Analyse UFAPEC Février 2024 par F. Baie

02.24/ Quand les écoles enlèvent le béton dans leur cour de récréation…

Introduction

Depuis des décennies, le béton, l'asphalte, le goudron, les pavés ont été choisis pour recouvrir les cours de récréation. Aujourd’hui, au cœur d'une crise climatique qui ne peut nous laisser indifférents, nos écoles réfléchissent aux différents moyens d'agir pour contribuer à une réduction du réchauffement de notre planète, mais aussi pour faire de nos écoles des lieux où il fait bon vivre. Pour répondre à ces enjeux, la déminéralisation[1] et la végétalisation des cours de récréation peuvent devenir de nouveaux projets d'école.  Quels sont les bienfaits de cette démarche ? Des freins existent-ils ?

Un véritable engouement en France et en Belgique

En France, on constate que les villes prennent des mesures pour déminéraliser les cours de récréation. En 2019, la ville de Lille a végétalisé 73 écoles sur 79[2] avec pour objectif de faire baisser la température dans la ville. Rouen s’est également lancée dans cette grande opération de végétalisation. La ville et la métropole investissent une somme d'environ 700.000 euros. Les 50 autres cours de récréation de Rouen bénéficieront de ce retour de la nature. Chaque année une dizaine d'écoles devraient faire ainsi peau neuve[3]. A Paris aussi, on voit de plus en plus d’écoles qui déminéralisent leur cour de récréation. Dans le 11e arrondissement de Paris, l’école Keller a modifié sa cour en plaçant des copeaux de bois et du béton désactivé. On a enlevé tout ce qui provenait de l’industrie pétrochimique, explique Malika Yenbou, responsable de la section locale d’architecture de l’arrondissement. Depuis 2020, la cour de récréation est devenue une « cour oasis », comme une centaine d’autres écoles parisiennes[4]. Ces différents projets visent non seulement la lutte contre le réchauffement climatique - en effet les cours bétonnées représentant de véritables îlots de chaleur -, mais aussi le bien-être des enfants par une reconnexion avec la nature.

La Belgique n’est pas en reste et agit également pour végétaliser les cours de récréation. Bruxelles Environnement[5], en partenariat avec perspective.brussels[6], a lancé en mai 2021 l’opération « Ré-création »[7], un appel à projets pour végétaliser les cours de récréation. Un budget de cinq millions d’euros a été dégagé pour les écoles implantées sur le territoire de Bruxelles . La Région bruxelloise compte plus de 600 écoles, qui occupent près de 500 ha des 162 km2 de son territoire (soit 3 %)[8].

Trois pourcents du territoire bruxellois, c’est peu, mais néanmoins non négligeable ! Si les cours de récréation peuvent devenir progressivement plus vertes, cela peut en effet avoir un impact positif à bien des égards.

Didier Burani[9], directeur de l’école Sainte-Trinité - Cardinal Mercier 2 (Ixelles) et son équipe pédagogique ont répondu à l’appel à projets de l’opération « Ré-création » pour tenter d’agir en faveur de l’environnement, de la biodiversité et du bien-être des enfants. Pour lui, la rénovation de sa cour fait partie d’un projet global et il est important de faire participer tous les acteurs de l’école. Élèves, parents et enseignants ont pu donner leurs avis et exprimer leurs attentes sur ce projet. L’association de parents et le conseil de participation ont exprimé leurs idées, jouant ainsi un rôle phare. Un véritable processus participatif a eu lieu.

Bienfaits et inconvénients

Pour répondre aux enjeux climatiques, la végétalisation des cours de récréation, comme celle de tout espace bétonné (parking…), est une piste. La végétalisation améliore la perméabilité des sols, l’eau ne ruisselle plus sur le béton ; elle permet de créer des îlots de fraicheur ; elle renforce la biodiversité en permettant de donner aux insectes et petits animaux des couloirs pour aller d’un point à un autre. Et au niveau pédagogique, les enseignants peuvent se servir de ces nouveaux espaces verts pour sensibiliser les enfants aux problèmes climatiques et participer ainsi à la formation de CRACS (citoyen, responsable, actif, critique et solidaire). Les espaces verts reconstitués sont l’occasion de donner cours dehors[10] et d’ainsi faire vivre aux élèves des expériences de terrain et les mettre en contact avec la nature.

Par ailleurs, être entouré de végétaux, avoir les pieds qui reposent sur du gazon est un réel bienfait. Le sol est plus souple, plus doux, plus apte aux découvertes (herbes, terres, mousses, insectes, fleurs…). De plus, en évacuant l’asphalte et le béton de nos cours de récréation, nous évitons aux enfants d’avoir les genoux ou les coudes écorchés à la suite d’une chute. Fuir le gris des cours bétonnées pour se jeter dans un océan de verdure peut jouer sur le moral des troupes et le climat scolaire. Au début des années 2000, l’action COST E39 « Forests, Trees, Human Health and Well-being »[11] a réuni de nombreux chercheurs européens qui travaillaient sur les différents aspects de la relation entre nature et santé. Cent-soixante scientifiques venant de vingt-quatre pays européens ainsi que des participants venant d’Asie, d’Australie, du Canada et des États-Unis ont travaillé ensemble afin d’approfondir la compréhension des mécanismes par lesquels les forêts et autres espaces verts sont bénéfiques pour notre santé physique, mentale, sociale ainsi que sur notre bien-être[12].

Certains diront que les cours de récréation devenues des terrains de jeux végétalisés peuvent, au contraire, apporter des ennuis et que l’école est d’abord un lieu pour apprendre. Penser la conception de telles cours prend du temps et de l’énergie et les écoles sont déjà bien assez sollicitées, notamment au niveau administratif[13], pour se lancer dans une telle aventure. Cela demande de rencontrer les différents acteurs de l’école, mais aussi de faire appel à des personnes extérieures (architectes, entrepreneurs, comptables…). Il faut estimer les coûts, anticiper les dépenses pour la réalisation du projet et sa pérennisation (entretien des végétaux, coupe, tonte, etc.). Ces coûts liés à la déconstruction et à la déminéralisation d’une cour de récréation sont-ils à la portée de toutes les bourses et de toutes les écoles ? Si on peut compter sur des subsides, passe encore… Mais si il n’y en a pas, que faire ? Le plus gros problème avant de se lancer dans un tel projet est le budget[14], confirme Didier Burani. En effet, pour rénover sa cour de 1.200 m2, enlever le béton, faire appel à des architectes, la végétaliser et l’aménager en fonction des souhaits des différents acteurs de l’école, un budget de 320.000 euros a été nécessaire, explique-t-il. Bonne nouvelle pour cette école : cette somme a été intégralement prise en charge par Bruxelles Environnement.

Les plus sceptiques vous diront qu’en temps de pluie, dans une cour de récréation végétalisée, les enfants auront les chaussures et les vêtements plus souvent souillés. Les parents ne rouspéteront-ils pas à ce propos ? Cela salira aussi davantage les locaux de l’école, le nettoyage sera plus coûteux et l’entretien de la cour plus important...

La végétalisation d’une cour peut parfois occasionner plus de risques (ex : bataille avec des branches) et rendre l’espace de jeux moins sécurisé. Mais les élèves n’ont-ils pas besoin de prendre, à certains moments, des risques pour se développer ?[15]

Conclusion

Va-t-on vers une plus grande déminéralisation et végétalisation des cours de récréation ? Difficile de le savoir… Nous avons vu qu’il y avait de nombreux avantages à végétaliser les cours de récréation, mais que le plus gros des freins est sans nul doute le coût. L’UFAPEC est convaincue que de tels projets ont du sens, elle souhaite que l’on suscite dans chaque établissement scolaire et auprès de chaque enfant, des projets et des actions concrètes en lien avec l’environnement, la biodiversité, la gestion des ressources naturelles, l’impact des modes de production et de consommation… L’urgence climatique et environnementale clamée par de nombreux scientifiques depuis les années ’70 est plus que jamais d’actualité et reste ignorée au profit d’intérêts particularistes à court terme[16].

Cependant, s’engager dans un tel projet est une démarche qui nécessite l’adhésion de tous les acteurs de l’école et ne se conçoit pas à la légère. Le conseil de participation est un lieu où ce genre de projet peut être proposé et débattu. Mieux vaut, en effet, peser le pour et le contre avant de se lancer. Ce sera d’autant plus constructif et fructueux.

Passer à la végétalisation de la cour de récréation permet de sensibiliser et de responsabiliser les élèves et les parents et est une opportunité d’aborder avec eux l’urgence climatique. Prendre soin des espaces verts de l’école, c’est un peu comme prendre soin, à petite échelle, de la planète. C’est l’occasion de créer un collectif citoyen en mobilisant les différents partenaires de l’école et au-delà : végétation, plantations mais aussi mare, potager[17], basse-cour dans la cour[18], sont autant de raisons de s’ouvrir et de collaborer. Pour l’UFAPEC, rendre les cours de récréation plus vertes est aussi une opportunité pour revisiter l’attribution spatiale et les finalités de cette cour pour plus d’équité notamment filles-garçons[19] et moins de violence. L’école, rappelons-le, est un lieu de socialisation, d’intégration sociale, de construction de l’identité de l’élève, d’épanouissement et de formation des citoyens de demain.

 

France Baie

 


[1] La déminéralisation désigne l’enlèvement de la matière constitutive des matériaux inertes, comme les cristaux ou les roches, par opposition à la matière organique.

[2] LILLE ACTU– La ville de Lille veut en finir avec le béton dans les écoles -https://actu.fr/hauts-de-france/lille_59350/sus-beton-dans-ecoles-lille_26309554.html

[3] ANAB Association Nature Alsace Bossue - Trop de cours de récréation goudronnées et bétonnées, la « renaturation » est lancée -https://naturealsacebossue.over-blog.com/2021/08/trop-de-cours-de-recreation-goudronnees-et-betonnees-la-renaturation-est-lancee.html

[4] Climat Libé Tours Paris : Enquête – Les cours d’écoles parisiennes laissent béton le goudron - https://www.liberation.fr/forums/les-cours-decoles-parisiennes-laissent-beton-le-goudron-20230329_6PRLLWRXYRDVTBMGLXCHFYUKPA/

[7] ENVIRONNEMENT BRUSSELS- Appel à projets pour la végétalisation des cours de récréation - https://environnement.brussels/appel-projets-pour-la-vegetalisation-des-cours-de-recreation

[9] Interview de Didier Burani effectuée par France Baie, le 6 juillet 2023

[10] BAIE France, Faire classe dehors dans l’enseignement fondamental : une nouvelle approche ?,analyse UFAPEC n°02-19, mars 2019 -  https://www.ufapec.be/nos-analyses/0219-faire-classe-dehors.html

[11] COST action E39, Forests, Trees, Human Health and Well-being -Final Evaluation Report -19.05.2008 -https://www.cost.eu/actions/E39/

[12] NILSSON K, BENTSEN P., GRAHN P., MYGIND L., De quelles preuves scientifiques disposons-nous concernant les effets des forêts et des arbres sur la santé et le bien-être des humains ?, in Santé Publique, Cairn Info, 2019, pp. 219-240 - https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2019-HS1-page-219.html .

[13] BAIE France, Le malaise des directions d’école : causes et pistes de changement, Étude UFAPEC n°08.20, août 2020 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0820-et2-malaise-directions.html

[14] Interview de Didier Burani effectuée par France Baie, le 6 juillet 2023

[15] LORIERS B., Nos cours de récréation : entre sécurité et prise de risque nécessaire ?, analyse UFAPEC n°17.23, décembre 2023 -https://www.ufapec.be/nos-analyses/1723-cours-recre-securisees.html 

[17] BAIE F., Potagers à l’école : quelles récoltes sociales ?, analyse UFAPEC n°02.16, février 2016 https://www.ufapec.be/nos-analyses/0216-potagers.html  et LONTIE M., Intégrer ses enfants dans-un projet de potage,  analyse UFAPEC n°27.19, décembre 2019 – https ://www.ufapec.be/nos-analyses/2719-potager.html

[18] BAIE F., Animaux à l’école : un plus pour les interactions sociales ?, analyse UFAPEC n°15.17, septembre 2017 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1517-animaux-a-l-ecole.html

[19] CLAES M., Cour de récréation : une place égale pour les filles et les garçons ?, analyse UFAPEC n°09.18, mai 2018 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0918-cours-de-recre-entre-filles-garcons.html

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