en parle pas ? Les élèves ont besoin de comprendre ce qui se passe dans leur corps, d’en parler avec des adultes de confiance. Ont-elles un adulte de confiance à la maison ? Se sentent-elles à l’aise pour en parler avec leurs parents ? Vu la diversité des situations familiales, une sensibilisation et une information à l’école sont essentielles.
Qui doit endosser ce rôle à l’école ? Les enseignants ? Le service PSE ? Le centre PMS ? Un acteur externe comme le planning familial ? Tout porte à croire qu’il s’agit d’une affaire d’équipe. Qu’il s’agisse d’information et de sensibilisation dans le cadre de l’EVRAS, d’éléments abordés dans les cours de sciences ou d’éducation physique, en parler de façon décomplexée à l’école est un moyen de lever le tabou.
À partir de quand en parler ? Des services PSE font une sensibilisation systématique en 6e primaire. L’âge moyen des premières menstruations est celui de 12 ans, mais des filles de 5e et 6e primaire sont déjà concernées. Les infirmières du services PSE de Jolimont vont dans leurs écoles primaires partenaires pour mener une animation sur la physiologie pubertaire dans le cadre de la thématique « Le corps et le développement humain tant des garçons que des filles » du programme EVRAS. L’objectif est d’aborder avec les élèves les changements du corps au moment de la puberté. Le sujet des règles y est évidemment traité : d’où viennent-elles, à quoi ça sert, qu’est-ce qu’un gynécologue ou même comment juger l’information qui circule.[3]
Une information claire, c’est la base. Comme l‘explique Annabelle Duaut, coordinatrice du service laïque d’action citoyenne du Brabant Wallon, ne pas nommer ou mal nommer les menstruations revient à ne pas les faire exister, dans la langue française mais aussi par conséquent dans l’imaginaire et la réalité.[4] Être indisposée, avoir ses ragnagna, etc. Il existe beaucoup de termes pour tourner autour du pot au lieu de parler clairement des menstruations. Il ne faut pas chercher à cacher ou en faire quelque chose de gênant, humiliant, répugnant, car il s’agit d’un cycle naturel. Utiliser le terme « protection hygiénique » donne une impression de saleté, d’impureté. Il semble plus judicieux de parler de produit menstruel ou périodique.
Quelle prise en compte de la précarité menstruelle ?
Selon une étude menée en Belgique en 2021 par iVox, la précarité menstruelle concerne de nombreuses femmes. Une personne sur 15 déclare être en situation de précarité menstruelle et n’avoir pas toujours les moyens de s’acheter des produits menstruels chaque mois. C’est le cas pour une personne sur dix âgée entre 12 et 25 ans en Belgique. [5]
En 2025, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, Céline Teret évoque les résultats d’une enquête annonçant que trois répondantes sur dix rencontrent plus ou moins régulièrement des difficultés financières liées à l’achat de leurs protections périodiques tous les mois. 29 % des répondantes âgées de 12 à 25 ans se sont déjà trouvées en situation de précarité menstruelle.[6]
Les impacts de cette précarité menstruelle sont multiples.
- Des conséquences d’ordre sanitaire : fabrication artisanale de produits menstruels (mouchoir, essuie-tout, tissus), risque de développer des infections, obligation de choisir quels produits de première nécessité acheter, etc.
- Des conséquences d’ordre social : mise en danger en cas de vol de produits, exclusion sociale du fait de leur absence à l’école ou au travail en période de menstruation, risque de décrochage scolaire.
Selon l’étude menée par iVox, la précarité menstruelle conduit 25.000 jeunes filles à manquer l’école régulièrement. Ce qui les expose davantage à un risque de décrochage, freine leur participation à des activités scolaires, les mène vers le repli sur soir, et donc, in fine, à une situation de relégation dans une voie qu’elles n’auraient pas choisie.[7]
Veronica Martinez, fondatrice et directrice de l’association Bruzelle[8], détaille le phénomène en expliquant ses trois dimensions. La dimension financière implique le fait de devoir faire des choix entre produits de première nécessité. La dimension sanitaire soutient le besoin d’accès à un espace propre, adapté et sécurisé pour se changer sereinement. La dimension informative et éducative demande un travail de sensibilisation, comme le fait son association. [9] L’école est-elle le premier lieu où mener ces sensibilisations ?
Des actions dans les écoles
L’école doit jouer un rôle essentiel d’information et de soutien face aux menstruations. Selon Laura Lequeu, fondatrice de l’ASBL Toi Mon Endo, il peut s’agir de gestes simples mais concrets, comme autoriser un accès plus souple à l’infirmerie, adapter temporairement les horaires ou les efforts physiques, accepter l’usage de bouillottes, d’appareils TENS (Neurostimulation électrique transcutanée) ou de médicaments avec autorisation parentale. Mais surtout, il s’agit de créer un climat de confiance où la parole peut se libérer, sans tabou ni jugement.[10]
Sur le terrain, des séances d’information et de sensibilisation se font. Des actions se mettent en place, parfois à l’initiative ou avec la collaboration des élèves. Il peut s’agir de mettre un distributeur de produits menstruels dans les toilettes pour faire face au coût, à l’imprévisibilité et à l’irrégularité des cycles, de désigner une personne de confiance vers qui les jeunes filles peuvent se diriger, de permettre d’aller aux toilettes pendant les cours. Il faut penser des actions pour et par les élèves, car leur implication est essentielle pour s’approprier la démarche.
Comme l’explique Sara, 15 ans, à l’école, nous avons participé à la création de boites pour mettre à disposition des produits périodiques dans toutes les toilettes de l’école. Ce projet a débloqué une gêne par rapport aux règles, même de la part des garçons, car ils y ont aussi participé. Depuis, les réactions sont différentes lorsque les profs en parlent en cours, comme en biologie, ou lorsque le centre PMS vient faire une sensibilisation dans l’école. Il y a beaucoup moins de rires gênés.[11]
Lors de sensibilisations dans les écoles, il y a la question du respect des cultures, car dans certaines cultures, les menstruations sont réellement un sujet tabou (rapport à l’intimité, croyances culturelles et religieuses). Faut-il dès lors tout de même le lever ? Faut-il aller au-delà des idées, des souhaits et des valeurs des familles ? Même si l’information est essentielle, ne risque-t-on pas de placer les jeunes filles dans un conflit de loyauté ?
Chaque action a ses limites. Quelle gestion du stock d’un distributeur ? Où le placer ? Devoir demander des produits menstruels à l’infirmerie, est-ce facile pour toutes les élèves ? Qui désigner comme adulte de confiance dans l’école ? En avoir un seul ou plusieurs ? Comment assurer l’accessibilité et la propreté des sanitaires ?[12] Quel respect du rythme biologique ? Quand permettre d’aller aux toilettes sans risquer des abus ?
Même si les questions restent nombreuses, chaque école peut faire de petites choses, à son échelle. Comme l’explique Céline Teret, il s’agit de lever le tabou des règles et de leur gestion à l’école. Cela passe par un climat bienveillant, via des espaces formels et informels permettant aux filles d’aborder en toute confiance ces questions intimes.[13] L’informel se traduit par une grande solidarité féminine, mise en place entre les élèves. Il peut s’agir de regarder si une copine n’a pas de tache sur son pantalon, de fournir des produits menstruels en cas d’oubli, de rester devant la porte des toilettes s’il n’y a pas de verrou. Sara partage son vécu. Avec les copines, on est hyper solidaires. Il y en a toujours pour donner un tampon ou une serviette quand une autre en a besoin. On se soutient aussi quand l’une de nous se sent mal, que ce soit pour en parler au prof ou l’accompagner à l’infirmerie.
Sara évoque les douleurs dans son témoignage. Celles-ci posent plusieurs questions. Quelle disponibilité aux apprentissages en cas de menstruations, surtout si elles sont accompagnées de fortes douleurs ? Les enseignants peuvent-ils accepter la prise de médicaments ? Est-ce à considérer comme une absence justifiée ? Ces douleurs risquent-elles de générer de l’absentéisme et, par la suite, du décrochage scolaire ?
La douleur lors des règles est variable, car le vécu de chacune est singulier. Comme Michel Scourneau le souligne encore : la douleur des femmes est souvent banalisée, un peu comme dans l’histoire du garçon qui criait au loup. La répétition mensuelle des plaintes conduit sans doute à une forme de désensibilisation, que ce soit dans le milieu médical ou familial. Le corps médical peut avoir tendance à minimiser cette douleur en raison du peu de moyens disponibles pour y répondre.[14]
Conclusion
Parler ouvertement des menstruations et tenter de trouver des solutions aux problèmes qui y sont liés à l’école, c’est agir concrètement pour accompagner les adolescentes dans leur vécu singulier de leur féminité, leur donner confiance pour la suite et les outiller pour leur vie de femme. Les sensibilisations et actions menées à l’école doivent se faire dans le respect de chacun et chacune.
Les menstruations soulèvent des problématiques sociétales plus larges comme les inégalités de genre, la précarité économique, l’hygiène et l’accès aux sanitaires et le respect de droits humains fondamentaux. Une éducation, une information et une sensibilisation de tous s’inscrit dans une lutte pour l’égalité et la justice sociale.
Former les équipes pédagogiques et les services de santé scolaire à ces enjeux (services PMS et centre PMS) pour leur permettre d’aborder ouvertement et sereinement la question des menstruations à l’école, c’est poser les bases d’une école plus inclusive et plus humaine.
Afin de respecter les droits humains liés aux menstruations à l’école, comme c’est déjà le cas dans différents lieux publics, pour l’UFAPEC, il semble essentiel :
- de permettre aux filles et adolescentes de se rendre, quand le besoin se fait sentir, aux toilettes pour assurer leur hygiène intime ;
- d’assurer la propreté des sanitaires scolaires ;
- de mettre à disposition des produits menstruels dans les écoles pour lutter contre la précarité menstruelle.
Le personnel enseignant compte 70 % de femmes. Prendre en compte les menstruations à l’école, c’est aussi donner une place à leur vécu et, sans doute, participer au fait que ce phénomène naturel ne soit désormais plus un tabou.
Alice Pierard
[1] VERSELE M., « Les règles, le sang et la douleur », dossier « Les règles, un tabou mensuel », in Éduquer, n°192, mars 2025, p. 19.
[2] TERET C., « Les règles à l’école : lever le tabou et agir », dossier « Les règles, un tabou mensuel », in Éduquer, n°192, mars 2025, p. 26.
[3] Question Santé asbl, « parler des règles c’est le démystifier », 25 juin 2025, « Parler des règles, c’est les démystifier » | Question Santé A.S.B.L.
[4] DUAUT A., « Règles et ménopause : encore de lourds tabous », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p. 12.
[5] VERSELE M., « Règles et précarité menstruelle : quand l’intime est politique », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p. 31.
[6] TERET C., « Les règles à l’école : lever le tabou et agir », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p 28.
[7] VERSELE M., « Règles et précarité menstruelle : quand l’intime est politique », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p. 31.
[8] BruZelle est une association qui lutte activement contre la précarité menstruelle et le tabou autour des règles sur tout le territoire belge depuis 2016. Bruzelle
[9] VERSELE M., « Règles et précarité menstruelle : quand l’intime est politique », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p. 30.
[10] Question Santé asbl, « Endométriose : il est essentiel de rassurer les jeunes tout en informant », 26 juin 2025, Endométriose : « Il est essentiel de rassurer les jeunes tout en informant » | Question Santé A.S.B.L.
[11] Témoignage recueilli le 9 décembre 2025. Par respect de l’anonymat, le prénom a été modifié.
[12] Dans d’autres publications, l’UFAPEC s’est déjà emparée des questions autour des sanitaires à l’école. Voir LORIERS B., Réhabiliter collectivement les sanitaires à l’école, pour un bien-être propice aux apprentissages ?, analyse 2015, https://www.ufapec.be/nos-analyses/1015-sanitaires-scolaires.html - LORIERS B., A l’école, des tickets pour aller aux toilettes ?, analyse 2020, https://www.ufapec.be/nos-analyses/0420-toilettes.html - LORIERS B., Toilettes scolaires insécurisées, est-ce une fatalité ?, analyse 2023, https://www.ufapec.be/nos-analyses/0423-violences-toilettes.html
[13] TERET C., « Les règles à l’école : lever le tabou et agir », dossier « Les règles, un tabou mensuel », op. cit., p. 29.
[14] VERSELE M., « Les règles, le sang et la douleur », dossier « Les règles, un tabou mensuel », in Éduquer, n°192, mars 2025, p 19.
