Coût du qualifiant pour les familles : un frein à l'accessibilité de certaines filières ?

22 août 2023

Introduction

L'idée de cette étude est née dans le cadre d’un mandat occupé par l'UFAPEC au conseil supérieur des allocations d’études. Notre association y représente et défend les intérêts des parents de l'enseignement secondaire et elle y a, entre autres, suggéré d’adapter le montant des allocations d’études secondaires en tenant compte du surcoût pour les familles d’élèves fréquentant l’enseignement qualifiant (technique de qualification et professionnel). La scolarité des élèves dans le qualifiant génère, en effet, des frais d’équipement de sécurité, de matériel particulier, d’outillage que les élèves suivant la filière de transition n’ont pas. À cela se rajoutent les frais de transport pour se rendre sur les lieux de stage. Et ce n’est un secret pour personne, les écoles organisant l’enseignement de qualification accueillent globalement un public plus défavorisé. C’est donc la double peine pour ces enfants et leurs familles. Par ailleurs, en plus d'être difficilement accessible, le système des allocations d'études ne prend pas du tout en considération les coûts réels de la scolarité des élèves de l'enseignement obligatoire. Mais, est-ce vraiment la solution d'adapter le montant des allocations d’études en fonction des filières dans le secondaire qualifiant alors que l'on sait que les potentiels bénéficiaires, surtout au niveau des allocations d'études secondaires, n'en font pas la demande pour de multiples raisons ? Ne faudrait-il pas plutôt travailler à une réelle gratuité de l'école et à une automatisation des droits ?

Retours des parents d’élèves de l’enseignement qualifiant

Durant les mois de septembre et octobre 2022, nous avons réalisé une enquête auprès des parents d’élèves inscrits dans une filière de qualification dans les établissements de l’enseignement catholique. L’objectif de cette enquête était, d’une part, de mieux connaitre la nature et l’ampleur des frais scolaires liés spécifiquement aux filières de qualification et, d’autre part, d’évaluer le degré de connaissance des parents par rapport à la législation scolaire et aux aides financières.

Nous avons reçu un total de 172 réponses de parents de toutes les années concernées sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles (132 répondants avec des enfants dans l’enseignement technique de qualification (76,5 %) et 40 répondants avec des enfants dans l’enseignement professionnel (23,5 %)). Vu le taux de réponses et le nombre de réponses par filière ou option, il s’agit d’un apport qualitatif plutôt que quantitatif à notre étude. Toutefois, notre travail de recherche ne nous a pas permis de trouver par ailleurs d’enquête sur le sujet à échelle équivalente ou supérieure.

Les différences importantes dans les réponses sont liées à la diversité des filières représentées parmi les répondants. Les élèves inscrits dans une filière sociale (52 réponses) auront effectivement d’autres frais que les élèves inscrits dans une filière électricité ou mécanique (31 réponses), artistique (20 réponses) ou hôtelière (20 réponses). Ces quatre domaines sont les plus représentés parmi les répondants à notre enquête.

47 % des répondants ont des frais d’outillage professionnel et ils peuvent aller de 10 € à 1.200 € pour l’année scolaire. La moyenne globale est de 234 € par année scolaire.

Les filières pour lesquelles ces frais sont les plus importants sont l’hôtellerie-restauration et les techniques sociales.

38 % des répondants ont des frais d’équipement de protection individuelle ou de tenue de travail qui peuvent aller de 20 € à 460 € pour l’année scolaire. La moyenne globale est de 139 €. Les filières pour lesquelles ces frais sont les plus importants sont l’hôtellerie-restauration et les métiers de la sécurité. Ce sont deux filières où la tenue, mais aussi la coiffure pour l’hôtellerie-restauration, sont fort réglementées.

 

La fréquentation d'un lieu de stage constitue pour 44 % des répondants une source de dépenses supplémentaires (frais de transport, équipement et matériel spécifique). Pour ce qui est des stages et des frais y afférant, il s’agit surtout du transport jusqu’au lieu de stage (pour toutes les filières), mais aussi de l’équipement (pour les filières artistiques, de la construction, électricité et mécanique et l’hôtellerie-restauration) et de matériel spécifique (pour les filières de la construction, hôtellerie-restauration et commerciale). Avec une moyenne globale de 124 € pour les frais liés au stage, ces frais varient selon les filières. Les filières pour lesquelles ces frais sont les plus importants sont la construction et l’usinage.

Que retenir de cette enquête ?

Il y a de réelles disparités au niveau des frais scolaires liés à l’enseignement qualifiant, surtout selon les filières métiers. Et on constate aussi des différences, selon les réponses des parents, au sein d’une même filière. En effet, selon les options dans une même filière, il peut y avoir de grandes différences. Par exemple, entre les différents métiers de la construction, les frais sont plus importants en menuiserie qu’en maçonnerie.

En termes de connaissance et respect du cadre légal, nous avons épinglé deux points qui interrogent. Le premier concerne le fait que les parents évoquent peu les aides proposées par les écoles (location de matériel, achat groupé, échelonnement du payement[1], fonds de solidarité[2]). Est-ce parce que l’école de leur enfant n’offre pas cette aide, parce qu’ils n’en ont pas connaissance, parce qu’ils n’en ont pas besoin ? Ce phénomène est interpellant au regard de ce que prévoit la législation. Et le second point est relatif au fait qu’en cours d’année, certains parents ne connaissent toujours pas l’ampleur des frais liés à la scolarité de leur enfant pour l’ensemble de l’année scolaire. Or la transmission par l’école, au début de chaque année scolaire, d’une estimation globale des frais prévus pour toute l’année est pourtant obligatoire. Pour rappel, notre questionnaire en ligne était accessible du 19 septembre au 21 octobre 2022.

Quelle que soit la filière, les parents se rejoignent dans leurs suggestions en matière de frais scolaires :

  • moins de frais, voire la gratuité des frais scolaires ;
  • la fourniture de matériel par l’école ou le développement de la vente de seconde main pour limiter les frais ;
  • la gratuité des livres, manuels et photocopies ;
  • un accès plus facile aux bourses d’études ;
  • une connaissance préalable des frais;
  • la gratuité des frais de transport.

Interviews d’acteurs de première ligne : perspectives et regards croisés

Comme ce questionnaire était en ligne, écrit et en français, nous n'avons pas récolté les avis des parents qui n'ont pas la maîtrise de l'écrit, du français ou qui rencontrent des difficultés avec l'informatique. Aussi avons-nous interviewé de manière complémentaire des acteurs de première ligne tels que des directions d'écoles, le réseau wallon de lutte contre la pauvreté, la fédération des CPAS de Wallonie, le service de lutte contre la pauvreté, la précarité, le délégué général aux droits de l'enfant, afin de faire aussi entendre la parole de ceux que l’on nomme souvent les sans-voix. Et ils se rejoignent sur le surcoût des filières qualifiantes qui sont majoritairement fréquentées par des enfants de familles défavorisées. De plus, ces enfants arrivent le plus souvent dans ces filières par relégation et non par choix. Aussi vont-ils papillonner, changer d’options et donc de matériel et d’équipement. Ils relèvent également que les familles préfèrent se saigner pour acheter un matériel coûteux et l'équipement individuel requis plutôt que de souscrire au système de location mis en place par l'école et ce pour plusieurs raisons. Les familles ne sont pas au courant ou alors, elles veulent éviter les problèmes et redoutent que le matériel prêté ou loué revienne en mauvais état. Les familles qui vivent dans la pauvreté sont pointées du doigt et stigmatisées, elles sont prêtes à s'endetter et développent des mécanismes d'adaptation face à ce surcoût : inscription de leur enfant dans le spécialisé, emprunt d'argent, débrouille des enfants pour épargner les parents… Les caisses de solidarité mises en place par les écoles ne semblent pas non plus être une réponse adéquate au coût des frais scolaires. Les critères de sélection pour avoir droit à l’intervention de cette caisse ne sont pas clairs et dépendent d’une école à l’autre : choix subjectif et arbitraire, démarche vécue comme humiliante par les demandeurs ou méconnaissance du dispositif lui-même. Ce fonds est d’ailleurs alimenté par la poche des parents et récolté parfois de manière très maladroite. Et, selon les directions interrogées, ce qui est récolté est largement inférieur à ce que l'école met en œuvre pour les élèves en difficulté financière. Ces fonds s’apparentent davantage à un emplâtre sur une jambe de bois qu’à une véritable réponse structurelle.

Tous les acteurs ont aussi rappelé que les équipements informatiques demandés par les écoles grèvent également le budget des ménages. Tout le monde est unanime sur la nécessité d'arriver à une gratuité de l'enseignement obligatoire dans tous les niveaux d’études. L'accessibilité des aides financières est aussi largement pointée du doigt.

Accessibilité et montant des allocations d'études secondaires

Il ressort clairement que les démarches pour obtenir les allocations d'études ne sont pas accessibles au parent peu familiarisé avec l'informatique ou en difficulté avec la langue française, que la demande se complique aussi quand l'usager a un parcours qui sort du circuit habituel. Le numéro vert n'est pas non plus efficient, tant en termes d'horaire d’ouverture au public qu'en termes de personnel disponible pour assurer un service de qualité. Le fait de traiter les demandes papier après les demandes en ligne pénalise d’autant plus les demandeurs. Les montants octroyés sont amplement insuffisants pour les élèves de l’enseignement qualifiant pour couvrir leurs frais de scolarité et il y a une différence de traitement au niveau du remboursement des frais de transport entre les élèves du secondaire et ceux de l’enseignement supérieur. Ceux du secondaire n’ont pas d’intervention alors que les étudiants du supérieur ont la possibilité de percevoir deux forfaits pour leurs frais de transport : un premier de 120 € s'ils sont étudiants externes habitant à plus de 20 km de leur établissement d'enseignement et un deuxième de 50 € s'ils sont étudiant.es externes (à plus de 20 km) titulaires d'un abonnement d'une société publique belge de transport en commun. Cette différence s’explique d’autant plus difficilement que les jeunes entre 18 et 24 ans bénéficient de tarifs réduits dans les transports en commun tant à Bruxelles qu’en Wallonie.

Quelques pistes pour soutenir les familles et les écoles à relever les défis financiers d’une formation qualifiante de qualité dont notre société a grandement besoin

Le cadre légal sur la gratuité de l’enseignement et les frais scolaires gagnerait à être mieux porté à la connaissance des parents et toujours plus vulgarisé. En effet, comment faire valoir leurs droits si les parents n'en n'ont pas connaissance ? L'UFAPEC préconise que l’inspection se voie aussi assigner une mission de contrôle régulier de la gratuité scolaire dans les écoles.

En attendant la mise en œuvre de la gratuité de l'enseignement obligatoire à tous les niveaux d'études promise dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, l'UFAPEC souhaite que les écoles prennent leur place en réfléchissant à une diminution des coûts pour les parents, en mutualisant les achats de fournitures scolaires, en sensibilisant les enseignants à l’utilisation effective des manuels ou des fournitures scolaires, en s'interrogeant quant à l’impact financier et écologique des voyages scolaires…

L'accessibilité et le montant trop bas des aides financières sont aussi largement pointés du doigt par toutes les personnes interviewées dans le cadre de cette étude. C'est pourquoi l'UFAPEC soutient l'automatisation des droits. Des situations comme le statut BIM ou l'octroi d'allocations familiales majorées devraient permettre d’ouvrir automatiquement un dossier au sein du service des allocations d'études.

L'UFAPEC défend également le principe d'une majoration des allocations d'études pour les élèves des filières artistiques (transition et qualification) et des filières qualifiantes afin que celles-ci collent davantage aux réalités financières vécues par les familles de ces élèves.

L'UFAPEC appelle aussi à la gratuité pure et simple de tous les transports en commun pour les élèves et les étudiants et demande, a minima, qu'au niveau du dispositif des allocations d'études, le remboursement des frais de transport pour les élèves de toutes les filières du secondaire soit similaire à celui des étudiants du supérieur tout en supprimant la limitation kilométrique. Rappelons, si cela est encore nécessaire, le droit de chaque enfant de bénéficier d'un enseignement obligatoire de son choix sans restriction financière. S'attaquer à la charge financière des études qualifiantes pour les familles et les écoles est un vrai enjeu de société. Il n'est en effet pas acceptable d'imaginer qu'en FWB, un élève doive renoncer à un choix d'option parce que les frais liés à celle-ci sont trop élevés.

Lire

- L'étude complète (77 p.)

- L'enquête (21 p.)

- Les interviews des acteurs de 1e ligne (43 p.)

 

 

Pour toute question/contact presse :
Bernard Hubien, Secrétaire général
0476/52.74.77 – bernard.hubien@ufapec.be

 

[1] Voir FAQ sur le sujet sur notre site dans la rubrique Question de finances.

[2] Chaque établissement doit mettre en place un conseil de participation dont plusieurs de ses missions sont en lien avec la gratuité d'accès à l'enseignement. Il doit veiller à :

 - Mener une réflexion globale sur les frais réclamés en cours d'année.

- Etudier et proposer la mise en place d'un mécanisme de solidarité entre les élèves pour le paiement des frais à charge de la personne investie de l'autorité parentale ou de l'élève majeur.

- Informer les parents sur les dispositions décrétales et règlementaires applicables en matière de gratuité d'accès à l'enseignement et de veiller à leur bonne application au sein de l'établissement.

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