-
Quelle place pour l’évaluation dans le secondaire spécialisé de formes 1 & 2 ?
Télécharger le document
23.25/ Quelle place pour l’évaluation dans le secondaire spécialisé de formes 1 & 2 ?
Introduction
Actuellement, la forme 1 n’est pas certifiante et les élèves sortent de la forme 2 avec une attestation de compétences acquises. En 2024, nous avons conclu notre étude[1] sur la réussite dans l’enseignement secondaire spécialisé en soulignant l’importance de valoriser les apprentissages des élèves à besoins spécifiques réalisant leur parcours dans les formes 1 et 2. Il faut mettre l’accent sur les compétences acquises des élèves ayant fait leur parcours dans ces formes de l’enseignement spécialisé. Ces élèves peuvent chercher du travail en milieu adapté ou réaliser des activités bénévoles. Il est donc important pour eux de pouvoir aussi avoir des acquis et un certificat à présenter pour se mettre en valeur lorsqu’ils concrétisent un projet personnel.[2]
Tous les enfants en Fédération Wallonie-Bruxelles ont le droit à l’instruction, ce droit fondamental est inscrit dans la constitution belge ainsi que dans la convention internationale des droits de l’enfant. Par ailleurs, selon le code de l’enseignement, l’école doit assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.[3] Dans ce cadre, la certification est-elle l’aboutissement de la scolarité de tous les élèves, y compris ceux inscrits dans l’enseignement spécialisé ?
Dans le but de délivrer une attestation de compétences acquises, comme nous le demandons pour la forme 1 et comme c’est déjà le cas en forme 2, une évaluation est nécessaire. Comment est pensée l’évaluation dans ces formes d’enseignement ? Quels objectifs viser auprès des élèves à besoins spécifiques ? Faut-il faire évoluer les modalités d’évaluation ?
Définition des formes 1 et 2
L’enseignement secondaire spécialisé est organisé en quatre formes. Nous allons nous concentrer dans cette analyse sur les formes 1 et 2.[4]
- Forme 1 – enseignement d’adaptation sociale : formation sociale rendant possible l’insertion en milieu de vie protégé
- Forme 2 – enseignement d’adaptation sociale et professionnelle : formation générale et professionnelle rendant possible l’insertion en milieu de vie ou de travail adapté
Ces deux formes d’enseignement sont organisées dans différents types de l’enseignement spécialisé. Rappelons que les types répondent aux besoins éducatifs et de formation des élèves à besoins spécifiques.[5]
Les différents types se caractérisent comme suit :
- Type 1 – destiné aux élèves présentant un retard mental léger
- Type 2 – destiné aux élèves présentant un retard mental modéré ou sévère
- Type 3 – destiné aux élèves présentant des troubles du comportement
- Type 4 – destiné aux élèves présentant des déficiences physiques
- Type 5 – destiné aux élèves malades et convalescents
- Type 6 – destiné aux élèves présentant des déficiences visuelles
- Type 7 – destiné aux élèves présentant des déficiences auditives
- Type 8 – destiné aux élèves présentant des troubles des apprentissages
Une évaluation avant tout formative et sommative
Les formes de l’enseignement secondaire spécialisé ont des visées différentes qui permettent de construire le projet personnel de chaque élève, dans ce cas-ci en milieu de vie protégé ou adapté. Pour les élèves inscrits dans les formes 1 et 2, une évaluation continue se fait de manière formative et parfois sommative, afin de porter un jugement sur leurs connaissances et leurs compétences.
- L’évaluation formative vise à mesurer les progrès, les acquis et les difficultés de l’élève afin d’améliorer ou de réajuster son cheminement face aux apprentissages.
- L’évaluation sommative permet d’établir un bilan des acquis des élèves par rapport aux attendus au terme d’une ou de plusieurs séquences d’apprentissage.
Ces deux formes d’enseignement n’aboutissant pas à une certification, une évaluation certificative n’est pas à l’ordre du jour. Faut-il l’envisager ? Si oui, sous quelles modalités ?
Que faudrait-il évaluer ?
-
Faut-il évaluer les élèves ?
Les parents et les professionnels que nous avons rencontrés en 2024, dans le cadre de l’étude sur la réussite dans l’enseignement secondaire spécialisé, répondent de manière affirmative à cette question. Ils précisent que l’évaluation doit, avant tout, permettre à l’élève de prendre confiance en lui et de construire son projet de vie. La nuance se porte sur la forme, les visées et les modalités de cette évaluation.
Vu l’absence de certification dans ces formes d’enseignement, celles-ci sont parfois assimilées par les parents, mais aussi par les enseignants, à du care (s’occuper de, prendre soin de) et de l’occupationnel. Lors d’une journée de l’AVIQ à laquelle nous avons participé, l’intervention d’une jeune enseignante reflétait cette confusion. Même si ce n’est pas du pédagogique, nous faisons beaucoup d’apprentissages avec nos élèves, selon leurs capacités. Nous devons prendre beaucoup de temps pour les soins, le nursing avec les élèves polyhandicapés en forme 1.
Cette même enseignante exprime l’importance de valoriser ces élèves, leurs acquis, tout en reconnaissant la spécificité de cette forme d’enseignement. L’évaluation doit permettre aussi aux enseignants d’adopter des stratégies pour faire progresser les élèves, mieux cerner leurs besoins et les aides à leur apporter. Comment penser l’évaluation en formes 1 et 2 ? Quelles adaptations faire selon la forme et le type d’enseignement dans lequel on se trouve ? Quels moyens sont donnés aux enseignants pour réfléchir et construire une évaluation formative permettant aux élèves d’évoluer ?
Comme certains ont pu nous l’exprimer lors de rencontres du regroupement des parents de l’enseignement spécialisé[6], des parents sont en attente d’une évaluation afin de pouvoir percevoir les apprentissages et les acquis de leur enfant. Aurélie, maman membre du conseil de participation[7] dans l’école de sa fille, partage son vécu. Étant enseignante dans le secondaire ordinaire, j’ai dû comprendre et m’adapter aux spécificités de l’enseignement spécialisé de type 2. Ma fille a des cours plus concrets, plus pratiques, mais cela n’empêche pas les apprentissages. Il n’y a pas de contrôles avec des points ou de bulletins à cotes qui permettent une vision claire et rapide du progrès de son enfant. Cela n’empêche pas que je voie une évolution dans ses connaissances et ses compétences.[8]
Le directeur de l’école de la fille d’Aurélie partage le fait que beaucoup de parents ont, dans l’enseignement spécialisé de forme 1 et 2, les mêmes attentes que dans l’enseignement ordinaire, en se centrant fort sur le scolaire et le cognitif, alors que dans ces deux formes d’enseignement, les apprentissages sont différents et l’évaluation sera adaptée aux apprentissages faits en classe.
Une explication pour les parents est nécessaire pour comprendre la dynamique spécifique du secondaire spécialisé, surtout dans ces formes 1 et 2. L’apprentissage de compétences transversales, c’est aussi du pédagogique. Comme nous l’avons expliqué dans l’étude, le pédagogique ne se limite pas à l’apprentissage de disciplines théoriques ou de pratiques « scolaires ». Enseigner, c’est aussi apprendre à manger seul, à communiquer à maitriser des codes sociaux, à s’orienter, à réaliser une tâche. Karine Hembise, conseillère pédagogique pour l’enseignement secondaire spécialisé au SeGEC, exprime qu’il s’agit de l’apprentissage des compétences transversales, en lien avec le handicap, les difficultés et le projet de l’élève pour l’amener vers une vie adulte épanouie.[9]
-
Sur quelles compétences faut-il se concentrer ?
En formes 1 et 2, il y a des compétences à acquérir sur base de balises. Les balises de la forme 1 sont basées sur trois axes de compétences en communication, en socialisation et en autonomie. Les cours généraux de la forme 2 permettent de développer les compétences transversales des élèves en vue de leur insertion et leur autonomie.
Karine Hembise explique que les enseignants travaillent en concertation. L’évaluation se fait de manière transversale, selon les compétences à acquérir. Cela se traduit dans la mise en place du plan individuel d’apprentissage (PIA)[10] de l’élève et une évaluation continue comme levier au service des apprentissages. Selon Karine Hembise la plus grosse évaluation est celle qui se fait au travers du PIA. Tout le travail de l’équipe enseignante, c’est d’aider l’élève à acquérir un maximum de compétences en lien avec son projet.
Dans ce sens, Frédérique Verhulst, directrice de l’école l’Escalpade à Limal[11], explique rechercher le meilleur pour ses élèves en mettant en valeur leur PIA. Nous voulons les rendre les plus autonomes possible. Nos élèves sont en réussite quand ils ont pu avoir un projet scolaire cohérent et que leurs compétences sont reconnues.[12]
À l’Escalpade, l’évaluation sur base du PIA prend la forme d’un bulletin d’habiletés. Au travers de ce bulletin, nous évaluons les compétences transversales. Cela permet de se pencher à un moment, avec l’équipe, sur les compétences acquises par l’élève. Nous n’allons pas distinguer selon les matières (math, français, etc.), mais penser de manière transversale en parlant aussi bien de compétences sociales que de compétences pédagogiques. Est-ce que l’élève sait travailler en groupe ? Est-ce qu’il a une communication correcte ? Cela se fait lors de conseils de classe. Quand nous donnons ce bulletin aux parents, ceux-ci sentent que leur enfant est valorisé. C’est positif pour la confiance en soi de l’élève.
Les parents que nous avons rencontrés questionnent les compétences à évaluer. Pour quels savoirs peut-on demander une évaluation ? Faut-il se limiter à évaluer les savoir-faire et le savoir-être ? Faut-il évaluer plus ou mieux d’autres compétences en sachant qu’il n’y a pas de programme ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions, mais elles méritent réflexion, l’objectif de l’évaluation étant de valoriser au maximum les compétences acquises par le jeune.
Faut-il envisager une certification ?
En formes 1 et 2, il n’y a pas d’évaluation ni de certification en tant que telles, et c’est bien ce qui pose problème pour que le parcours scolaire de ces élèves soit reconnu à sa juste valeur. Même si l’objectif n’est pas de viser les certificats ou les qualifications de l’enseignement ordinaire, aller à l’école ne demande-t-il pas d’être dans une perspective pédagogique où l’élève se voit progresser ? Alors que notre système scolaire reconnait le droit à tout enfant d’être scolarisé, pourquoi ce même système ne considère-t-il pas les formes 1 et 2 comme un enseignement à part entière avec certification à la clé ?
Ce n’est pas tout d’avoir une certification, il faut qu’elle soit valorisée dans le cadre de l’inclusion socioprofessionnelle de ces élèves. Quelle valorisation de cette certification pour la suite du parcours ? Sera-t-elle un atout pour une activité de bénévolat, un travail en ETA[13] ou milieu adapté ?
Comme nous l’avons déjà dit, les attentes en matière de réussite scolaire des parents d’élèves inscrits dans l’enseignement spécialisé peuvent rester très fortes, même quand leur enfant est en forme 1 ou 2. Ils doivent faire le deuil d’une scolarité ordinaire avec des points, des bulletins, un diplôme. Lors de la soirée d’échange de mars 2024, dans le cadre de notre étude, mais aussi lors d’une réunion du conseil de participation dans une école organisant les formes 1 et 2, les parents ont évoqué leurs impressions concernant l’évaluation dans l’école de leur enfant :
- Dans l’école de notre enfant, les compétences ne sont pas définies. En tant que parent, on ne comprend pas si l’évolution est là ou pas, où on peut soutenir notre enfant.
- Je suis émerveillé, car l’école a continué à tirer mon enfant vers le haut, développer ses apprentissages. Les évaluations, tout au long de son parcours secondaire en forme 2, sont positives.
- En forme 1, des cours comme la couture permettent le développement de compétences qui serviront à ma fille dans sa vie future. Cela devrait pouvoir figurer sur un certificat de compétences.
Paul-André Leblanc, responsable du secteur de l’enseignement secondaire spécialisé au SeGEC, exprime ne pas vouloir créer de stress auprès des élèves par rapport à la certification. C’est pour cela que les équipes travaillent de manière transversale et continue en forme 1 et 2. C’est un peu informel, l’élève ne se rend pas compte qu’il est en train d’être évalué.[14]
À l’école Saint-Édouard de Stoumont[15], il y a une classe mélangeant élèves de formes 2 et 3 permettant d’accompagner chaque élève dans son propre projet sans être cloisonné par les attentes de la forme 3. C’est la classe la plus motivée de l’école et une fois que les jeunes passent dans cette classe-là, cela les libère de toute pression de réussite telle qu’elle est organisée avec le certificat de qualification.[16] Cela semble donc intéressant de maintenir une forme d’évaluation, mais qu’elle ne soit pas source de stress pour les élèves.
Conclusion
L’évaluation continue et formative, comme elle est conçue dans des formes 1 et 2 de l’enseignement secondaire spécialisé, est une pratique qui valorise les progrès accomplis. Elle sert les apprentissages et peut aboutir à la mise en valeur des compétences et des acquis de l’élève à besoins spécifiques.
Comme nous l’affirmions dans notre étude, risquer d’assimiler l’enseignement de forme 1 à de l’occupationnel est dangereux en termes de droits humains. C’est nier le droit de tout enfant à l’instruction et à l’éducation, quels que soient ses besoins spécifiques ; c’est aussi promouvoir une vision restreinte et risquée du pédagogique. Il est essentiel de tirer les élèves à besoins spécifiques inscrits en formes 1 et 2 vers le haut. Les mots sont essentiels. Il semble donc opportun de changer les termes et de parler de certificat de compétences acquises plutôt que d’attestation et de l’octroyer à la fin du parcours scolaire dans ces deux formes d’enseignement pour une reconnaissance à part entière des formes 1 et 2.
La création d’un certificat de compétences en forme 1 et son maintien en forme 2 contribueraient à mettre en valeur les élèves concernés. Obtenir un certificat de compétences acquises serait positif pour leur inclusion socioprofessionnelle en milieu adapté. Il semble donc pertinent que tous les élèves obtiennent un certificat de compétences acquises. En forme 2, le système pourrait même aller plus loin. Comme le souligne Paul-André Leblanc, il y a eu une volonté, il y a cinq ans, de fournir une attestation de compétences acquises en forme 1 et de cadrer un peu la réussite pour la forme 2. Je ne sais pas pourquoi la réflexion n’a pas abouti. Pour l’UFAPEC, il semble pertinent de reprendre en urgence cette réflexion et de faire évoluer les choses pour une reconnaissance à part entière de la scolarité des élèves en formes 1 et 2.
Alice Pierard
[1] HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?, étude UFAPEC 2024, UFAPEC - 13.24/Et2 - Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?
[2] Idem, p. 48.
[3] « Missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire », Code de l’enseignement, Titre IV, chapitre 1er, article 1.4.1-1.
[4] Nous traitons l’évaluation dans les formes 3 et 4 dans une autre analyse. PIERARD A., L’évaluation dans l’enseignement secondaire spécialisé de formes 3 et 4 : pour quoi faire ?, analyse UFAPEC 2025, https://www.ufapec.be/nos-analyses/2225-evaluation-es-formes-3-4.html
[5] Les types 1 et 8 ne sont pas concernés par les formes 1 et 2.
[6] L’UFAPEC organise deux regroupements thématiques en plus de ses régionales. L’un rassemble les parents d’élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire et l’autre est destiné aux parents d’élèves de l’enseignement spécialisé.
[7] Le conseil de participation est un lieu de concertation entre divers acteurs de l’école pour échanger sur le projet pédagogique de l’école, sur des remises d’avis et sur tout autre sujet utile et pertinent. Ufapec - Brochure Conseil de Participation (CoPa)
[8] Pour préserver l’anonymat, son prénom a été modifié.
[9] Témoignage récolté le 4 avril 2024, dans le cadre de notre étude sur la réussite dans l’enseignement spécialisé.
[10] Le plan individuel d’apprentissage est un outil méthodologique élaboré pour chaque élève présent dans l’enseignement spécialisé ou suivi en intégration. Ce PIA est ajusté durant toute la scolarité de l’élève en énumérant les objectifs à atteindre en tenant compte de ses besoins spécifiques.
[11] L’Escalpade propose les formes 1 et 4 pour les élèves relevant du type 4.
[12] Témoignage récolté le 13 mars 2024, dans le cadre de notre étude sur la réussite dans l’enseignement spécialisé.
[13] Entreprise de travail adapté.
[14] Témoignage récolté le 4 avril 2024, dans le cadre de notre étude sur la réussite dans l’enseignement spécialisé.
[15] L’école Saint-Édouard propose les formes 1, 2 et 3 pour les élèves relevant des types 1, 2 et 3.
[16] Témoignage récolté le 29 mars 2024, dans le cadre de notre étude.
