Analyse UFAPEC décembre 2025 par S. Ryelandt

24.25/ Décret smartphone : une occasion manquée de faire vivre la démocratie scolaire ?

Introduction

Adopté le 13 mars 2025, mis en application le 25 août 2025, le décret relatif à l’interdiction de l’usage récréatif des téléphones portables à l’école (décret smartphone) a obligé chaque établissement scolaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FW-B) à adapter son règlement d’ordre intérieur, sans réelle possibilité d’un temps de concertation en interne pour décider des modalités concrètes d’application de cette nouvelle réglementation, comme les conditions de rangement des smartphones, les sanctions prévues[1]

Dans deux précédentes analyses, nous avons cherché à comprendre si interdire les smartphones à l’école répondait de manière évidente aux problèmes de santé des jeunes, de concentration, de harcèlement, de climat scolaire, qui ont motivé l’adoption de ce décret par le gouvernement[2].

Nous avons montré que l’utilisation excessive, parfois problématique, du smartphone concerne bien moins les enfants que les adolescents[3], pour qui le smartphone est souvent indispensable, notamment en tant qu’outil de socialisation. Toute réflexion autour de cette question devrait s’envisager de manière systémique, au-delà de « l’objet smartphone », car son usage excessif, parfois addictif, révèle bien souvent d’autres problèmes sous-jacents (mal-être…). Elle doit aussi dépasser le cadre de l’école, car un jeune qui utilise son smartphone de manière problématique (cyberharcèlement…) reproduira ces comportements dans tous ses lieux de vie. Dans une visée de mieux-être et pour assurer un véritable changement, il semble indispensable d’apprendre aux jeunes à faire le meilleur usage possible de leur smartphone tout en s’intéressant aux raisons qui poussent certains à passer tant d’heures à scroller sur les réseaux sociaux ou à jouer en ligne ; proposer des alternatives désirables aux écrans, créer les conditions qui donnent envie aux adolescents de lever la tête de leur smartphone, est également fondamental.

Quant à la qualité du climat scolaire, nous avons vu qu’il ne s’agit pas que d’une question de harcèlement… Pour se donner les chances d’améliorer ce climat, il est nécessaire d’agir, non seulement sur les relations entre élèves, mais également sur l’environnement relationnel global de l’école, incluant tous ses acteurs. D’autres facteurs, qui influencent aussi la qualité du climat scolaire, doivent être pris en considération, comme les environnements physique (qualité des bâtiments…), pédagogique (qualité de l’enseignement, du matériel pédagogique…) et normatif (règles existantes et manière dont elles sont construites, sentiment de sécurité…) de l’école.

Dans cette analyse, en écho avec le décret smartphone, nous nous penchons sur les règles de vie en commun à l’école. Comment se décident-elles ? Les élèves, qui sont les premiers concernés par ces règles, participent-ils à leur élaboration ou leur sont-elles imposées ? En quoi la participation des élèves est-elle intéressante, pour eux et pour les acteurs de l’école ? En quoi la non-participation des élèves peut-elle être problématique ? Mais, est-il toujours possible d’inclure les élèves dans l’élaboration de ces règles ?

Règles de la vie en commun à l’école : comment se décident-elles ?

Tous les établissements scolaires (enseignement ordinaire et spécialisé) ont l’obligation d’établir leur règlement d’ordre intérieur (ROI), comprenant notamment les règles relatives à la vie en commun et aux sanctions disciplinaires[4]. C’est dans le ROI, qui s’applique aux élèves, que les règles liées à l’apport d’objets personnels ou l’utilisation des technologies numériques sont détaillées[5].

Comment s’élabore et se décide le ROI d’un établissement scolaire ? Si le pouvoir organisateur (PO) est responsable de fixer et d’édicter ce règlement, il doit obligatoirement, avant de le faire, le soumettre au conseil de participation (CoPa) de l’école, qui débat, remet un avis, et éventuellement amende et complète le ROI proposé. Parmi les membres élus du CoPa figurent les représentants des élèves et les représentants des parents, qui sont donc partie prenante des processus de décision[6]. Le CoPa doit donc être considéré comme un outil de démocratie participative. Notons que, si c’est obligatoire en secondaire, inclure des représentants des élèves dans le primaire est optionnel.

En 2023, pour répondre aux difficultés exprimées par des élèves en rapport avec le ROI de leur école, une circulaire est venue préciser la manière dont les règles doivent être formulées, expliquées et communiquées aux élèves, (…) comment les sanctions doivent être conçues et appliquées, et dans quelle mesure une règle peut ou non faire l’objet d’une discussion avec les élèves[7]. Concernant ce dernier point, la circulaire rappelle que les ROI des écoles doivent toujours respecter et intégrer les normes de droit supérieures qui l’encadrent et que, pour certains sujets, comme la gratuité, les règles à intégrer dans le ROI sont directement imposées par un décret. Cela signifie que, dans l’élaboration et la formulation du ROI, les établissements scolaires ont, de fait, une autonomie restreinte.

S’appuyant sur la convention internationale des droits de l’enfant, qui reconnait à chaque enfant le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, la circulaire insiste sur la participation des élèves aux décisions les concernant, car cela permet de renforcer la confiance et d’augmenter l’adhésion des élèves au projet de leur établissement scolaire[8]. Selon cette circulaire, la rédaction du ROI ou sa révision doivent être l’occasion de mener une expérience démocratique collective avec les élèves[9].

Mais, assiste-t-on actuellement à un revirement dans cette volonté de vouloir faire vivre la démocratie scolaire ? Si la déclaration de politique communautaire (DPC) 2019-2024 de la FW-B prévoyait d’« encourager l’expression des élèves et renforcer la démocratie scolaire dès le plus jeune âge afin de faire des élèves des citoyens à part entière »[10], les termes de « démocratie scolaire » n’apparaissent plus dans celle de 2024-2029, même s’il est noté que l’école contribue notamment au développement de la démocratie et de la citoyenneté (…)[11].

Par ailleurs, en ce qui concerne les décrets et leur élaboration, si, tout au long des travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence (Pacte), le gouvernement avait pris pour habitude de s’entretenir avec les acteurs de l’enseignement dans le cadre du comité de concertation du Pacte, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Aucune concertation n’a par exemple été prévue en amont de l’avant-projet du décret smartphone, ce que regrette l’UFAPEC[12].

Régulation du smartphone imposée aux écoles

Avant l’année scolaire 2025-2026, on observait une diversité de pratiques dans les écoles concernant l’usage du smartphone et des appareils connectés, chaque établissement scolaire établissait librement sa politique à ce sujet. De nombreuses écoles, en phase avec leur projet pédagogique, avaient déjà adapté leur ROI en y intégrant la question du smartphone. Dans certains établissements, il était interdit pour les élèves d’utiliser leur smartphone dans l’entièreté des bâtiments scolaires, dans d’autres, l’interdiction ne concernait que les locaux de classe, les élèves devant ranger leur smartphone dans leur sac ou dans des pochettes prévues à cet effet. Des établissements, comme l'Institut des Filles de Marie à Saint-Gilles, où les téléphones étaient autorisés dans la cour de récréation, ont décidé des règles relatives au smartphone en concertation avec les élèves, avec la volonté d'être dans une dynamique d'apprentissage plutôt que de répression[13].

Depuis la dernière rentrée scolaire, toutes les écoles de la FW-B ont dû adapter leur ROI pour y intégrer les nouvelles règles concernant l'usage du smartphone, sans pouvoir consulter les élèves, pourtant les premiers concernés par la question. Pour certains établissements, cette approche répressive de la question de la régulation de l’usage des objets connectés a pu sembler surprenante. En effet, dans sa déclaration de politique communautaire 2024-2029, si le gouvernement prévoyait bien de proscrire l’usage du smartphone dans les écoles primaires, en ce qui concerne les établissements secondaires, il s’agissait seulement de les inciter (…) à interdire l’utilisation des smartphones, montres connectées, etc. à des fins récréatives jusqu’à la fin du tronc commun. Il était par ailleurs annoncé que cette interdiction s’effectuera à travers un processus interne aux écoles, par exemple via le conseil de participation, le conseil des élèves, etc[14].

Si l’approche protectrice et autoritaire adoptée traduit sans doute une réelle inquiétude du gouvernement pour la santé des élèves et le bien-être à l’école, n’aurait-il pas été plus pertinent de s’en tenir à ce qui était annoncé dans la DPC ? Beaucoup d’écoles, qui se demandaient comment adapter leur ROI pour y intégrer la question des écrans et du smartphone, attendaient plutôt un accompagnement ou des conseils de la part du gouvernement et souhaitaient avoir la liberté d’adopter des règles en fonction de leur réalité de terrain. Avec la mise en application de ce décret, certains directeurs d'école ont exprimé leur crainte de devoir passer leur temps à « policer » les élèves[15].

Pour l'UFAPEC, toute modification du règlement d'ordre intérieur, de quelque matière que ce soit, devrait partir du terrain propre de chaque école et être, comme le prévoit la loi, débattue en CoPa, car une régulation a plus d'effet lorsqu'elle est construite avec ses différents acteurs, dont les élèves. Particulièrement dans l'enseignement secondaire, les élèves ont des avis et des expériences précieuses à partager, ils peuvent comprendre la nécessité d'une régulation, ils en sont d'ailleurs souvent demandeurs. Une régulation, comme celle du smartphone, est (était) pour les écoles une opportunité de faire vivre à leurs élèves le « faire démocratie » à l’école, et de respecter l'objectif pédagogique visé par tout ROI : s’il est de nature juridique, le R.O.I. n’en a pas moins une fonction pédagogique (…)[16].

Négliger l'étape de la co-construction des règles du ROI peut par ailleurs créer des problèmes, du stress et des tensions entre les acteurs scolaires. Par exemple, depuis la mise en application du décret dans son école, Julien, élève en première secondaire, est stressé à l'idée de se faire voler son smartphone car, durant les temps de récréation, les élèves doivent laisser leur téléphone dans leur bureau en classe[17]. Et, récemment, une maman appelait l'UFAPEC pour dire son indignation concernant le fait que son fils se soit vu confisquer son téléphone parce qu'il le consultait dans les toilettes. Ce témoignage montre que, face à des règles imposées, qui ne font pas nécessairement sens pour ceux à qui elles s'appliquent, un élève qui veut vraiment consulter son smartphone le fera, malgré l'interdiction.

Dans le dernier Mémorandum du Forum des jeunes, de nombreux témoignages montrent que les jeunes souhaitent être plus écoutés et consultés, ils sont demandeurs de débats intergénérationnels et de plus de démocratie à l'école : (…) c'est beau d'enseigner les droits, mais à un moment, quand on voit comment certains aspects de la vie scolaire sont gérés, on voit que dans la vie scolaire, ces droits ne sont absolument pas intégrés (E., 23 ans)[18].

Pour Fatima Amkoui, l’ancienne secrétaire générale de l’asbl Jeune et Citoyen (JEC[19]), qui s’exprimait en 2020, dans le cadre d’une de nos publications, sur la question de la démocratie scolaire, inclure les élèves dans les réflexions autour des « lois scolaires » est très important, pas seulement pour donner l'occasion aux élèves de s'exprimer, mais aussi pour leur permettre d'être plus réceptifs aux apprentissages. En effet, pour elle, le fait d'encourager les élèves à prendre du recul par rapport à leur vie à l’école, de réfléchir à leurs besoins, à leurs aspirations, à leurs relations, a généralement un impact positif sur leur rapport aux apprentissages[20].

De l'importance d'éduquer aux médias à l’école

Le fait d'interdire l'usage récréatif des objets connectés à l'école ne résout pas la question de la gestion de leur smartphone par les jeunes, qui vivent en permanence avec cet objet, qui sont sur les réseaux sociaux, qui jouent en ligne, et qui ont besoin d'être accompagnés par rapport à toutes ces pratiques. Pour moi, les réseaux sociaux, les téléphones et tout ça, on n'en parle quasi pas ou même pas du tout à l'école, alors que c'est quelque chose qui me dérange dans ma vie de tous les jours. Ça m'empêche de faire beaucoup de choses. Je trouve qu’à l'école et autre part aussi, on devrait en parler plus (D., 16 ans)[21]. La préoccupation de cet adolescent concernant la gestion de son smartphone est partagée par de nombreux jeunes, comme nous l’avons vu dans une précédente analyse[22].

Lieu d'échange et de dialogue (…), l'école ne peut pas se contenter d'imposer une interdiction non concertée comme seule mesure, dit le CSEM, qui enjoint les écoles à ne pas se limiter à faire de l'éducation « par les médias », en considérant uniquement l'outil numérique comme un moyen de consommer des contenus médiatiques, mais à pratiquer une réelle éducation « aux médias » (EAM)[23]. Pour le CSEM, étant donné la place centrale qu'occupe le numérique (réseaux sociaux, jeux en ligne…) dans le développement cognitif, social et culturel des jeunes, l'école doit pouvoir s'y intéresser et proposer à ses élèves un dialogue éducatif qui s'appuie sur le vécu des élèves et qui part de leurs pratiques médiatiques.[24]. Quels réseaux sociaux les jeunes utilisent-ils ? Qu'y font-ils et pourquoi ? Sont-ils témoins de problèmes de cyberharcèlement ? Jouent-ils régulièrement à des jeux en ligne ? Etc.

Par rapport aux compétences à développer en EAM, la FW-B a consacré, avec le CSEM, une brochure thématique consacrée à l'EAM dans les référentiels du tronc commun[25]. Il s'agit d'apprendre progressivement aux élèves, dès la première année du tronc commun et à travers les différentes disciplines scolaires, à devenir compétent, autonome et critique en tant que lecteur, spectateur, auditeur, internaute, gamer[26]. L'apprentissage ne concerne pas seulement les compétences techniques liées au numérique, qui sont par ailleurs prévues dans un autre référentiel[27], mais bien le développement des connaissances, des compétences (…) concernant toutes les formes de communication médiatisée (…) informatives, persuasives, divertissantes, ludiques, culturelles ou sociales. Elle {L'EAM} couvre par conséquent toute la diversité des médias : notamment la télévision, la presse, la radio, les podcasts, le cinéma, les réseaux sociaux, les plateformes et les jeux vidéo... Elle rend ainsi ses bénéficiaires aptes à faire usage des médias en tant que destinataire, usager, créateur ou contributeur[28].

Comme le CSEM, l'UFAPEC pense que l'interdiction du smartphone doit absolument s'accompagner d'une éducation aux médias (et pas seulement par les médias) à l'école, éventuellement avec le soutien d'intervenants extérieurs, car ce n'est que via l'école qu'il est possible d'assurer à tous les jeunes une telle éducation de qualité. Dans ce cadre, veiller à la formation (initiale et continuée) des enseignants est essentiel.

Dans son avis sur les effets de l'utilisation des écrans et des réseaux sociaux sur les jeunes, le conseil supérieur de la santé recommande de davantage accompagner les jeunes dans leur utilisation des applications numériques. Concernant le smartphone, le rapport souligne que ce n'est pas l'appareil qui est nuisible mais l'utilisation de certaines applications dans certains contextes et par certaines personnes, et qu'il est donc surtout nécessaire de mieux encadrer celles-ci (…)[29]. Par exemple, et comme nous l'avons vu dans de précédentes analyses, l'usage des réseaux sociaux n'est pas en soi négatif, il peut même être très positif et renforcer le bien-être, mais, lorsqu'un adolescent est en situation de mal-être, qu'il est fragile et vulnérable, les risques sont plus importants qu'il en ait une utilisation problématique, qui impacte négativement sa santé, son développement cognitif et son fonctionnement social[30].

De l'importance d'une cohérence éducative

Des parents souhaitent que l'interdiction récréative du smartphone à l'école soit également appliquée aux enseignants et aux éducateurs. Combien de fois j'ai vu des enfants se bagarrer pendant que les surveillants étaient scotchés sur leurs smartphones, s'indigne ainsi cette maman[31]. Pour l'UFAPEC, même si le ROI ne s'applique pas au personnel éducatif, il est important de veiller à une certaine cohérence entre ce qui est demandé aux élèves et à l'équipe éducative, sous peine de créer un sentiment d'injustice auprès des élèves et d'enlever une part de légitimité aux règles du vivre ensemble. Car l'utilisation excessive et parfois problématique du smartphone concerne aussi les adultes[32] ! Avec la régulation du smartphone, comme avec celle des tenues vestimentaires à laquelle l'UFAPEC a consacré une étude en 2022, se pose la question de l'exemplarité, de la cohérence et du sens[33] !

Enfin, n'est-il pas contradictoire que l'école (enseignement secondaire) exige de la part de ses élèves de se connecter à des plateformes scolaire (Smartschool, Cabanga…), pour accéder à certains devoirs, certains cours, alors que, dans le même temps, elle leur demande de diminuer leur temps d'écran ? Et, se retrouver devant un écran pour un travail scolaire n'amène-t-il pas de nombreux élèves à se laisser distraire ? Par ailleurs, comment les parents peuvent-ils fixer des limites cohérentes aux écrans à la maison quand l'école elle-même demande à leur enfant de se connecter pour le travail à domicile ? Même si l'interdiction ne vise pas l'usage pédagogique du smartphone, des parents expriment leur incompréhension à ce sujet : on interdit les smartphones pour éviter les distractions, mais on leur demande d’utiliser leur propre téléphone pour faire des exercices en ligne. Tout à fait logique. (…)[34].

Une maman, favorable à l'utilisation des nouvelles technologies à l'école, pense que cette dernière devrait fournir du matériel adapté, comme des tablettes, utilisables uniquement en contexte pédagogique[35]. En dehors de la question problématique d'utilisation d'un même appareil pour les usages pédagogique et récréatif, aller dans le sens de la suggestion de cette maman permettrait d'apporter une réponse à la question de l'accès aux appareils numériques. Si l'école veut faire du smartphone un outil pédagogique, cela veut-il dire que tous les parents devraient en fournir un à leur enfant et accepter que ce dernier se connecte à domicile pour faire ses devoirs ?

Si la plupart des élèves ont effectivement un smartphone (enseignement secondaire), ce n'est pas le cas de tous. Certains parents n'ont pas les moyens d'offrir un téléphone connecté à leur enfant, d'autres, motivé par leurs craintes envers les dangers des objets connectés, souhaitent retarder au maximum l'achat du premier smartphone. Ainsi en est-il du mouvement de parents, KidsUnplugged, qui se mobilise pour que l'accès à un smartphone connecté ne se fasse pas avant la fin de la 2e secondaire[36].

Conclusion

La manière dont la régulation de l’usage du smartphone à l’école s’est décidée et a été mise en application a été l’occasion de nous pencher sur la question de la démocratie scolaire, qui, nous l’avons dit, participe à la qualité du climat scolaire.

Le droit de l’enfant à exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant est prévu par la convention internationale des droits de l’enfant. Dans le respect de ce droit, la FW-B rappelait récemment, dans son guide pour l’élaboration du ROI, combien il est important que les écoles, à travers des structures comme le CoPa, soutiennent la participation de leurs élèves aux décisions les concernant, cela pour renforcer leur confiance et augmenter leur adhésion au projet d’établissement. Même si, pour certains sujets, les règles à intégrer dans le ROI sont imposées par décret, la réécriture ou la révision du ROI devrait être l’occasion de mener une expérience démocratique collective.

En 2025, de manière précipitée, le gouvernement de la FW-B a imposé une révision du ROI à tous les établissements scolaires pour y intégrer les nouvelles règles liées aux objets connectés. Il n’a pas pris le temps de la concertation avec les acteurs de l’enseignement, et n’a pas tenu compte du fait que bon nombre d’écoles avaient déjà adapté leur ROI pour y inclure la question des usages des technologies numériques. Dans cette précipitation, il n’a pratiquement pas laissé aux écoles la possibilité de prendre le temps de débattre des modalités concrètes d’application de cette nouvelle réglementation avec les élèves, les parents, les membres du CoPa…

La question de l’usage des objets connectés était-elle si urgente, si grave, le smartphone représentait-il un tel danger pour la santé, les apprentissages ou le climat scolaire, qu’il était nécessaire de passer outre l’étape de la concertation et d’empêcher toute participation des élèves dans les processus de régulation ? Nous avons vu que ce n’était pas le cas et qu’une approche éducative, qui aurait tenu compte des réalités de terrain, aurait été plus appropriée, tant pour les élèves que pour la communauté éducative.

Des règles imposées, qui concernent des aspects très importants de leur vie, peuvent occasionner du stress chez les élèves, elles peuvent aussi encourager des comportements d’opposition, où l’adolescent cherche à braver l’interdiction, à défier l’autorité. Des règles, si elles ne sont pas comprises et acceptées, si elles sont perçues comme injustes (manque de cohérence éducative) peuvent impacter négativement les apprentissages et mener à une détérioration du climat scolaire, ce qui va totalement à l’encontre des objectifs exprimés par le gouvernement.

De plus, interdire l’usage récréatif du smartphone à l’école ne résout pas la question fondamentale de la gestion de leur smartphone par les jeunes, qui éprouvent de réelles difficultés à ce sujet. Et, comme l’a exprimé en 2024 l’association Infor Drogues & Addictions, se contenter de l’interdire dans les écoles, c’est prendre le risque de camoufler de réelles difficultés. Sa nécessaire gestion passe par un apprentissage collectif qu’il s’agit de mettre en place[37].

Pour l’UFAPEC, la nouvelle régulation du smartphone ne peut pas dédouaner l'école de ses responsabilités pédagogiques concernant les usages numériques des jeunes. Parce que le numérique occupe une place centrale dans leur développement cognitif, social et culturel, il est essentiel d’éduquer les adolescents aux médias, et pas seulement par les médias, en établissant un dialogue éducatif qui part des pratiques médiatiques des jeunes. Instaurer ce dialogue au sein des familles est également très important.

Enfin, le fait que beaucoup d’établissements d’enseignement secondaire demandent à leurs élèves de pouvoir se connecter pour leur travail à domicile est problématique pour l’UFAPEC. En effet, tous les jeunes n’ont pas la possibilité de le faire. De plus, quand cette contrainte est présente, tient-elle compte de la réalité économique qu’elle porte ? La connexion a un coût que certaines familles ne peuvent supporter.

Par ailleurs, exiger des élèves l’usage d’outils numériques pour faire leurs devoirs nous semble entrer en contradiction avec l’objectif de plus de concentration dans le travail, car l’on sait combien un outil connecté est source de distractions.

Si les enjeux éducatifs, liés aux problèmes de concentration, de santé, de bien-être des jeunes, sont importants, l’apprentissage à l’école du « faire démocratie » l’est tout autant et participe au bien-être global des élèves et de l’école.

 

Sybille Ryelandt

 

 


[1] Cf. Décret relatif à l’interdiction de l’usage récréatif des téléphones portables et de tout autre équipement terminal de communications électroniques à l’école, 13-05-2025 : https://gallilex.cfwb.be/textes-normatifs/53356

Pour info. : l’utilisation du téléphone portable reste possible à des fins pédagogiques, à la demande de l’enseignant, et pour des élèves présentant un trouble d’apprentissage ou de santé nécessitant l’utilisation d’équipements de communication électroniques (élèves à besoins spécifiques).

[2] RYELANDT S., Le smartphone, nocif pour la santé des jeunes ? Analyse UFAPEC 2025 n°18.25 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1825-smartphone-sante-ados.html et RYELANDT S., Violences entre élèves, la faute au smartphone ? Analyse UFAPEC 2025 n°19.25 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1925-smartphone-violence-eleves.html

[3] Pour la plupart des jeunes, l’acquisition du smartphone coïncide avec l’entrée dans le secondaire, cf. RYELANDT S., Le smartphone, nocif pour la santé des jeunes ?, op. cit., p. 3.

[5] Le ROI fixe les nombreux aspects de la vie en commun, comme les heures d’ouverture, les repas, l’entrée et la sortie de l’école, les comportements, les tenues vestimentaires, etc.

[6] Cf. Circulaire 9477 du 31/03/2025 intitulée le Conseil de participation en pratique, FW-B : https://gallilex.cfwb.be/circulaires/52377

Le CoPa est constitué de membres de droit (chef d’établissement, délégués du PO), de membres élus (représentants de l’équipe pédagogique et éducative, du personnel ouvrier et administratif, des parents et des élèves) et de membres cooptés de l’environnement de l’école.

[7] Cf. Circulaire 8806 du 12/01/2023 intitulée Guide pour l’élaboration du règlement d’ordre intérieur, FW-B : https://gallilex.cfwb.be/sites/default/files/imports/50586_000.pdf

[8] Ibidem, p. 4.

[9] Ibidem p. 19.

[12] Préalablement à la promulgation du décret smartphone, les acteurs de l’enseignement (représentants des PO, des enseignants, des associations de parents…) ont été consultés, comme l’oblige la loi, ce qui leur a permis de donner un avis formel (favorable, défavorable, réservé) sur le texte finalement adopté.

[13] DOMINE L., Dans les écoles, l’interdiction du smartphone divise les directions, La Libre, 25/08/2025.

[14] Déclaration de politique communautaire 2024-29, op.cit., p. 20.

[15] DOMINE L., op. cit.

[16] Circulaire 8806, op.cit., p. 3.

[17] Témoignage recueilli le 19/11/1025.

[18] Être jeune en 2023. Perspectives d’une jeunesse aux 1000 visages, Forum des Jeunes, décembre 2023, pp. 93 et 113 : https://forumdesjeunes.be/wp-content/uploads/2023/12/memorandum-2023-digital.pdf

[19] L’asbl Jeune Et Citoyen accompagne les jeunes dans l’exercice de leur pouvoir d’agir. Elle outille, sensibilise et forme les jeunes (et moins jeunes) pour qu’ils s’engagent dans une société démocratique en citoyens responsables, actifs, critiques, solidaires et engagés (CRACSE) : https://jecasbl.be/

[20] LORIERS B., L’école doit-elle construire sa loi avec les élèves ? Analyse UFAPEC 2020 n°17.20 : https://www.ufapec.be/files/files/analyses/2020/1720-loi-scolaire-eleves.pdf

[21] Être jeune en 2023, op.cit., p. 93.

[22] RYELANDT S., Le smartphone, nocif pour la santé des jeunes ?, op. cit., pp. 9-10.

[23] DUPUIS E., GRAU S., HAENECOUR D., L'interdiction du smartphone dans les écoles, Collection Éclairages n°3, CSEM, FW-B, septembre 2024 : https://www.csem.be/sites/default/files/2024-10/Eclairages%20smartphone%20(3).pdf

[24] Idem, et Éducation aux médias et tronc commun, activités pédagogiques en P5-P6, CSEM, FW-B, juin 2025, p. 5 : https://www.csem.be/eduquer-aux-medias/productions/eam-et-tronc-commun-activits-pdagogiques-vivre-en-p5-p6
Depuis 2021 et au fur et à mesure de l’implémentation du tronc commun, le CSEM produit des brochures d’activités d’éducation aux médias pour illustrer les attendus d’EAM.

[25] L’éducation aux médias dans les référentiel du tronc commun, FW-B, Pacte pour un enseignement d’excellence, p. 3 : https://www.csem.be/eduquer-aux-medias/productions/lducation-aux-mdias-dans-les-rfrentiels-du-tronc-commun
Notons qu’un Décret relatif à l’éducation aux médias a été promulgué en mai 2024 : https://www.csem.be/sites/default/files/2025-03/Decret%20EAM%202024.pdf

[26] Ibidem, p. 3.

[27] Avec le « volet numérique » du référentiel de Formation Manuel Technique Technologique et Numérique (FMTTN), l'élève est éduqué au numérique, il doit devenir autonome dans son utilisation des outils numériques dans leur aspect technologique (savoir créer du contenu numérique, paramétrer sont matériel numérique, assurer sa sécurité en ligne, etc.).

[29] Conseil supérieur de la santé, Les effets de l’utilisation des écrans et des médias sociaux sur les jeunes, avis 9877, 4/12/2025, résumé en français, p. 3 : https://www.hgr-css.be/fr/avis/9877/les-effets-de-lutilisation-des-ecrans-et-des-reseaux-sociaux-sur-les-jeunes

[30] Idem, et RYELANDT S., Le smartphone, nocif pour la santé des jeunes ?, op. cit, ; RYELANDT S., Violences entre élèves (…), op. cit.

[31] Témoignage recueilli sur la page facebook d’enseignement.be, en réaction à la publication d’un post de la FW-B sur l’interdiction du smartphone à l’école en août 2025.

[32] L’hyperconnexion des adultes et la question de la cohérence éducative est abordée dans : RYELANDT S., Le smartphone, nocif pour la santé des jeunes ?, op. cit., pp. 4 et 10.

[33] BAIE F., HOUSSONLOGE D., PIERARD A., Les règlements scolaires et leur application à propos des tenues vestimentaires sont-ils toujours d’actualité ? Étude UFAPEC 2022 n°11.22/Et 1 : https://www.ufapec.be/nos-analyses/1122-et1-tenues-vestimentaires.html

[34] Témoignage recueilli sur la page facebook d’enseignement.be, op.cit.

[35] Idem.

[37] Interdire le smartphone à l’école pour mieux éduquer à son utilisation ? Infor Drogues&Addictions, 10/09/2024 : https://infordrogues.be/interdire-le-smartphone-a-lecole-pour-mieux-eduquer-a-son-utilisation/

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