Analyse UFAPEC décembre 2021 par B. Loriers

15.21/ Nous, parents, on n’est pas des profs !

Introduction

Le confinement, les quarantaines et le travail scolaire à domicile que certains élèves ont connu et connaissent encore, en raison de la crise sanitaire, ont mis en lumière une réalité qui empêche l’école de parvenir à sa mission de réussite pour tous les élèves : les parents, à degrés divers, doivent se transformer en profs. Ce constat est issu notamment de témoignages, récoltés lors de nos différents contacts quotidiens avec les familles et les associations de parents, et dans l’enquête UFAPEC de 2021 sur l’enseignement hybride[1]. Il fait réapparaitre un fossé entre les élèves dont les parents peuvent assurer un suivi et ceux dont les parents n’en ont pas le temps ou les compétences.

En lien avec ce constat, voici un extrait d’une carte blanche écrite par une maman, carte blanche qui témoigne sans détour qu’elle n’en peut plus de faire l’école à la maison pendant les nombreuses quarantaines de ses trois enfants. Je vous informe qu’à partir d’aujourd’hui, je prends la décision d’arrêter de donner cours à domicile à mes enfants en parfaite santé, avec toutes les implications que cela pourra avoir dans leur vie et le travail supplémentaire que cela pourra engendrer auprès du corps professoral si tous parents en venaient à prendre cette même décision. (…) Je ne suis pas institutrice, je ne suis pas professeur. Je suis une maman, et ce rôle, je l’ai perdu au fil des quarantaines[2].

Mais avant tout, que signifie « faire l’école à la maison » ? En d’autres termes, que recouvre l’idée de « soutien scolaire parental » ? Pour certains chercheurs[3], cette notion peut contenir différents éléments, dont les encouragements, l’aide aux devoirs, les discussions sur les choix à faire, le lien avec les enseignants, les interactions sur le quotidien de l’école, les travaux et les résultats, la participation des parents aux réunions de parents et aux différents comités, et les discussions sur l’avenir scolaire de l’élève.

Face à ces constats, l’école ne devrait-elle pas assurer ses apprentissages sans compter sur l’aide des parents ? Le soutien parental, notamment dans le cadre des devoirs, est-il indispensable à la réussite scolaire ? Certains élèves qui ne sont pas autonomes et qui n’ont pas le soutien de leurs parents sont-ils dès lors désavantagés sur le plan scolaire ?

Ces questions touchent à différents droits, dont le droit pour toutes les familles de bénéficier d’un enseignement accessible pour leur enfant, sans que les parents doivent jouer le rôle de l’enseignant. L’analyse évoque en filigrane le droit de bénéficier d’un enseignement efficace et équitable qui œuvre à l’intégration et à l’émancipation de tous les élèves. Ces droits sont-ils encore davantage mis à mal par la pandémie et par l’évolution digitale que connait l’école ?

Travail à la maison : source de stress

Voici quelques témoignages de parents issus de l’enquête[4], parents qui ont dû (et doivent encore) assumer le rôle de prof ou de coach à domicile pendant le confinement et les quarantaines engendrés par la pandémie.

  • Je travaille à 90 % de la maison, ce qui ne veut pas dire que je suis disponible pour mon enfant. Difficile de concilier mon travail avec le suivi scolaire de mon enfant.
  • Le distanciel a transféré le suivi scolaire pendant les heures de cours des profs aux parents. Cela cause du stress car les parents doivent en parallèle continuer à travailler.
  • On demande aux parents un investissement qu’ils ne peuvent pas donner et cela engendre de la culpabilité.

Pourquoi les parents sont-ils nombreux à revendiquer qu’ils ne veulent pas refaire l’école à la maison ? Une étude du Québec indique que les enjeux de la réussite académique créent chez de nombreuses familles de l’anxiété pour l’avenir de leur enfant. Cette pression peut en particulier se traduire par des conflits entre parents et enfants lors des devoirs[5].

Ce stress est dû, entre autres, au fait que nos habitats ne sont pas nécessairement adaptés à faire l’école à la maison, alors que de nombreux espaces de vie se transforment, dès lors, en espace de travail. Des chercheurs[6] expliquent que ce temps scolaire continué au domicile de l’élève a également et incontestablement des conséquences sur l’occupation des espaces de vie de la cellule familiale. Si les plus âgés déclarent travailler dans un espace privé (chambre ou bureau) (64 % des collégiens et 75 % des lycéens), les plus jeunes investissent plutôt des pièces à vivre (salon, cuisine, salle à manger), respectivement pour 81,5 % des élèves en maternelle et 65,5 % en élémentaire.

Comme le révèlent les parents ayant participé à l’enquête, cela s’avère encore plus compliqué pour les parents qui ont dû travailler à domicile[7]. Quel espace de travail pour chacun ? Quel temps consacrer à mon enfant alors que je dois aussi travailler ? Lors de l’hybridation en secondaire (de novembre 2020 à avril 2021), les réalités des élèves et de leurs parents ne semblent pas avoir été prises en compte. Certains parents travaillant à domicile, voyant leur enfant démotivé, ont dû les soutenir et les accompagner au niveau scolaire. D’autres, n’étant pas présents durant les heures de travail scolaire, étaient stressés pour leurs enfants et devaient parfois prendre le temps de retravailler la matière avec eux en soirée. Quelles leçons tirer de cette situation qui n’est qu’un éclairage de l’investissement demandé aux parents dans le cadre scolaire ?

Inégalités entre élèves

Les résultats de l’enquête[8] montrent le creusement des inégalités entre les familles.

  • Nous devons consacrer plus de temps au suivi scolaire de notre enfant. Heureusement que nous sommes indépendants et travaillons de la maison.
  • Ce n’est pas normal. Les parents ne peuvent se substituer à l’enseignant et le recours à une aide externe n’est pas envisageable pour toutes les familles.
  • Nous sommes le soutien scolaire de notre enfant -il a de la chance car nous savons l’aider- ce système est plus inégalitaire que jamais : les parents doivent avoir les compétences et le temps pour soutenir leur enfant.

Pourtant, nous entendons régulièrement des parents qui sont favorables à un soutien fort et acceptent de refaire l’école à la maison. Il arrive que des parents prennent plaisir à soutenir leur enfant dans ses tâches scolaires ; c’est pour eux une manière de se tenir au courant des matières vues, de son niveau, de passer un moment agréable ensemble. D’autres familles ont aussi pour objectif de booster un maximum leur enfant et se transforment en petites écoles. Certains parents que nous avons rencontrés travaillent d’arrache-pied avec leur enfant qui est en difficulté et qui nécessite une attention particulière, en tentant d’aller le plus loin possible, quitte à réaliser les travaux de l’enfant eux-mêmes. Mais ces parents-là ne sont-ils pas souvent ceux qui ont la possibilité de se donner du temps pour cette aide, mais aussi qui ont les compétences et la capacité intellectuelle de les aider ?

On observe ici un fossé entre d’un côté ceux qui sont capables d’aider leur enfant, et qui en ont le temps, et de l’autre côté les parents qui ne peuvent aider, par manque de temps ou de compétence. C’est aussi ce que Stéphanie Demoulin et Marie-Hélène André, représentantes de la fédération francophone des écoles de devoirs, expliquaient déjà avant la crise sanitaire : nous avons repéré l’ampleur du stress des parents. Ils ne remettent pas en question les devoirs à domicile, persuadés de leur importance pour la réussite des enfants. Mais ils posent des questions sur le sens et la difficulté d’une épreuve longue et difficile pour les enfants. On constate ainsi que le devoir, tel qu’il est conçu par certains enseignants, renforce les inégalités sociales. En effet, certaines familles n’ont ni l’espace, ni les conditions idéales (calme, ouvrages à disposition…), ni le temps nécessaire. De plus, certains parents se sentent peu compétents, jugés, coupables ou pour le moins déstabilisés. Le devoir de leur enfant leur fait « passer un examen »[9].

Le code de l’enseignement, qui reprend le décret Nollet de 2002 précise pour l’enseignement primaire que les travaux à domicile sont adaptés au niveau d'enseignement. Ils doivent toujours pouvoir être réalisés sans l'aide d'un adulte[10].

Position de l’UFAPEC

Le soutien parental dans les apprentissages et le lien régulier des parents avec l’équipe éducative sont essentiels pour le bien-être et la réussite de tous les élèves. Mais nous entendons ici par soutien scolaire le fait d’être « supporter » de son enfant, tout en le laissant acteur de ses apprentissages. L’UFAPEC va dans le sens de la réforme du pacte pour un enseignement d’excellence, qui prône un dialogue renforcé avec les parents, avec une attention particulière pour les familles et les élèves dont la culture familiale est éloignée de la culture scolaire et qui ne maitrisent pas l’ensemble des codes relatifs aux attentes scolaires, aux dispositifs d’apprentissages, au rapport au savoir et à l’école[11]. Pour l’UFAPEC le travail à domicile ne doit pas renforcer les inégalités sociales et il doit donc être repensé dans ce sens.

Nathalie, institutrice, explique que les parents ne doivent pas se transformer en professeur après l’école, mais l’intérêt que les parents portent pour le travail scolaire de leur enfant est souvent fondamental et gage d’épanouissement et de réussite. Si l’enfant sent que les parents ne s’intéressent pas à son métier d’élève, il va peut-être ramer à contre-courant. Il n’est pas question que les parents fassent le travail demandé à la maison, mais un encadrement est vraiment précieux pour l’enfant[12]. On voit ici tout l’intérêt que le parent reste dans son rôle de parent, sans toutefois prendre la casquette d’enseignant.

Ce soutien parental est compatible avec l’autonomie de l’élève, comme expliqué dans le Mémorandum de l’UFAPEC de 2019 : acquérir une méthode de travail et une gestion du temps pour l’élève est indispensable dans la gestion de ses apprentissages. Le fait de maitriser ces aspects lui donnera confiance en lui et cette autonomie le conduira vers le gout et non le stress de l’apprentissage[13].

Créer des ponts « culturels » entre l’école et la maison

L’UFAPEC vient de rencontrer Danielle Mouraux[14], sociologue qui se penche sur les relations entre l’école et les familles. A propos des travaux à domicile, elle explique que certaines familles ne vont pas pouvoir faire ce que l’école attend d’elles alors que d’autres le feront aisément. Le système du travail scolaire à domicile est donc un système magnifique pour renforcer les inégalités sociales. Mais pour cette sociologue, ce n’est pas pour autant qu’il faut supprimer les travaux à domicile. C’est important que les enfants continuent à travailler et avancer dans les apprentissages à la maison, mais sans faire du scolaire. L’enseignant peut donner une mission culturelle aux élèves. Par exemple, travailler l’imparfait en conjugaison. La culture scolaire c’est de décomposer le verbe : radical-terminaisons et de conjuguer. Le devoir ne devrait pas être de leur donner un autre verbe à conjuguer à l’imparfait, mais plutôt de leur permettre de comprendre le sens et l’importance de l’imparfait : l’imparfait, c’est faire de l’histoire. On peut par exemple confier un travail d’observation à l’enfant qui a pour mission de revenir avec une phrase lue, entendue, suscitée auprès de ses proches à l’imparfait. Les différents supports peuvent être utilisés : livres, magazines, télé, Gsm… La leçon suivante, les enfants seront revenus avec une vingtaine de phrases que l’on pourra observer, classer en classe pour leur donner un sens culturel. C’est ainsi que les enfants pourront devenir compétents dans la société. Voilà une tâche enthousiasmante pour laquelle les parents n’ont pas besoin d’intervenir, même s’ils peuvent répondre aux questions culturelles de l’enfant comme par exemple : Maman, comment c’était quand tu étais petite ?

Danielle Mouraux précise que le travail à domicile est à prendre au sens large. C’est aussi le trajet pour aller et revenir de l’école, c’est l’entourage de l’élève, c’est la société dans lequel il entre peu à peu et avec laquelle il interagit. Elle insiste sur le fait que le travail à domicile ne devrait pas consister à refaire l’école à la maison, mais à établir des ponts entre ce que vit l’enfant chez lui (et avec son entourage) et ce qu’il apprend à l’école. En cela toutes les familles sont compétentes.

Conclusion

Alors que l’école prétend viser la réussite de tous, certains enseignants demandent aux parents de faire et refaire l’école à la maison, particulièrement en cette période de pandémie. Il arrive que des parents aient la possibilité de s’impliquer dans la scolarité de leur enfant. D’autres parents n’ont pas les ressources sociales ou culturelles, ou le temps nécessaire pour le faire. Il ressort des résultats de notre enquête[15] que de nombreux parents estiment qu’ils ne sont pas là pour expliquer la matière et se substituer aux enseignants et que cette pratique est discriminante pour tous les élèves qui n’ont pas des « parents-profs » à la maison.

Nous pensons que le rôle de soutien parental tel que défini dans cette analyse (encouragements, aides aux devoirs, discussions sur les choix à faire, liens avec les enseignants, interactions sur le quotidien de l’école, travaux et résultats, participation aux réunions de parents… ) nous semble accessible aux familles, y compris celles qui ne maitrisent pas les codes scolaires, pour autant que l’école tisse une relation de confiance et les valorise dans leurs compétences parentales. Le soutien scolaire parental n’est pas de prendre la place de l’enseignant, il est d’ancrer le savoir scolaire dans la réalité sociétale dans laquelle évolue l’enfant et en ce sens, le rôle des parents est indispensable et complémentaire.

Nous l’avons vu, l’école s’impose à la maison, plus encore depuis les confinements à répétition, et suite à ce constat, il est impératif que l’école évite d’externaliser les apprentissages, afin de ne pas accentuer les inégalités entre élèves. Comme le prévoit à de nombreuses reprises l’avis n°3 du Groupe Central du Pacte pour un enseignement d’excellence[16], les remédiations[17] au sein de l’école sont une piste à approfondir. Pour le moment, elles sont encore laissées au bon vouloir de chaque école…

 

Bénédicte Loriers

 

 


[1]PIERARD Alice, Résultats de l’enquête sur l’enseignement hybride à destination des parents, 2021, https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2021/1121-Resultats-enquete.pdf

[2]BRUYERE Laurence, « Combien de temps allez-vous faire perdurer cette gestion dramatique des quarantaines dans les écoles ? », in La Libre, 19 octobre 2021. https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/10/19/nos-enfants-sont-ils-devenus-hors-sujets-face-au-covid-GYXBJ7KSEBGTDDXSVHOFSKIUYE/

[3]BARDOU Emilie, OUBRAYRIE-ROUSSEL Nathalie, LESCARRET Odette, « Engagement éducatif parental, estime de soi et mobilisation scolaire de collégiens », in La revue internationale de l'éducation familiale, 2012/2 (n°32), pp. 121 à 141, https://www.cairn.info/revue-la-revue-internationale-de-l-education-familiale-2012-2-page-121.htm

[4] PIERARD Alice, Résultats de l’enquête sur l’enseignement hybride à destination des parents, op cit.

[5]BERGONNIER-DUPUY Geneviève et ESPARBES-PISTRE Sylvie, Accompagnement familial de la scolarité : le point de vue du père et de la mère d’adolescents (en collège et lycée), in Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ere nouvelle 2007/4 (Vol.40), pages 21 à 45 : https://www.researchgate.net/publication/274113363_Accompagnement_familial_de_la_scolarite_le_point_de_vue_
du_pere_et_de_la_mere_d'adolescents_en_college_et_lycee

[6]FELIX Christine, FILIPPI Pierre-Alain, MARTIN Perrine, GEBEIL Sophie,« Ecole et famille en temps de confinement, et après ? », in Les cahiers pédagogiques, 6 novembre 2020 :

École et famille en temps de confinement. Et après ? - Les Cahiers pédagogiques (cahiers-pedagogiques.com)

[7] FLOOR Anne et PIERARD Alice, Covid 19 et scolarité : que retenir de l’enseignement hybride ?, étude UFAPEC 2021, Ufapec - 11.21/Et1 - Covid 19 et scolarité : que retenir de l’enseignement hybride ?

[8]PIERARD Alice, Résultats de l’enquête sur l’enseignement hybride à destination des parents, op cit.

[9]DELMEE Patrick et MOREAU Catherine, « Les écoles de devoirs ont bien d’autres missions », in Revue PROF n°34, juin 2017 : http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=2141

[10]Code de l’enseignement, article 2.5.1-1, p. 138, https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/47165_000.pdf

[11]Pacte pour un enseignement d’excellence, avis n°3 du groupe central, mars 2017, p. 23 : http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ

[12]Témoignage recueilli le mardi 21 septembre 2021.

[14] MOURAUX Danielle, interview réalisée par Dominique Houssonloge le 4 novembre 2021.

[15]PIERARD Alice, Résultats de l’enquête sur l’enseignement hybride à destination des parents, op cit.

[16]Pacte pour un enseignement d’excellence, avis n°3 du groupe central, 7 mars 2017, p. 13 : http://enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ

[17] Le volet Remédiation-Consolidation-Dépassement (RCD) prévu par l’avis n°3 du PEE, aujourd’hui appelé « accompagnement personnalisé » est désormais intégré à la grille horaire, ce qui doit permettre que les temps récréatifs et non pédagogiques soient préservés pour tous et de manière identique. L’UFAPEC demande que l’accompagnement personnalisé soit un accompagnement permettant d’asseoir et de renforcer ses apprentissages. Il s’agit aussi de permettre un suivi immédiat et individualisé des élèves destiné à éviter tout décrochage. Pour y parvenir, il faut pouvoir multiplier les manières d’expliquer ou d’aborder la matière au sein du groupe-classe. Notamment en passant par d’autres enseignants, mais aussi en recourant à une grande diversité de pratiques de différenciation. In Mémorandum UFAPEC 2019, p. 12 : https://www.ufapec.be/files/files/Politique/memorandum/MEMORANDUM-2019.pdf

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