Analyse UFAPEC novembre 2018 par M. Claes

20.18/ Les grands-parents, nouveaux pivots de la famille ?

Introduction

Alors qu’ils étaient les grands oubliés de la sociologie de la famille jusqu’à la fin des années 90, les grands-parents ont émergé comme personnes importantes dans la famille et offrent une image bien différente que celle qu’on avait d’eux au siècle dernier ! En Belgique, comme dans beaucoup de pays européens, la grand-parentalité prend de l’ampleur. Selon Enéo[1], le mouvement social des aînés en Belgique, environ 60 % des personnes de plus de 50 ans sont grands-parents. Et parmi les grands-parents, 6 grands-mères sur 10 et 5 grands-pères sur 10 s’occupent de manière régulière ou ponctuelle de leurs petits-enfants.

Il s’avère que 60 % des grands-parents belges gardent leurs petits-enfants plusieurs jours par semaine[2]. Et il semble que ces grands-parents soient amenés à jongler avec de plus en plus d’exigences. La grand-parentalité est donc un phénomène important dans notre société et dans la vie des personnes âgées de plus de 50 ans. Il est, dès lors, intéressant de questionner ce phénomène de plus près, car les grands-parents représentent un enjeu d’importance non seulement par leur poids démographique, mais surtout par leur position centrale dans la famille. 

En effet, les grands-parents ont pris une plus grande place qu’auparavant dans la vie de leurs enfants et petits-enfants et cela a contribué à faire évoluer leur rôle, tant au sein de la famille que dans la société. Ils transmettent des valeurs, des connaissances, des manières d’être et de faire, ils racontent les histoires familiales, aident, sont présents dans une bienveillance, bref, sont considérés par beaucoup comme les piliers de la famille.

Mais ne leur en demande-t-on parfois pas trop ? N’y a-t-il pas de grandes disparités entre les familles qui peuvent largement compter sur les grands-parents et celles qui ne le peuvent pas ? Qu’est-ce que cette implication forte de certains grands-parents, cette sollicitation envers eux et les mécanismes de solidarité qui se mettent en place nous apprennent au niveau de la société d’aujourd’hui ?

Les grands-parents « chic’ouf » !        

Connaissez-vous la manière dont de nombreux grands-parents ont rebaptisé leurs petits-enfants ? Les « chic'ouf » : chic, ils arrivent, ouf, ils repartent ! Beaucoup de grands-parents vous le diront, c’est pour eux un réel plaisir d’avoir leurs petits-enfants près d’eux. Aller les chercher le mercredi à l’école et les garder tout l’après-midi (en gérant les repas, les activités extrascolaires, les devoirs et les temps libres), ou quand les parents partent en weekend ou travaillent, dépanner un jeudi matin quand ils apprennent que leur petit-enfant est malade, assurer la garde pendant les journées pédagogiques, etc. « Chic ! ». Mais force est de constater que, s’ils ont beau être ravis de partager des moments précieux avec leurs descendants, les grands-parents sortent parfois épuisés de ces moments passés avec eux. « Ouf ! ».


Robert, 78 ans, fatigué[3]

Nous sommes de vieux grands-parents. Nous avons eu nos deux filles sur le tard et elles-mêmes sont devenues mères dans la trentaine. Du coup, nous sommes un peu dépassés. De plus, notre fille vient de se séparer et est revenue vivre chez nous avec ses deux enfants dont elle a la garde principale. Comme elle travaille, nos petits-enfants sont beaucoup avec nous et c’est assez fatigant. Nous n’avons plus la patience et nous nous énervons vite quand nos petits-enfants dépassent les limites que nous leur fixons.

Anne-Marie, 65 ans[4]

Ah oui, ça m'arrive souvent de dire « ouf ». Surtout que je n'ai plus physiquement le même entrain que lorsque j'ai élevé mes enfants. Les petits, c'est normal, faut jouer avec eux, les sortir, préparer les repas... Alors quand les trois viennent à la maison, ça bouscule mes habitudes. Et puis, j'ai du mal à dire non, sinon je sais qu'ils seront mis chez leurs autres grands-parents tout le temps. Ils penseraient quoi après ? Que je les aime moins ?


Parmi eux, certains sont à la retraite et d’autres travaillent encore. Actuellement, une génération entière est maintenue à l’emploi de plus en plus tard, avec le recul de l’âge de la pension. Les personnes de plus de 60 ans sont par ailleurs très massivement en bonne forme physique et intellectuelle. Ces grands-parents dynamiques, généralement nés durant le baby-boom (entre 1946 et 1964) font partie de ce que l’on appelle la « génération sandwich » ou « génération pivot ». Comme le souligne Enéo[5], nombre d’entre eux, aux alentours de la retraite, doivent gérer diverses situations qui dérivent de changements familiaux : les enfants qui quittent le domicile plus tard qu’avant, les petits-enfants dont il faut s’occuper, car les deux parents travaillent, et les parents plus âgés qui nécessitent parfois également de l’aide.

En demande-t-on beaucoup (trop ?) aux grands-parents ?

Qu’ils soient encore au travail ou vivent pleinement leur retraite, les grands-parents se retrouvent parfois dans une dynamique de vie bien intense. On peut alors se poser la question suivante : en demande-t-on trop aux grands-parents ? Y a-t-il des limites inhérentes à la grand-parentalité qu’il est important de fixer ? Tout d’abord, il s’agit de faire la distinction entre les limites que doivent poser les parents et celles à poser en tant que grands-parents. Les parents doivent parfois se prémunir face à leurs propres parents qui s’imposent dans leurs choix éducatifs et leur quotidien. Mais les parents doivent aussi comprendre que les grands-parents ne sont pas systématiquement les personnes vers qui se tourner lorsqu’ils ont besoin d’aide et de garde pour leurs enfants. Pierre Degand, fondateur du réseau Séquoia, explique que c'est aussi aux enfants à épargner leurs parents, et ne pas les considérer comme le help-desk familial[6]. Pour les grands-parents, il importe de savoir se fixer des limites pour ne pas se laisser surpasser par un trop-plein d’énergie investi dans les petits-enfants, au risque de se fatiguer. Mais il n’est pas toujours facile pour les grands-parents d’arriver à fixer leurs limites. Parce qu’ils ont envie de se rendre disponibles, d’être utiles, mais aussi parce qu’ils aiment plus que tout leurs petits-enfants !

Une étude[7] australienne (réalisée sur des femmes de 57 à 68 ans) parue en 2014 déclare que garder ses petits-enfants un jour par semaine serait bénéfique pour la santé des grands-mères et leurs performances cognitives. En revanche, pour celles qui les gardent 5 jours par semaine, les répercussions seraient néfastes : stress, anxiété, détériorations des performances cognitives. Le mouvement Enéo explique que certains grands-parents développent même des maladies après plusieurs jours de garde des enfants. L’affection que les aînés portent à leurs petits-enfants, peut parfois se transformer en une contrainte dont les effets négatifs ne sont pas toujours mesurés, d’autant plus lorsque ces personnes combinent avec ça une fonction d’aide à un parent plus âgé[8].

Pour Pierre Degand, le fondateur du réseau Séquoia, les personnes qui se retrouvent à la retraite doivent se recréer tout un réseau social. En se consacrant totalement à leurs petits-enfants, le risque est de se retrouver rapidement isolés. Certains le regrettent d'ailleurs. Pour lui, la limite devrait être fixée à deux jours par semaine ; au-delà, cela devient fatigant de s'occuper des enfants. Si on parvient à bien doser son effort, on est au contraire beaucoup plus en forme, on garde son self-control et son calme avec ses petits-enfants[9]. Notons que tous les grands-parents ne tiennent pas à se rendre disponibles et présents auprès de leur famille. Certains précisent souvent dès l’annonce de la maternité qu’ils ne tiendront pas à s’occuper non-stop des petits-enfants.

Des familles inégales face à l’aide intergénérationnelle familiale ?

Cependant, toutes les familles ne bénéficient pas de l’aide des grands-parents. Certains parents ont perdu leurs propres parents, d’autres vivent loin d’eux, d’autres encore ont des parents extrêmement occupés, malades ou ne souhaitant pas s’impliquer. De grandes disparités entre les familles sont observées et d’autres moyens de garde et de solidarité sont alors nécessaires.

Une étude[10] a été réalisée sur la grand-parentalité en Europe en 2013. Parmi les caractéristiques qui définissent les grands-parents les plus susceptibles de garder leurs petits-enfants, l’étude souligne un niveau d’éducation plus élevé, se situer dans les quantiles de richesses plus élevés et être en meilleure santé. Or, tous ces éléments concernent les classes socio-économiquement plus aisées. Les personnes qui font partie des classes les plus favorisées se verraient alors plus facilement aidées par les grands-parents.

Comme nous le montrait France Baie dans une analyse UFAPEC[11], Claudine Attias-Donfut, sociologue, souligne que ces solidarités intergénérationnelles sont inégalement développées selon les familles[12]. Les inégalités de ressources, par exemple, interviennent dans l’entraide. Plus on possède de capacité d’aide, d’argent, de moyens matériels, de temps, de capital social, plus on pourra en donner et en recevoir. Le critère de la distance géographique intervient également et conditionne les rencontres et les types de services échangés au sein d’une famille. Pour Claudine Attias-Donfut, la proximité géographique est la norme de beaucoup de familles et permet d’allier individualisme et interdépendance.

Toutes ces familles qui n’ont pas la possibilité de bénéficier de l’aide de leurs parents doivent alors se tourner vers d’autres modes de garde. Mais ce n’est pas toujours évident pour ces familles de s’organiser et de trouver des solutions qui sont acceptables pour elles. Que faire quand les places en crèches sont insuffisantes, trop chères ou que l’accès à la crèche n’est pas réalisable ? Que faire quand les horaires de travail sont décalés et difficilement combinables avec les horaires scolaires des enfants ? Si certaines familles arrivent à faire face à ces problèmes, d’autres doivent se débrouiller en faisant appel à une solidarité allant au-delà du cadre familial, ce qui nécessite d’avoir les ressources (financières, sociales, culturelles) pour se tourner vers ce genre d’alternatives. Dans certaines familles, la mère cesse de travailler afin de garder les enfants, ce qui, nous le verrons par après, peut mettre en péril l’avenir professionnel et financier de la mère[13], et créer un cercle vicieux pour les familles les moins favorisées.

Les grands-parents ont-ils un rôle dans l’éducation et la scolarité de leurs petits-enfants ?

De manière générale, les grands-parents d’aujourd’hui ont un rôle beaucoup plus ludique que les grands-parents d’antan. Les normes de respect ont été assouplies et le cadre de grand-parentalité est devenu bien moins autoritaire et davantage bienveillant, laissant la place aux sentiments, à la tendresse et aux tranches de rigolade. Les permissions sont souvent plus nombreuses et les règles plus souples que chez les parents, parce que l’idée n’est plus tellement d’éduquer les enfants en tant que grands-parents, mais d’offrir d’autres types de liens et de moments. L’éducation en tant que telle est souvent considérée aujourd’hui comme relevant uniquement de la responsabilité et du rôle des parents. Certains grands-parents déplorent le rôle d’éducateur qu’ils doivent parfois endosser, à contrecœur.


Joëlle, 62 ans, coincée[14]

Mon fils est infirmier. Il vient de se séparer de la maman de ses deux filles (8 et 6 ans) dont il a la garde alternée. Vu ses horaires, nous devons l’épauler. Les petites sont très souvent chez nous. J’estime dès lors que nous avons un devoir d’éducation, que nous devons établir pour elles un cadre sur lequel elles puissent s’appuyer pour grandir. Et qui dit cadre dit règles ! Je le regrette un peu, car j’aurais aimé ne pas devoir jouer ce rôle-là.


Claudine Attias-Donfut remarque que beaucoup moins d’enfants qu’auparavant sont élevés par leurs grands-parents. Pour elle, avec l’influence de la vulgate psychanalytique[15], les enfants auraient le sentiment d’être abandonnés et les parents se culpabiliseraient trop s’ils n’en assumaient pas l’éducation. Morgan Kitzmann, sociologue, remarque cependant qu’un mode de garde intensive, c’est-à-dire une garde quotidienne voire exclusive de l’enfant, est plus souvent présent dans les milieux plus modestes, dans la mesure où la nécessité de séparer nettement les sphères parentale et grand-parentale est moins marquée[16]. Il remarque que les grands-parents plus aisés semblent éviter à tout prix les ingérences entre sphère parentale et sphère grand-parentale et mobilisent davantage une garde de routine qui permet de fixer des contours nets à leurs interventions plutôt qu’une garde intensive qui induit un flou dans les échanges[17].

Cependant, Claudine Attias-Donfut souligne le fait que les grands-parents jouent aujourd’hui un nouveau rôle, notamment en assurant la garde des jeunes petits-enfants et en les aidant pour leurs devoirs scolaires ensuite[18]. Les enquêtes montrent que les grands-parents actuels font beaucoup plus que dans les deux générations précédentes, cela étant notamment dû au grand nombre de séparations parentales que connait notre société actuelle. Ainsi, comme le montrait Alice Pierard dans une analyse UFAPEC[19], les grands-parents aident parfois les petits-enfants dans la réalisation de leurs devoirs, la récitation de leurs leçons et les soutiennent pour surmonter des épreuves telles qu’un examen raté ou un redoublement. Cependant, il est important de noter que les capitaux économique et culturel des grands-parents jouent aussi sur la façon dont cette garde de routine prend forme[20]. L’aide dans la scolarité de la part des grands-parents qui gardent leurs petits-enfants de manière routinière (ou parfois intensive) dépend du milieu socio-économique dans lequel ils se trouvent.

En outre, les animateurs et animatrices de l’UFAPEC remarquent que les grands-parents se proposent aussi dans certaines activités des associations de parents. Dans l’école libre de Lonzée, par exemple, des grands-parents viennent en classe apprendre des chansons. Dans certaines écoles, les grands-parents aident à l’entretien du potager de l’école, viennent conter des histoires, servir la soupe sur le temps de midi ou encore assurer la sécurité routière aux abords de l’école. À travers le projet Racines[21], les enfants sont amenés à construire leur arbre généalogique en allant reconstituer leur histoire auprès de leurs grands-parents.

Il est intéressant de se questionner dès lors sur la place qu’accorde l’école aux grands-parents. Sont-ils reconnus dans leur rôle éducatif ? Leur laisse-t-on une place dans des lieux où c’est a priori la présence du parent qui est attendue ? Comment jongler entre la présence forte de certains grands-parents dans la vie de leurs petits-enfants et l’absence totale de grands-parents pour d’autres enfants ?

Qu’est-ce que cela reflète au niveau de la société d’aujourd’hui ?

L’implication plus importante des grands-parents envers leurs petits-enfants n’est pas anodine. Qu’est-ce que cet engagement important dit du fonctionnement de notre société ? Dans un premier temps, on peut constater des transformations au sein même de la famille, depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. La diversité des configurations familiales implique une sollicitation des grands-parents telle que l’on ne l’avait encore jamais vue. Beaucoup plus de femmes qu’auparavant travaillent, et ne sont donc plus disponibles pour assurer la garde de leurs enfants. De plus, les exigences et les horaires de travail sont loin de se combiner avec les temps scolaires et le recours à des personnes et aides extérieures pour garder les enfants est parfois indispensable. Certaines carrières imposent un rythme effréné aux parents, avec des horaires de plus en plus flexibles qui ne facilitent pas toujours l’organisation familiale. Les conditions des emplois précaires, de plus en plus nombreux dans notre société, poussent les travailleurs à accepter des exigences et horaires contraignants. De plus, les divorces sont bien plus nombreux qu’auparavant. Une famille sur quatre est monoparentale en Belgique, avec plus de 8 fois sur 10 la mère à sa tête[22] ; une famille monoparentale sur deux vit sous le seuil de pauvreté en Wallonie. Dès lors, dans ce genre de cas, le recours aux grands-parents est souvent d’actualité, lorsqu’il est possible.

Il faut également noter que le développement de la protection sociale a grandement transformé les rapports entre les générations. Claudine Attias-Donfut[23] explique qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, la figure de grand-parent n’existait que dans les classes aisées. Dans les classes populaires, le travail se réalisait jusqu’à l’épuisement et la prise en charge de la personne âgée était réalisée par les enfants. Avec le système de la retraite, les générations âgées ont vu se libérer du temps et des moyens. La prise en charge financière se fait maintenant généralement dans l’autre sens : des plus âgés aux enfants et petits-enfants. Les grands-parents ont dès lors plus de temps, à la retraite, parfois plus de ressources financières et surtout de recul pour aider et soutenir leur famille, qui se trouve quelquefois dans des situations difficiles et précaires. Ils vivent aussi plus longtemps et il n’est pas rare d’avoir maintenant des arrière-grands-parents encore très actifs. Le risque inhérent à cela est que ce rôle a été en partie pris pour acquis par les gouvernements et les familles. Et dans beaucoup de pays les mesures d’austérité et les coupes dans les services publics vont sans doute augmenter la pression sur les grands-parents pour combler les lacunes de l’offre de services de garde formelle pour les enfants et de soins aux personnes âgées[24].

Par ailleurs, les systèmes de garde des enfants en bas-âge en Belgique ne sont pas suffisants. S’il y a un manque de places, on constate également un prix trop élevé pour certaines familles et des difficultés d’accessibilité. En 2016, 46 % des enfants de 0 à 3 ans résidant en Fédération Wallonie-Bruxelles fréquentaient une structure d’accueil pré-scolaire ou scolaire de la FWB[25]. Si certaines familles font le choix de ne pas mettre leurs enfants en structure d’accueil, d’autres n’ont pas la possibilité de faire autrement. Les grands-parents sont alors le seul recours possible.

Si le rôle des grands-parents diffère de celui du siècle dernier, c’est notamment parce que la place et la considération à l’égard de l’enfant a changé et que les liens familiaux ont une importance majeure. Face à une société devenue plus individualiste où les liens sociaux se sont détricotés, la solidarité intergénérationnelle est aussi importante et la famille est devenue un des rares lieux où s’opère cette transmission, qui tend à cloisonner les différents âges de la vie. Mais on remarque également des nouveautés dans les modes de vie d’aujourd’hui, comme les habitats groupés, un phénomène qui prend de l’ampleur de nos jours, où les différentes générations se côtoient et où les personnes plus âgées s’occupent également des petits-enfants qui ne sont pas nécessairement les leurs. Il n’est pas rare, de voir le système de solidarité étendu non plus seulement au cadre familial strict, mais également au réseau de voisins, par exemple.

Ensuite, si les grands-pères baby-boomers ont tendance à s’occuper de leurs petits-enfants, il faut noter que ce sont majoritairement les grands-mères qui assurent leur garde. Cette garde est parfois indispensable pour l’exercice de la profession de la mère. Les mères d’antan éduquaient leurs filles pour être de bonnes ménagères et de bonnes épouses ; aujourd’hui, elles aident leur fille (ou leur belle-fille) à développer leur carrière professionnelle et à s’épanouir[26]. Marie-Thérèse Casman, sociologue à l’Université de Liège et spécialiste de la famille, explique l’importance pour certaines femmes de pouvoir compter sur les grands-parents : à défaut de grands-parents dans les parages, beaucoup de femmes estiment que si leur salaire doit finir dans les frais de garde, alors autant rester avec le bébé. Ainsi s’enclenche la spirale qui conduit vers la perte de l’emploi, et parfois le chômage de longue durée[27].

Dans l’étude sur la grand-parentalité en Europe de 2013, les auteurs rappellent que les grands-mères jeunes, en bonne santé et avec des petits-enfants plus jeunes, sont les plus susceptibles de garder leurs petits-enfants. Or, ce sont ces femmes que les gouvernements européens veulent encourager à rester sur le marché du travail plus longtemps[28]. Qui va alors garder les petits-enfants, et quelles répercussions cela peut-il avoir sur la participation au marché du travail des mères de famille ? Pour les auteurs, il est important de mettre en œuvre des politiques sociales qui contribuent au maintien de ces relations sociales importantes, complexes et potentiellement fragiles[29]. Marie-Thérèse Casman regrette que ce soient les plus pauvres qui subissent encore plus les inégalités, c’est-à-dire prioritairement les femmes, puisque finalement notre société tire un avantage direct à leur précarité : mères et grands-mères sont ainsi disponibles pour assurer gratuitement et de manière privée les tâches de soin et d’éducation des enfants[30].

Pour finir, les grands-pères, quant à eux, émergent à l’image des « nouveaux-pères », sous la figure des « nouveaux grands-pères ». Claudine Attias-Donfut explique qu’ils sont plus investis que les grands-pères des générations précédentes. Voyant leurs fils s’occuper de leurs enfants, ils prennent conscience qu’eux, les baby-boomers, n’ont pas eu cette attitude[31]. La norme à l’époque était davantage tournée vers le travail et la vie publique pour les hommes. Aujourd’hui, on remarque qu’ils cherchent à passer du temps avec leurs petits-enfants et leur transmettre leurs goûts et valeurs (et non plus la transmission traditionnelle où il était entendu d’honorer le nom de la famille ou de reprendre l’entreprise familiale).

Conclusion

La place et le rôle des grands-parents d’aujourd’hui a beaucoup changé. Ils privilégient généralement les bons moments avec leurs petits-enfants en mettant de côté l’autorité stricte. Ils jouent un rôle important dans la famille, tant en termes de transmissions des valeurs, de l’histoire familiale, qu’en termes de garde des enfants. Mais si ces liens intergénérationnels comptent beaucoup, il importe de ne pas tomber dans l’excès en en demandant trop à ces grands-parents, qui parfois jonglent entre de nombreuses obligations.

Cependant, rappelons que toutes les familles n’ont pas la chance de pouvoir compter sur l’aide et la présence des grands-parents. L’UFAPEC souhaite ainsi la mise en place de structures d’accueil accessibles et de qualité pour toutes les familles afin de rompre le cercle vicieux des inégalités, comme l’a dit Dominique Houssonloge dans l’étude Cinquante ans après Mai 68, l'égalité hommes-femmes en tension. L’UFAPEC pense, par ailleurs, que les grands-parents jouent un rôle essentiel dans le paysage de l’école, car ils peuvent apporter un soutien scolaire aux enfants. Ils sont souvent bien précieux dans la vie de l’école et comme personnes ressources, notamment dans les activités des associations de parents. L’UFAPEC pense dès lors qu’il faut tenir compte de ces nouveaux partenaires que sont les grands-parents, qui côtoient de plus en plus les acteurs de l’enseignement. Cependant, il est élémentaire que l’école ne compte pas, dans le cadre du partenariat école-famille, sur les grands-parents et ne prenne leur présence pour un acquis.

Dans cette perspective, comme le disait France Baie dans son analyse[32], l’UFAPEC pense qu’il est nécessaire de renforcer, d’étayer, d’aider au maintien des solidarités entre les générations. Cette ambition doit être collective. En effet chacun de nous peut être porteur de cette solidarité humaine ne serait-ce que dans sa famille, dans son quartier, dans son village, dans sa ville, dans sa vie professionnelle, et bien sûr aussi dans son école pour un mieux-être en devenir !

 

Manon Claes

 

 


[1] Hélène Eraly Philippe Andrianne Francis Delpérée, Grands-parents, Balises n° 53 « Famille je vous aide », Enéo, février mars avril 2016, https://www.eneo.be/images/balises/Balises_53.pdf, p. 26.

[2] Les grands-parents très sollicités : sont-ils menacés de burn out ?, RTL Info, 29/08/2017, https://www.rtl.be/info/belgique/societe/les-grands-parents-tres-sollicites-sont-ils-menaces-de-burn-out--948154.aspx

[3] Michel Torrekens, Paroles de grands-parents : les limites, Le Ligueur, 30/04/2014, https://www.laligue.be/leligueur/articles/paroles-de-grands-parents-les-limites

[5] Hélène Eraly Philippe Andrianne Francis Delpérée, p. 29.

[6] Charlotte Legrand, Génération Chicouf : papys et mamys très sollicités, prêts pour la rentrée, RTBF, 3/09/2018 https://www.rtbf.be/info/societe/detail_generation-chicouf-papys-et-mamys-tres-sollicites-prets-pour-la-rentree?id=10004710

[7] Anne-Laure Lebrun, Garder (un peu) ses petits-enfants conserve, le Figaro, 11/04/2014, http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/04/11/22215-garder-peu-ses-petits-enfants-conserve

[8] Hélène Eraly Philippe Andrianne Francis Delpérée, p. 27.

[9] Charlotte Legrand, Génération Chicouf, Op cit.

[10] Karen Glaser et al., Grand-parentalité en Europe : La politique familiale et le rôle des grands-parents dans la garde d’enfants, mars 2013, https://www.grandparentsplus.org.uk/Handlers/Download.ashx?IDMF=816acba3-d751-4514-be40-661cb4c55a93

[11] France Baie, Le rôle des grands-parents dans la scolarité des enfants, analyse 04.09, http://www.ufapec.be/nos-analyses/le-role-des-grands-parents-dans-la-scolarite-des-enfants.html

[12] Claudine Attias-Donfut, Familles : des générations solidaires, Sciences Humaines, juin-juillet-août 2011, https://www.scienceshumaines.com/familles-des-generations-solidaires_fr_12337.html

[13] A ce sujet, voir l’étude UFAPEC de Dominique Houssonloge, Cinquante ans après Mai 68, l'égalité hommes-femmes en tension, 15.18, http://www.ufapec.be/nos-analyses/1518et2-egalite-hommes-femmes.html

[14] Michel Torrekens, op. cit

[15] Psychanalyse vulgarisée, à l’usage du plus grand nombre.

[16] Morgan Kitzmann, « La prise en charge des jeunes enfants par l’aide grand-parentale : un mode de garde composite », Revue française des affaires sociales, 2017/2, p. 201.

[17] Ibid, p. 202.

[18] Propos recueillis par Martine Fournier, Grands-parents : trouver la bonne distance, Entretien avec Claudine Attias-Donfut, Sciences Humaines, juin-juillet-août 2015, https://www.scienceshumaines.com/grands-parents-trouver-la-bonne-distance-entretien-avec-claudine-attias-donfut_fr_34661.html

[19] Alice Pierard, La place des grands-parents auprès de leurs petits-enfants, analyse 32.13, http://www.ufapec.be/nos-analyses/3213-grd-parents.html

[20] Morgan Kitzmann, La prise en charge des jeunes enfants par l’aide grand-parentale…

[21] Voir l’analyse UFAPEC de France Baie, Parler de ses origines : une manière d’impliquer les parents issus de l’immigration à l'école ?, analyse 03.15, http://www.ufapec.be/nos-analyses/0315-racines.html et le site internet du projet http://www.desracinespourgrandir.com/

[22] Familles monoparentales, Les Femmes Prévoyantes Socialistes, http://www.femmesprevoyantes.be/themes/familles/familles-monoparentales/

[23] Propos recueillis par Martine Fournier, Grands-parents : trouver la bonne distance.

[24] Karen Glaser et al., Grand-parentalité en Europe…, p. 1.

[26] Propos recueillis par Martine Fournier, Grands-parents : trouver la bonne distance.

[27] Nina Sirilma, Quand les grands-mères gardent leurs petits-enfants, Axelle magazine, hors-série n°195-196, janvier-février 2017, https://www.axellemag.be/grands-meres-gardent-leurs-petits-enfants/

[28] Karen Glaser et al., Grand-parentalité en Europe…, p. 1.

[29] Ibidem.

[30] Ibidem.

[31] Propos recueillis par Martine Fournier, Grands-parents : trouver la bonne distance.

[32] France Baie, Le rôle des grands-parents dans la scolarité des enfants.

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