Analyse UFAPEC Avril 2024 par A. Pierard

06.24/ Quelle place pour l’éducation aux droits de l’enfant à l’école ?

Introduction

En tant qu’organisation représentative des parents d’élèves de l’enseignement catholique, nous sommes interpellés par des parents pour des situations de non-respect des droits de l’enfant à l’école : harcèlement, refus d’aménagements raisonnables, exclusion, discriminations, etc. Un acteur essentiel pour la défense des droits de l’enfant en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est Solaÿman Laqdim, le délégué général aux droits de l’enfant (DGDE). Afin de mieux faire connaitre ses missions auprès des parents, nous l’avons invité, lors de notre table ronde de rentrée du 5 octobre 2023,pour échanger avec lui, au départ des questions et réflexions des parents présents, sur les droits de l’enfant à l’école.[1]

Cet atelier a fait émerger des questions en termes d’éducation aux droits de l’enfant. Comment l’école, l’une des deux instances majeures de socialisation de l’enfant - l’autre étant la famille -, met-elle en œuvre l’éducation aux droits de l’enfant ? Qu’est-ce qui est prévu à cet effet dans notre système scolaire ? Quelle place et quels moyens sont donnés aux écoles pour cette éducation aux droits de l’enfant ?

La convention internationale des droits de l’enfant (CIDE)

La CIDE[2] reconnait l'enfant en tant qu’être humain à part entière et vise sa protection spécifique. Elle a été adoptée par l’assemblée générale des nations unies le 20 novembre 1989. Elle est actuellement ratifiée par 196 états membres de l’ONU.[3] Les droits des enfants s’appliquent à tout être humain âgé de moins de dix-huit ans (sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable).

La CIDE est surnommée la convention des trois P : prestations, protection et participation. Le troisième P, de participation, représente la nouvelle représentation du statut d’enfant, de la relation adulte-enfant et du besoin de ce dernier d’être entendu, considéré et reconnu comme acteur, à part entière, de sa vie.[4]

Le DGDE a pour missions d’informer et de promouvoir les droits de l’enfant et d’avoir une veille permanente sur le respect de ceux-ci. C’est l’ambassadeur de la CIDE en FWB. Afin de remplir ses missions, Solaÿman Laqdim développe actuellement une stratégie numérique pour toucher au mieux les jeunes (via son site internet et les réseaux sociaux). Son exposition médiatique lui permet d’insister sur certains enjeux. Il explique qu’étant donné que personne n’est foncièrement contre les droits de l’enfant, il est possible de collaborer avec les différents acteurs concernés.

Une convention peu connue dans les écoles

L’association Résonance relaie la méconnaissance des droits de l’enfant : le constat est qu’à l’évidence, les enfants eux-mêmes n’ont pas connaissance de la totalité de leurs droits, et n’en connaissent bien souvent qu’une petite dizaine ou, malheureusement, n’en ont pas connaissance du tout ![5]

La coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) soulève également la méconnaissance de la CIDE par les élèves, mais aussi par les enseignants. Autre préoccupation : de nombreux enseignants n’ont jamais entendu parler des droits de l’enfant pendant leur formation initiale.[6]

Même si la CIDE n’est pas explicitement évoquée, les missions prioritaires de l’école défendent les droits de l’enfant et promeuvent une éducation aux droits de l’enfant à l’école. Ces missions consistent à promouvoir la confiance en soi de chacun des élèves ; à leur permettre de s’approprier des savoirs, des savoir-faire et des compétences essentiels pour leur insertion socio-professionnelle future ; à les préparer à être des CRACS[7] et à leur assurer des chances égales d’émancipation sociale.[8]

L’application de la CIDE dans les écoles

Par son existence, notre système scolaire permet l’application et le respect du droit à l’éducation (article 28 de la CIDE). La présence des élèves à l’école assure le respect d’autres droits : protection (par exemple à travers l’EVRAS[9] ou la gestion du harcèlement dans l’école), santé (avec le soutien des services PSE[10]), alimentation (cantine et repas chaud), etc. L’instruction est une chance, car l’école est un lieu de protection, de prévention et d’apprentissage du vivre-ensemble. Les élèves y apprennent non seulement des savoirs, mais aussi des savoir-faire et des savoir-être.

En matière d’éducation aux droits de l’enfant, il nous semble important de s’intéresser à la mise en application de deux articles de la CIDE dans les écoles : le droit à l’information (article 42) et le droit à l’expression et à la participation (article 12).

Selon l’article 42 de la CIDE, les états parties s’engagent à faire largement connaitre les principes et les dispositions de la présente convention, par les moyens actifs et appropriés, aux adultes comme aux enfants. Qu’est ce qui est fait en FWB pour une connaissance de son contenu par les élèves ? Quel est le rôle de l’école à cet effet ?

Éduquer aux droits de l’enfant, c’est rendre la convention accessible à travers différentes approches pédagogiques, guider pour un vivre ensemble harmonieux, favoriser la défense et le respect des droits de l’enfant et faire prendre conscience de l’universalité des droits.

La CIDE n’est pas explicitement intégrée dans les référentiels. Qu’en est-il dans les programmes ? Et dans la formation des enseignants ? Comme l’explique Marie, professeur de religion en secondaire, nous ne sommes pas préparés dans notre formation à faire de l’éducation aux droits de l’enfant. Je n’ai pas entendu parlé de la CIDE durant ma formation. Comment peut-on s’emparer d’un sujet si on n’y est pas formé ? Est-ce le rôle de toute l’équipe ou d’un enseignant en particulier ?[11]

Parler de l’éducation aux droits de l’enfant pose plusieurs questions. Les enseignants sont-ils conscients que c’est une éducation transversale à développer dans les différents apprentissages ? Quels moyens sont donnés aux enseignants ? Quel temps devrait être consacré à l’éducation aux droits de l’enfant ? Quelle diffusion de la CIDE dans les écoles (panneaux d’affichage dans les couloirs, tableau synthétique dans les classes, etc.) ?

Éduquer aux droits de l’enfant, c’est aussi permettre aux élèves de participer et leur donner une place de CRACS dans notre société. Comme l’explique l’association Résonance, la mise en œuvre du droit à la participation est LE levier incontestable pour actionner le respect de tous les autres droits de l’enfant.[12]

Par ailleurs, l’article 12 de la CIDE déclare : les états parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. Ce droit d’expression et de participation ne prend-il pas toute son importance à l’école ? Concrètement, qu’est ce qui est fait par les enseignants et les équipes éducatives ?

Dans ce sens, la présence des élèves au conseil de participation[13] est obligatoire dans l’enseignement secondaire et peut être proposée dans l’enseignement primaire. Autre élément essentiel, à partir de la 5e primaire, des délégués élèves[14] sont élus par leurs pairs. La délégation et la présence au conseil de participation sont deux voies officielles pour exercer le droit d’expression et de participation à l’école. Les dispositions légales sont introduites dans le code de l’enseignement sous un titre explicite : De la participation. Pour exercer leur mission, les délégués et membres au conseil de participation consultent les élèves de leur classe ou de l’école, relaient leurs questions et réflexions, les informent des réponses obtenues.

Selon les projets menés dans les écoles, diverses activités, dans le cadre ou en marge des cours, peuvent permettre aux élèves l’exercice de leur droit à l’expression et à la participation. L’élaboration d’une charte, la création d’une mini-entreprise dans l’école, des projets de solidarité (récolte de vivres et vêtements chauds pour les SDF, par exemple) sont tous des exemples de ce qui se fait dans les écoles.

Ces activités sources de participation répondent à la mission prioritaire de l’école de préparer tous les élèves à être des citoyens responsables actifs critiques et solidaires (CRACS).[15]

Selon la Ligue des droits de l’enfant, la participation est un vecteur de concrétisation d’autres droits : information, acquisition de savoirs, protection, engagement et citoyenneté active, respect, etc.[16]

Pour le DGDE, la prise en compte de la parole de l’enfant est indispensable et le droit à la participation doit prendre une place plus importante dans notre système scolaire. L’ADN de l’école est très contraignant et le système n’est pas pensé pour une totale démocratie dans les établissements scolaires. Quelle place pour l’élève mineur dans les textes légaux organisant l’enseignement ? Quel soutien à l’implication des élèves dans les structures comme le conseil de participation ?

Regard de parents

Lors de notre table ronde, des parents ont fait part de situations où, à leur avis, les droits de l’enfant ne sont pas respectés.

  • En matière de droit à la protection, le harcèlement à l’école est un réel souci car en plus de faire face au vécu de notre enfant, on doit prouver la situation de harcèlement si on veut faire bouger les choses.
  • En matière de droit à l’éducation, il y a un travail à faire auprès de certains parents pour que leur enfant vienne régulièrement à l’école. C’est important pour son épanouissement.

D’autres participants ont fait part de réflexions pour une meilleure prise en compte des droits de l’enfant à l’école.

  • En matière de droit à la participation et à l’expression, il est important d’entendre les jeunes. Est-ce qu’on crée assez de moments et de lieux dans les écoles pour permettre aux jeunes de se faire entendre ? Est ce qu’il y a bien des représentants des élèves dans tous les conseils de participation du secondaire ?
  • En matière de droit à l’épanouissement personnel, quelle place pour le bien-être de l’enfant dans les plans de pilotage ?
  • La limite est floue entre droit à la protection et droit à la participation. Où mettre le curseur pour permettre aux élèves d’être des CRACS tout en assurant leur droit à la protection ?

Conclusion

Notre système scolaire permet, dans une certaine mesure, le respect des droits de l’enfant et renforce son statut en tant qu’être humain pouvant participer à la société tout en étant protégé.

Concernant l’éducation aux droits de l’enfant, même si celle-ci peut aussi se faire hors des établissements scolaires (à la maison, dans les organisations de jeunesse, etc.), l’école a pour mission de mettre les élèves sur un pied d’égalité. L’éducation aux droits de l’enfant fait partie des missions de l’école et des apprentissages de l’élève pour devenir un CRACS. Il s’agit de droits fondamentaux de citoyens en devenir. Le respect de la CIDE et la participation des élèves sont indispensables. Comme l’ont dit Ghandi et Nelson Mandela, tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi.

Les écoles ont-elles pour autant à leur disposition tous les moyens nécessaires pour faire de l’éducation aux droits de l’enfant ? Peuvent-elles bénéficier d’animateurs extérieurs (comme pour l’EVRAS) ou doivent-elles prendre cela en charge au sein des équipes ?

Pour une éducation aux droits de l’enfant de qualité dans les écoles, la formation des enseignants doit leur permettre d’intégrer cela dans leurs pratiques. Dans ce sens, piloté par Bénédicte Linard, la ministre-coordinatrice des droits de l’enfant, le plan d’action 2020-2024 relatif aux droits de l’enfant, comprend un chapitre sur la formation des futurs enseignants et professionnels de l’enfance à une prise en compte systématique des droits de l’enfant. La nécessité d'une formation transversale aux droits de l'enfant pour tous les professionnels en contact avec ceux-ci se dégage comme une exigence depuis de nombreuses années, tant sur le plan international qu'au niveau de la FW-B.[17]

En plus d’insérer l’éducation aux droits de l’enfant dans la formation des enseignants, l’UFAPEC demande :

  • d’inclure l’éducation aux droits de l’enfant de manière transversale dans les apprentissages scolaires ;
  • de promouvoir des activités de vivre ensemble et de respect de soi et de l’autre dans les écoles ;
  • de mettre en place des pratiques et des structures favorisant la participation et l’éducation aux droits de l’enfant ;
  • de collaborer avec les parents dans une optique de partenariat école-familles pour une coéducation citoyenne.

L’UFAPEC est persuadée de l’importance d’une place active de l’élève dans son éducation. Tu me dis, j’oublie. Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends.[18] Les enfants sont les premiers concernés par leurs droits et ont des idées pour les mettre en application, les défendre et les faire entendre. Soyons à l’écoute de ce qu’ils peuvent proposer !

 

Alice Pierard

 


[1] Atelier « Le DGDE, un garant des droits de l’enfant à l’école » organisé lors de la table ronde de rentrée de l’UFAPEC du 5 octobre 2023, en visioconférence.

[2] La convention est disponible en suivant le lien suivant : Convention internationale des droits de l’enfant | DEI-Belgique

[3] L’ONU est composée de 197 états membres. Les États-Unis, bien qu’ayant signé la convention en 1995, ne l’ont toujours pas ratifiée.

[4] COENEN J.-P. et ESSAID S., L’intérêt supérieur de l’enfant : son droit à la participation, analyse de la ligue des droits de l’enfant, 2022, p. 11.

[5] Résonance ASBL, « Les droits de l’enfant en action ! », in Fréquence n°5, 2021, p. 27.

[6] Prendre le parti des enfants en Belgique et dans le monde, Mémorandum des acteurs des droits de l’enfant pour les élections de juin 2024, février 2024, Mémorandum : droits de l’enfant pour les élections de juin 2024 | UNICEF Belgique

[7] Citoyens responsables actifs critiques et solidaires.

[8] Code de l’enseignement, article 1.4.1-1, Gallilex - code de l'enseignement

[9] Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle.

[10] Promotion de la santé à l’école.

[11] Témoignage anonyme recueilli le 15 mars.

[12] Résonance ASBL, op cit., p. 32.

[13] Code de l’enseignement, articles 1.5.3-1 et suivants, Gallilex - code de l'enseignement

[14] Code de l’enseignement, articles 1.5.3-4 et suivants, Gallilex - code de l'enseignement

[15] Pour développer ce point, nous vous invitons à lire plusieurs de nos analyses :

LORIERS B., La délégation d’élèves, un exercice pour la pratique démocratique à l’école ?, analyse UFAPEC n°12.19, août 2019, Ufapec - 12.19/ La délégation d’élèves

PIERARD A., Former des CRACS, un enjeu d’actualité ?, analyse UFAPEC n°22.19, décembre 2019, Ufapec - 22.19/ Former des CRACS, un enjeu d’actualité ?

LORIERS B., L’école doit-elle construire sa loi avec les élèves ?, analyse UFAPEC n°17.20, décembre 2020, Ufapec - 17.20/ L’école doit-elle construire sa loi avec les élèves ?

LORIERS B., Les élèves membres du conseil de participation : figuration ou réel impact ?, analyse UFAPEC n°01.22, février 2022, Ufapec - 01.22/ Les élèves membres du conseil de participation

[16] COENEN J.-P. et ESSAID S., op cit., pp. 20-21.

[17] Plan d’action relatif aux droits de l’enfant, 2020, pp. 34-35, Détail Article Pro - Professionnel - Office de la naissance et de l'enfance (one.be)

[18] Citation apocryphe héritière d’une citation du IIIe siècle ACN attribuée au penseur chinois confucianiste Xun Kuang, présente en couverture de notre Mémorandum 2024.

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