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Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?
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Réussir dans l’enseignement spécialisé : est-ce utile ?
22 août 2024
Introduction
Actuellement, l'orientation prise en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est d'inclure autant que possible les élèves à besoins spécifiques dans l'enseignement ordinaire. Cela n’empêche pas que l’école inclusive reste aujourd'hui plus de l’ordre du rêve que de la réalité.[1] Par ailleurs, l’inclusion n’est pas indiquée pour tous les élèves à besoins spécifiques.
Qu’en est-il pour ces élèves pour lesquels la scolarisation dans l’ordinaire n’est pas ou plus possible ? Poursuivre sa scolarité dans l’enseignement spécialisé pose des questions fondamentales pour la suite du parcours (études, formation, inclusion socioprofessionnelle, etc.), mais aussi en matière d’épanouissement personnel.
Plus que dans l'enseignement ordinaire, les parents sont inquiets pour l’avenir de leur enfant vu ses besoins spécifiques et leur impact sur sa vie d’adulte. Ces parents nous interpellent :
- C’est difficile de trouver des structures d’accueil pour après. Il y a des listes d’attente et on n’est pas informés de toutes les possibilités qui se présentent pour nos enfants.
- Je pense que des changements s’opèrent au niveau des écoles et vous en êtes la preuve mais le milieu professionnel est encore en arrière et pas prêt à cette inclusion.
Dès lors, il nous semblait important de consacrer une étude au sens de la réussite dans l’enseignement spécialisé afin de lever le voile sur les questionnements parentaux, de débattre des enjeux de société concernés et enfin, d’informer du non-respect de certains droits des personnes en situation de handicap et de leur famille.[2]
L’absence de littérature consacrée à la question nous a amenées à construire notre recherche en allant recueillir directement la parole de différents acteurs : parents, anciens élèves, enseignants, directions d’école, représentants de l’enseignement catholique. Nous sommes également allées à la rencontre de responsables de structure d’accueil ou d’activités pour des personnes avec un handicap.
Les points forts de l’enseignement spécialisé
L’enseignement spécialisé prépare peut-être davantage à la vie adulte par la construction d’un projet de vie personnel et adapté au jeune via le plan individuel d’apprentissage (PIA) et le plan individuel de transition (PIT). Ce projet de vie a pour objectif d'offrir un maximum d’épanouissement et de chances d’inclusion socioprofessionnelle, en tenant compte du jeune dans sa globalité, avec ses limites et ses compétences.
L’enseignement spécialisé a une longueur d’avance dans sa conception et sa mise en œuvre de la réussite. Alors que cet enseignement accueille des jeunes avec des besoins spécifiques importants, souvent en manque de confiance, abimés par la vie et relégués par le système, ce même enseignement a su développer une pédagogie de la réussite pour rendre le système scolaire plus efficace et équitable. L’enseignement ordinaire, particulièrement en secondaire, confronté à des problèmes tels que la démotivation, l’ennui, la perte de sens pour l’élève amenant à l’absentéisme et au décrochage, pourrait s’inspirer à certains égards de l’enseignement spécialisé.
En plus des moyens nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques des élèves (taille des classes et présence d’une équipe pluridisciplinaire), cette pédagogie de la réussite repose sur quelques éléments-clés :
- une représentation positive de la différence, source de résilience et d’adaptation permettant à chacun de développer son talent pour apporter sa part à la société ;
- une approche globale de la réussite ;
- la confiance en soi et l’autonomie en lien avec une évaluation essentiellement formative et continue au service des apprentissages et de la progression de l’élève tout en permettant le droit à l’erreur ;
- un enseignement individualisé et souple ;
- un travail collaboratif et une culture du partage chez les enseignants autour du PIA de l’élève.
Les limites à l’inclusion socioprofessionnelle
L’inclusion socioprofessionnelle des personnes en situation de handicap reste ardue pour diverses raisons. En 2021, seulement 23 % des personnes en situation de handicap ont un emploi et 75,5 % sont inactifs (sans emploi et n’en cherchant pas ou n’étant pas en capacité de travailler).[3]
Un monde à part
Par sa nature-même avec des bâtiments séparés de ceux de l'enseignement ordinaire, le spécialisé limite les possibilités d'inclusion et les occasions d'apprentissage des codes sociaux.
SI l'école spécialisée est un lieu de vie épanouissant, le jeune reste néanmoins à l'écart de la société et en particulier des autres jeunes de son âge, de son quartier ou de sa région. Vu le manque d’offres sur le territoire et le manque de structure familiale pour certains élèves, une bonne partie des adolescents est également en internat.
Un mécanisme ségrégatif caché
Aujourd’hui, le droit de vivre dignement pour la personne en situation de handicap est reconnu et notre société garantit sa protection matérielle et médicale notamment via une allocation de remplacement de revenus octroyée aux 18 ans du jeune (après reconnaissance par le SPF Sécurité sociale). Si cette allocation est justifiée, en même temps, elle dissuade l'élève et sa famille de concrétiser un projet socio-professionnel. C'est là tout le paradoxe du système : la reconnaissance du handicap d'une personne la condamne au déclassement socioprofessionnel et à l’exclusion.
Dans les faits, notre société fait peu de place à la personne en situation de handicap. Plusieurs éléments abordés au cours de notre étude nous conduisent à émettre l’hypothèse d’une représentation probablement inconsciente mais persistante de la personne en situation de handicap comme étant un être diminué, incomplet et malade. Quel que soit le type de handicap, celui-ci continue de faire peur principalement par méconnaissance et par manque d’ouverture d’esprit. Rester dans l’entre-soi avec des personnes sans besoins particuliers est plus facile et confortable, spécialement dans le monde du travail où il faut être compétitif et rentable.
Reconnaitre l’hypocrisie du système
Reconnaitre la personne en situation de handicap ce n'est pas exclusivement lui octroyer des aides financière et matérielle. Ça, c’est se débarrasser de la question en se donnant bonne conscience et en encourageant la personne à sortir du système en restant chez elle pour le reste de sa vie. Reconnaitre et sanctionner l'inertie d'un système qui maintient insidieusement la personne dans l'exclusion est une première étape.
Notre modèle socio-économique donne des signaux clairs de dysfonctionnement et de mal-être. N’est-il pas temps de revoir la place et les conditions d’épanouissement nécessaires à chacun et d’apprendre des forces et de la capacité d’adaptation que des personnes ont su développer au départ de leur différence ?
Nos revendications
Soutenir l’enseignement spécialisé
Pour une vraie reconnaissance de la personne en situation de handicap, l’UFAPEC demande de donner aux écoles spécialisées les moyens pour mettre en pratique le PIT et construire des projets qui ont du sens pour les élèves. Il s’agit :
- de proposer des options dans la « filière métier »[4] en adéquation avec les besoins des élèves et la réalité professionnelle ;
- de systématiser et pérenniser les projets transition-insertion[5] ;
- de permettre d’obtenir un certificat de compétences acquises en formes 1 et 2.
Concernant la transition vers la vie adulte, l’UFAPEC soulève l’intérêt de faciliter cette transition pour les élèves à besoins spécifiques dont le parcours ressemble fort à un parcours du combattant. Il s’agit :
- de favoriser la continuité du parcours lorsque la personne en situation de handicap poursuit des études dans l’enseignement supérieur ;
- d’avertir les personnes en situation de handicap et leurs parents des démarches à effectuer et des aides financières existantes ;
- de mettre en place un suivi et un accompagnement pour les personnes en situation de handicap dans leur recherche d’emploi.[6]
Le soutien à l'enseignement spécialisé passe aussi par plus d'implication des parents. La collaboration et le dialogue entre les parents et l’école sont primordiaux dans la construction des projets de vie des élèves à besoins spécifiques. Les parents sont en effet des experts de leur enfant, ils le connaissent très bien.
Décloisonner l’enseignement spécialisé
Le décloisonnement entre l'enseignement spécialisé et l'ordinaire est une piste proposée par tous, qui nécessite peu de moyens et qui permet aux élèves de trouver des options adaptées dans un établissement plus proche de chez eux. Ce décloisonnement permettra encore une démystification progressive du handicap permettant d'évoluer vers une société inclusive.
Qu’il s’agisse de faciliter la transition vers l’enseignement ordinaire pour les élèves à besoins spécifiques pour lesquels c’est possible ou qu'il s'agisse, de manière plus globale, de favoriser l’inclusion sociale de ces élèves, des ponts doivent se penser entre enseignement ordinaire et spécialisé. C’est présent dans les objectifs du pacte pour un enseignement d’excellence. Cela fait aussi partie des revendications de l'UFAPEC pour une école plus inclusive :
- dans l'enseignement ordinaire, ouvrir des classes à visée inclusive à un maximum de types de l’enseignement spécialisé et concevoir ces classes en proposant des activités communes avec les autres élèves de l’école et en tenant compte des besoins spécifiques des élèves
- dans des écoles spécialisées, développer des classes ordinaires comme nous le suggérions déjà dans notre étude sur l’école inclusive.
Finalement, réussir dans l’enseignement spécialisé, c'est, bien au-delà de l’envie de vivre, la volonté d’EXISTER !
Lire l'étude complète (56 pp.) >>
Pour toute question/contact presse :
Bernard Hubien, Secrétaire général
0476/52.74.77 – bernard.hubien@ufapec.be
Explication des types et formes de l’enseignement spécialisé
L’enseignement spécialisé est organisé en huit types afin de répondre au mieux aux besoins des élèves.
L’enseignement secondaire spécialisé est organisé en quatre formes. Ces formes ont des visées différentes et permettent de construire le projet personnel de chaque élève.
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Forme 1 – enseignement d’adaptation sociale |
Forme 2 – enseignement d’adaptation sociale et professionnelle |
Forme 3 – enseignement professionnel |
Forme 4 – enseignement de transition ou de qualification |
Type 1 - destiné aux élèves présentant un retard mental léger |
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Type 2 – destiné aux élèves présentant un retard mental modéré ou sévère |
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Type 3 – destiné aux élèves présentant des troubles du comportement |
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Type 4 – destiné aux élèves présentant des déficiences physiques |
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Type 5 – destiné aux élèves malades et convalescents |
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Type 6 – destiné aux élèves présentant des déficiences visuelles |
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Type 7 – destiné aux élèves présentant des déficiences auditives |
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Type 8 – destiné aux élèves présentant des troubles des apprentissages |
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Le PIA et le PIT, des outils indispensables
Le plan individuel d’apprentissage (PIA) est un outil de l’enseignement spécialisé depuis la modification, en 2004,du décret organisant cet enseignement,. Le PIA est élaboré et ajusté pour chaque élève, tout au long de son parcours, en fixant des objectifs à atteindre durant une période déterminée. Le PIA suit l’élève tout au long de sa scolarité et est utilisé par l’équipe pluridisciplinaire pour mettre en œuvre son travail auprès de l’élève.
Le plan individuel de transition (PIT) est un outil propre à l’enseignement secondaire spécialisé. Partie intégrante du PIA de l’élève, le PIT favorise la transition vers la vie adulte en élaborant le projet global du jeune dès son entrée dans l’enseignement secondaire.
[1] HOUSSONLOGE D. et PIERARD A., S’il te plait, dessine-moi une école pour tous ! L’école inclusive, entre idéal et réalité, étude UFAPEC, décembre 2022, Etude UFAPEC sur l'école inclusive.
[2] Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées adoptée le 13 décembre 2006 et ratifiée par la Belgique le 2 juillet 2009, convention ONU.
[3] Statbel, « 3 décembre, journée internationale des personnes handicapées », 2 décembre 2022, 3 décembre, Journée internationale des personnes handicapées | Statbel (fgov.be)
[4] L’UFAPEC souhaite que l’on utilise la dénomination « filière métier » pour parler de l’enseignement qualifiant. Pour aller plus loin : Mémorandum 2024, p. 95, Ufapec - Mémorandum UFAPEC 2024.
[5] Pour en savoir plus : https://transition-insertion.be/
[6] Ces trois dernières revendications sont portées dans notre Mémorandum 2024, p. 80.