Analyse Ufapec décembre 2013 par D. Houssonloge

35.13/ L'accueil des Primo-arrivants à l'école, dispositifs législatifs.

Introduction

Mo va-t-elle aussi à l’école ? (Mo est une petite fille qui vient d’arriver en Belgique et dont les parents ont demandé l’asile).

Oui. En semaine, Mo prend le bus pour aller à l’école, ou bien papa ou maman la conduisent. Dans la classe de Mo, il y a des enfants belges et elle y apprend très vite le français. Si elle ne parle pas encore très bien le français, elle suit d’abord des cours dans une classe passerelle, adaptée spécialement à sa situation.

Le soir, Mo fait ses devoirs dans la classe de devoirs organisée dans le centre d’accueil. Après, elle peut regarder la télé ou jouer avec ses amis au centre.[1]

C’est ainsi que la brochure tout en couleurs de Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, explique aux enfants la réalité quotidienne et la scolarité d’un enfant primo-arrivant. C’est à l’école que l’enfant va passer la majeure partie de son temps, c’est à  l’école qu’il trouvera un espoir d’intégration.

Aujourd’hui, contrairement à Mo, les élèves primo-arrivants ne vont plus dans des classes passerelles, et nous verrons pourquoi plus loin. Néanmoins, le terme est évocateur de l’énorme transition que l’enfant va vivre dans sa scolarité en arrivant en Belgique. Nouvelle vie, nouveau pays et parfois nouveau continent, nouvelle culture et parfois nouvelle langue, nouvelle école et parfois première école, nouveau système scolaire tout cela dans une situation d’incertitude quant à la possibilité de rester ou pas dans le pays.

Dans cette analyse, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce qui est mis en place en Fédération Wallonie-Bruxelles pour accueillir au mieux les jeunes primo-arrivants, leur permettre d’être scolarisés et, en fin de compte, de s’intégrer ? Pourquoi un nouveau décret dit DAPSA a-t-il vu le jour en 2012 ?[2]

Des classes passerelles au DASPA

En attendant que le monde politique ou que le gouvernement mette des choses en place pour éviter la ghettoïsation de quartiers et donc des écoles, la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté un nouveau décret. Le 18 mai 2012, le décret DASPA ou Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants a été voté à l’unanimité.[3]

La Belgique, par sa loi du 25 novembre 1991 portant approbation de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 ainsi que par sa loi du 26 juin 1953 portant approbation de la Convention internationale relative au statut des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951, a clairement montré son intention de faire bénéficier tout enfant en âge de scolarité d’un enseignement adapté à ses besoins. Précédemment à la loi du 25 novembre 1991, la Communauté française avait déjà approuvé, par son décret du 3 juillet 1991, la Convention relative aux droits de l’enfant.

Par la suite, dans son décret du 30 juin 1998 visant à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale notamment par la mise en œuvre de discriminations positives, cette même Communauté française a considéré comme de son devoir d’assurer le service de l’Education à tous les mineurs, qu’ils soient ou non en séjour légal sur le territoire.

Le décret du 14 juin 2001 relatif à l’insertion des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française, s’inscrivait dans cette ligne, tout en proposant d’adapter l’enseignement aux spécificités des élèves primo-arrivants. Le législateur avait aussi précisé que ne pas prendre en compte ces enfants et ces adolescents, ce serait également pénaliser les écoles qui les accueillent et, à travers elles, les autres élèves de ces écoles. Le décret avait  pour objectif de donner les moyens d’une insertion optimale par le biais de la mise en place de classes passerelles dans les écoles à proximité des centres d’accueil et dans un certain nombre – fixé par décret – d’écoles dans la région de Bruxelles-Capitale. En 10 ans, dans la mesure où l’accueil et la scolarisation des enfants et des jeunes migrants a changé de visage, il importe que le dispositif des classes passerelles évolue pour mieux rencontrer la nouvelle réalité des mineurs primo-arrivants en âge de scolarisation et des équipes pédagogiques qui les accueillent. »[4]

Au vu de la nouvelle réalité de l’accueil des mineurs primo-arrivants et de la tâche des équipes pédagogiques, au vu aussi des difficultés soulevées par les acteurs de terrain, ce nouveau décret renforce et assouplit le dispositif des classes passerelles mis en place par le décret de 2001 et dont l’objectif était d’insérer au mieux les élèves primo-arrivants dans les écoles à proximité des centres d’accueil et dans des écoles de Bruxelles.[5]

Depuis 2012, on ne parle plus de classes passerelles mais de « Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants » pour insister sur la responsabilité collective de l’équipe pédagogique de l’établissement, lequel bénéficie désormais d’un encadrement supplémentaire.[6]

L’élève inscrit dans un DASPA y restera entre une semaine et un an, de date à date. Cette durée pourra être prolongée de six mois maximum. Outre les objectifs généraux de l’enseignement, l’enseignement dans un DASPA se focalise sur l’apprentissage intensif de la langue française pour ceux qui ne la maîtrisent pas suffisamment, et une remise à niveau

Parmi les avancées apportées par le nouveau décret soulignons que le nouveau décret précise les objectifs spécifiques à ce dispositif par rapport à d’autres dispositifs existants : assurer l’accueil, l’orientation et l’insertion optimale des élèves primo-arrivants dans le système éducatif de la Communauté française; proposer un accompagnement scolaire et pédagogique adapté aux profils d’apprentissage des élèves primo-arrivants, notamment les difficultés liées à la langue de scolarisation et à la culture scolaire; proposer une étape de scolarisation intermédiaire et d’une durée limitée, conformément à l’article 8 du présent décret, avant la scolarisation dans une classe de niveau.

Par ailleurs, le nouveau dispositif aménage de nouvelles solutions principalement sur les 8 points suivants :

1.    L’appellation : le concept de Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants (DASPA) vise à insister sur la responsabilité collective de l’équipe pédagogique de l’établissement

2.    Les bénéficiaires du dispositif : est considéré comme élève primo-arrivant tout mineur de 2,5 à 18 ans en procédure de demande de reconnaissance de la qualité de réfugié, soit est ressortissant d’un pays bénéficiaire de l’aide au développement repris dans la liste établie par le Comité d’aide au développement de l’OCDE (en vigueur au moment de son application), soit est apatride et est arrivé en Belgique depuis moins d’un an. Par ailleurs, le nouveau décret prévoit que tout élève étranger ou adopté qui ne connaît pas suffisamment la langue française pour s’adapter avec succès aux activités de sa classe, sans toutefois avoir la qualité de primo-arrivant, peut également bénéficier du DASPA dans l’enseignement secondaire.[7]

3.    Le calcul de l’encadrement : il s’agit à présent d’un système qui tient compte du nombre d’élèves primo-arrivants réellement inscrits et fréquentant l’établissement scolaire bénéficiaire du DASPA. Si un montant forfaitaire de périodes est prévu au départ, celui-ci est majoré ensuite en fonction du nombre d’élèves inscrits dans le DASPA. Pour tenir compte des variations continuelles dans le nombre d’élèves accueillis, le nombre d’élèves est calculé sur base de moyennes mensuelles. L’encadrement est maintenu tout au long de l’année scolaire

4.    La pérennisation : contrairement à ce qui se passait jusqu’ici, le DASPA est reconduit automatiquement d’année en année pourvu qu’il respecte une norme de maintien. En vitesse de croisière, la norme de maintien se base sur la fréquentation moyenne des deux années scolaires précédentes pour éviter de figer la situation à une date donnée. La reconduction automatique du DASPA, sauf non-respect des normes de maintien, pérennise le DASPA au sein de l’école et favorise la construction d’un projet d’établissement qui intègre le DASPA

5.    Le nombre de DASPA : le nombre de DASPA a également augmenté. Il en existe aujourd’hui 74. En région de langue française, le Gouvernement peut organiser ou subventionner un DASPA au niveau de l'enseignement primaire ou secondaire dans les communes aisément accessibles depuis un centre qui accueille au moins huit mineurs âgés de 5 à 12 ans respectivement pour l'enseignement primaire ou huit mineurs âgés de 12 à 18 ans respectivement pour l'enseignement secondaire, qui répondent à la définition d'élèves primo-arrivants.[8]

6.    Le soutien aux écoles primaires de petite taille : le nouveau décret prévoit expressément la possibilité d’organiser une partie du DASPA organisé par une école primaire dans le centre d’accueil. Il s’agit de prendre en compte les situations locales où les écoles à proximité du centre sont trop petites que pour pouvoir intégrer rapidement un nombre important de primo-arrivants : la scolarisation des enfants primo-arrivants en deux temps, d’abord dans le centre puis à l’école, sera bénéfique tant pour ces enfants-là que pour les autres enfants de l’école. Cependant, pour respecter l’objectif prioritaire du décret (qui, pour rappel, est celui d’une intégration optimale des enfants primo-arrivants au sein de la société du pays d’accueil), cette modalité d’organisation est subordonnée à deux conditions : un accord exprès du Gouvernement et par ailleurs une intégration progressive des élèves primo-arrivants dans les classes ordinaires

7.    La formation en cours de carrière et l’encadrement pédagogique des enseignants concernés

8.    L’attestation d’admissibilité dans l’enseignement secondaire. Il ne s’agit plus de limiter cette possibilité aux seuls mineurs demandeurs d’asile, mais de l’étendre à tout mineur primo-arrivant au sens strict, quel que soit son statut au regard de sa demande de séjour, à partir du moment où il ne peut prouver sa réussite ou fréquentation scolaire antérieure et où il a été scolarisé pendant un minimum de 6 mois en DASPA.

Dans les faits, où en est-on ?

Il s’agit d’une belle avancée. Néanmoins c’est encore insuffisant vu les énormes besoins des élèves en la matière. Dans certaines régions comme Namur, des directeurs témoignent de la difficulté d’ouvrir une classe DASPA alors que les besoins sont bien là. Par ailleurs, Lorsqu’ils réintègrent une classe ordinaire, beaucoup d’élèves qui viennent d’une classe DASPA sont en échec voire en décrochage parce qu’ils n’ont pas pu récupérer leur retard soit dans la maitrise du français soit dans les autres compétences, nombre d’entre eux ayant été peu ou pas scolarisés dans leur pays d’origine.

Une autre difficulté qui se présente cette année est de pouvoir maintenir les classes DASPA suite à la diminution du nombre de personnes réfugiées. Les centres d’accueil tentent d’avoir le quota de minimum : huit élèves pour le primaire et huit pour le secondaire comme en témoigne Henryk Chojnacki, le référent scolaire du centre d’accueil pour réfugiés de Rixensart. Une piste sera peut-être, explique Thierry Pire, son directeur, de spécialiser les centres. Seuls certains d’entre eux accueilleraient les enfants, accompagnés de leur famille ou seuls sur le territoire. Des dérogations ont été approuvées par le Gouvernement, explique Marianne Tilot, Conseillère au Cabinent de la Ministre Marie-Martine Schyns pour l’enseignement obligatoire, pour que les DASPA soient maintenus jusqu’en juin 2014.

Une autre difficulté majeure à laquelle et les écoles et le  législateur sont confrontés c’est la grande mouvance des élèves primo-arrivants et de leur famille. Difficile dès lors de permettre un suivi et une stabilité dans la scolarité du jeune exposé en raison de son statut à des déménagements répétés d’un centre à  l’autre, d’une école à l’autre voire d’une région linguistique à l’autre. De tristes conditions pour l’intégration d’un élève malgré tout ce que l’école peut mettre en place.

Pistes et conclusion

Au vu de la nouvelle réalité de l’accueil des mineurs primo-arrivants et de la tâche des équipes pédagogiques, au vu aussi des difficultés soulevées par les acteurs de terrain, ce nouveau décret renforce et assouplit le dispositif des classes passerelles mis en place par le décret de 2001 et dont l’objectif était d’insérer au mieux les élèves primo-arrivants dans les écoles à proximité des centres d’accueil et dans des écoles de Bruxelles.[9]

Depuis 2012, on ne parle plus de classes passerelles mais de « Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des Primo-Arrivants » pour insister sur la responsabilité collective de l’équipe pédagogique de l’établissement, lequel bénéficie désormais d’un encadrement supplémentaire.[10]

Le décret DASPA, ainsi que les programmes OLC, Ouverture aux Langues et aux Cultures[11], contribuent à un accueil amélioré et une meilleure prise en charge des élèves primo-arrivants, mais ne suffisent pas encore. Sur le long terme, l’école dite « de la réussite »[12] est encore loin du compte pour donner des chances égales de réussite à tous ses élèves et notamment à ceux issus de l’immigration, soit près de deux élèves sur dix. A chacun d’entre nous de prendre la mesure des enjeux et des gains d’une intégration réussie. Le gaspillage de talents et la production quasi spontanée d’exclus sociaux sont dramatiques pour les jeunes concernés, mais aussi pour notre société toute entière.

En conclusion, pour les primo-arrivants, malgré des avancées appréciables au niveau législatif, malgré l’investissement de l’école et de ses enseignants, réussir à l’école pour pouvoir s’intégrer dans la société reste un parcours difficile et semé d’embûches. Le soutien de la communauté éducative et du centre d’accueil sont un réel plus pour rendre ce parcours praticable.

 

Dominique Houssonloge

 

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[1]Fedasil. La maison de Mo. 2005 - http://www.fedasil.be/fr/home/publications

[2]Voir nos autres analyses sur la question des élèves immigrés via le lien http://www.ufapec.be/nos-analyses/

[3]Parlement de la Communauté française. Projet de décret visant la mise en place d’un dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française. Session 2011-2012. 23 avril 2012 – http://archive.pfwb.be/10000000109b096

[4]Parlement de la Communauté française. Projet de décret visant la mise en place d’un dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants dans l’enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française. Session 2011-2012. 23 avril 2012 - http://archive.pfwb.be/10000000109b096

[5]Op. cit.

[6]Parlement de la Communauté française. Session 2011-2012. 23 avril 2012 - http://archive.pfwb.be/10000000109b096

[7]Op. cit

[8]Décret visant à la mise en place d'un dispositif d'accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants dans l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française du 18 mai 2012. http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/api2.pl?lg=fr&pd=2012-06-22&numac=2012029269

[9]Op. cit.

[10]Parlement de la Communauté française. Session 2011-2012. 23 avril 2012 - http://archive.pfwb.be/10000000109b096

[11]http://www.enseignement.be/index.php?page=24435

[12]Décret Missions de 1997

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