Analyse UFAPEC Avril 2024 par F. Baie

07.24/ Des espaces de parole pour nos ados ? L’avis des CPMS

Introduction

On pensait qu’avec le ralentissement de la pandémie de la Covid déclenchée en 2019, la santé mentale des élèves irait mieux. Il s’avère qu’il n’en n’est rien. Le malaise des jeunes lié à la Covid que nous avions étudié dans une précédente analyse[1] est aujourd’hui encore bien réel. Nous évoquerons quelques chiffres à ce sujet. Lors de nos rencontres entre associations de parents, les parents en témoignent et interpellent sur cette problématique avec des impacts importants sur la scolarité du jeune : échec, décrochage…

On le sait, et on le reconnait plus facilement aujourd’hui, une mauvaise santé mentale a des répercussions sur l’épanouissement, les relations sociales et sur les apprentissages des jeunes. C’est donc un enjeu important que d’avoir une société et une école où les jeunes se sentent bien. L’article 24 de la convention relative aux droits de l’enfant[2] reconnaît le droit de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation.

Pour contrer le malaise des jeunes, la pédopsychiatre Sophie Maes évoquait à une table-ronde organisée par l’UFAPEC, en présence de parents, l’idée de créer des groupes de parole réguliers au sein des écoles, éventuellement avec l’aide des centres PMS[3].

Dans les écoles secondaires, les groupes de parole pour les jeunes sont-ils une solution ? Faut-il les rendre obligatoires ? Quelles précautions prendre ? Qu’en pensent les CPMS (centres psycho-médico-sociaux) ?

Quelques chiffres

D’après un rapport émanant de l’UNICEF[4] en 2022 : 16,3 % des enfants et jeunes entre 10 et 19 ans en Belgique souffrent d’un problème de santé mentale diagnostiqué selon la définition de l’OMS[5].


D’autres chiffres précisent ce malaise des jeunes. En effet, l’enquête HBSC 2022[6], réalisée par le Sipes-ULB « Comportements, bien-être et santé des élèves »[7] montre que le bien-être des jeunes décroit au fil des années scolaires, surtout dans le secondaire. Ce sont donc plus nos grands ados qui souffrent le plus de mal-être.

Selon cette enquête, près d’un adolescent sur six est en souffrance mentale (risque de dépression), cela reste beaucoup. En 2022, 63,0 % des élèves scolarisés à Bruxelles et en Wallonie déclaraient un bien-être émotionnel satisfaisant, 23,5 % déclaraient un bien-être faible, et 13,5 % déclaraient un bien-être émotionnel suggérant un risque de dépression. Le niveau de bien-être émotionnel variait selon le degré scolaire (Figure 1). Les élèves de 5e-6e primaire étaient proportionnellement plus nombreux à avoir un niveau satisfaisant de bien-être émotionnel que les élèves du secondaire. En outre, les élèves du 1er degré étaient plus nombreux à avoir un tel niveau de bien-être que ceux du 2e-3e degré.

Des groupes de parole, une solution ?

Afin de connaître l’évolution de ce malaise, nous avons à nouveau interviewé Sophie Maes[8] qui confirme que les jeunes ne vont toujours pas bien. Pour elle, la souffrance des adolescents est le miroir des lacunes de notre fonctionnement sociétal. Les jeunes questionnent le sens du monde que nous leur proposons (individualisme, égoïsme, pression sociale, discrimination, crise climatique, guerre, hyperconsommation, hyperproduction, rentabilité, pression scolaire, etc.). Le malaise que vivent les jeunes est en quelque sorte un baromètre social. Sophie Maes affirme qu’aujourd’hui l’expression de la souffrance des jeunes se déplace de la sphère privée à la sphère scolaire. Maintenant, les manifestations anxieuses et dépressives, les crises de panique, les scarifications, voire les passages à l’acte suicidaire, se manifestent bien plus souvent en milieu scolaire, et ce, depuis la fin de la pandémie. Selon la pédopsychiatre, pour résorber ce malaise des jeunes, il n’y a pas de véritable volonté politique de faire de la prévention. Il y a eu une aide dans les structures de soins dans une logique curative mais ce n’est pas suffisant, affirme-t-elle. En effet, il ne suffit pas d’envoyer les jeunes en consultations, de renforcer les équipes mobiles, de faire appel à des psychologues de première ligne[9], d’aller voir un psychologue ou un pédopsychiatre ou encore d’hospitaliser les jeunes (les services de santé mentale sont d’ailleurs encore submergés), ce qui reviendrait à mettre un sparadrap sur le problème.

Elle préconise, à l’instar des pays scandinaves[10], que l’école soit un lieu qui développe le vivre ensemble, où les jeunes puissent exprimer davantage leurs émotions et développer leur empathie, dans un cadre bienveillant et sécurisé. Selon Sophie Maes, dans nos écoles, il y a encore trop de pressions scolaires, les jeunes ont peur de s’exprimer et on ne développe pas encore suffisamment les compétences sociétales et civiques, telles que certaines écoles à pédagogie active le font. Cette pression scolaire, basée sur les évaluations et la rentabilité qu’elle cite comme une des sources du malaise des jeunes, est également relevée dans le magazine Sciences humaines : En ce qui concerne la légère augmentation des troubles psychiatriques dans les deux premières décennies du XXIesiècle, la pression scolaire et une peur de l’avenir suscitée par la question de travail (menace du chômage) ou les problèmes climatiques doivent être prises en compte[11]. Les parents eux aussi peuvent avoir un rôle à jouer : l’investissement des parents dans le développement de l’enfant est devenu une valeur essentielle, frisant parfois l’excès notamment avec une pression scolaire disproportionnée[12].

Les groupes de parole dans les écoles pourraient, entre autres[13], aider les jeunes à exprimer leurs émotions, mais ils ne sont pas encore très répandus aujourd’hui et ce sont souvent des initiatives locales. Faut-il les imposer à tous ? Ne devons-nous pas être prudents par rapport à ces groupes de parole ? Hélène Romano, psychologue, docteure en psychopathologie, s'appuie sur sa pratique et ses recherches pour démontrer que les groupes de parole en classe peuvent se révéler délétères. Ce qui est précieux, c'est d'offrir aux enfants des espaces de parole, en individuel ou par petits groupes, mais sans leur imposer de parler, comme on l'a trop souvent fait[14], affirme-t-elle. Elle prône plutôt que les écoles garantissent des occasions, des cadres de parole (dans l’école mais en dehors de la classe) que les enfants et adolescents peuvent investir à leur rythme.

Qu’en pensent les centres PMS ?

La généralisation de ces groupes a-t-elle du sens aujourd’hui et est-ce réalisable ? Qu’en pensent les centres PMS[15] ? Aline Pirlot[16], assistante sociale au CPMS libre de Dinant a accompagné, dans des groupes de parole, des jeunes avec des idées suicidaires, des idées noires, des questionnements douloureux par rapport à l’existence et à leur vécu personnel. Pour elle, la plus-value de ces groupes de parole, c’est la résilience entre jeunes, le partage d'expériences. C’est tout ce qui fait l'essence même du groupe de soutien, c'est de pouvoir se dire que l’on n’est pas tout seul à vivre des choses compliquées. Les partages d'expériences peuvent susciter aussi un espoir : telle personne s’en est sortie, elle a fait ça, c'est possible. Moi aussi je peux y arriver. Je n’avais jamais pensé à cette piste-là. Lorsque les jeunes se confient dans un espace sécurisé et encadré, il y a beaucoup de respect et les expériences de chacun partagées dans cet espace sont vraiment profitables pour chaque membre du groupe.

Pour Sophie De Kuyssche, directrice des CPMS au secrétariat général de l’enseignement catholique (SeGEC), qui fait, elle aussi, le constat que le malaise des jeunes persiste, les groupes de parole sont une solution parmi d’autres. Ils ne conviennent cependant pas à tous les élèves. Elle rappelle qu’être agent PMS c’est écouter la souffrance du jeune, essayer de détecter quelle est sa demande qui se dit à travers sa souffrance et mobiliser des ressources dans son environnement (familial, scolaire, autre) qui peuvent l’aider et le faire évoluer. Si une des solutions face à une problématique peut être de créer un groupe de parole, alors évidemment qu’il faut le mettre en place mais ce n’est pas la solution miracle à appliquer pour toutes les situations, affirme-t-elle.

Ne pas créer ces groupes de parole à la légère…

Selon la directrice des CPMS, mener un projet conjoint émanant des agents PMS et des éducateurs afin de créer des groupes de parole se fait déjà. Selon elle, si on décide de se lancer dans un tel projet, il faut le faire consciencieusement. Il ne faut pas piéger, par exemple, les jeunes dans des groupes de parole ou les faire venir sans qu’ils sachent dans quel cadre ils parlent. Il y a des règles à mettre dans le groupe de parole telles que la confidentialité. : Il ne faut pas prendre l’organisation d’un groupe de parole à la légère. Ce projet doit être mené par un professionnel avec un objectif précis, avec un cadre, avec des échéances connues des jeunes.

Certains groupes de parole à l’école[17] donnent un temps institué et régulier de parole aux élèves dans un cadre sécurisé, en présence d’un adulte qui peut donner un fil conducteur et des informations plus théoriques par rapport à la santé mentale ou au bien-être. Un temps pour exprimer son ressenti et ses émotions par rapport à ce que l’élève vit non seulement à l’école, mais aussi en dehors de la sphère scolaire. Si nous imaginons systématiser des groupes de parole dans les écoles, comment l’institution scolaire pourrait-elle s’organiser pour ajouter cela à tout ce qu’elle a déjà à assumer ? Les grilles-horaires sont déjà tellement chargées, est-ce réaliste ? Pour les CPMS, les écoles ont déjà beaucoup à assumer et il ne faut pas systématiser la mise ne place des groupes de parole. Ce choix dépend de chaque école et de chaque contexte.

Pistes et conclusion

Les CPMS estiment qu’il faut privilégier le préventif plutôt que le curatif et que les groupes de parole sont une bonne manière de faire de la prévention, mais qu’ils ne sont pas la seule solution pour contrer le malaise des jeunes et qu’ils ne conviennent pas à tous les élèves selon les contextes. Si on veut être dans le préventif, il faut aussi valoriser tous les lieux que les jeunes peuvent fréquenter et qui peuvent leur apporter du sens et du bien-être : les clubs de sport, les mouvements de jeunesse, les écoles de devoirs, les académies de musique, etc. Il ne faut donc pas agir seulement dans les écoles, mais également dans ces lieux d’activités. La valorisation du secteur de l’enfance et de la jeunesse devrait être réfléchie et être un véritable choix politique. L’UFAPEC va dans ce sens et soutient les projets qui touchent au bien-être des élèves à l’école[18].

Pour l’UFAPEC, l’expression des jeunes est essentielle à l’école. Elle doit se concevoir non seulement via les instances représentatives telles que les délégués des élèves[19], mais également dans la vie quotidienne de chacun d’eux. Promouvoir l’expression de soi, le partage de ses idées, de ses émotions et de ses sentiments, pouvoir être à même de ressentir de l’empathie envers ses pairs, que cela soit dans le cadre des cours ou en dehors, dans un cadre sécurisé, relève d’un enjeu scolaire et sociétal essentiel. Ceci rejoint les recommandations du Réseau prévention harcèlement (RPH ), dont l’UFAPEC fait partie, quant aux compétences à maitriser et qui doivent figurer dans le référentiel des futurs enseignants. Le RPH insiste sur l’importance de dispenser un programme le plus complet possible pour renforcer des compétences à la fois au niveau cognitif, mais aussi émotionnel et social. Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement d’enseigner ces compétences aux élèves, mais également de les renforcer auprès des enseignants eux-mêmes, car c’est leur posture qui servira de modèle aux élèves[20].

Pour l’UFAPEC, les groupes de parole peuvent être un outil de prévention intéressant à mettre en place face au malaise des élèves. Ceci rejoint d’ailleurs ce que prévoit le Pacte pour un enseignement d’excellence. En effet, afin de développer la qualité de vie à l’école, celui-ci préconise de développer dans chaque établissement des espaces de parole[21].

Néanmoins, pour l’UFAPEC, la décision de créer des groupes de parole et la manière dont ces groupes vont s’organiser au sein des écoles doivent être discutés en conseil de participation et surtout avec les principaux intéressés : les jeunes. Ces groupes de parole doivent pouvoir être créés, ou non, en fonction de la spécificité de chaque école et dans l’intérêt, l’épanouissement, les préoccupations de tous les élèves. L’objectif est toujours de viser le bien-être nécessaire à un parcours de réussite scolaire.

 

France Baie

 


[1] BAIE F., COVID 19 : La santé mentale de nos ados est-elle malmenée ? -analyse UFAPEC n°15.20 -décembre 2020 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/1520-covid-malaise-ados.html

[2] NATIONS UNIES – Convention relative aux droits de l’enfant – entrée en vigueur le 2 septembre 1990 - https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-rights-child#:~:text=Article%2016-,1.,immixtions%20ou%20de%20telles%20atteintes.

[3] BAIE F., COVID 19 et santé mentale de nos enfants - échos de notre table ronde du 14 octobre 2021 in Les Parents et l’école n°113 – UFAPEC – décembre 2021 -janvier -février 2022 – pp. 4 et 5.

[4]  UNICEF, Rapport des enfants et des jeunes concernés par la santé mentale en Belgique, Rapport « What Do You Think ? », UNICEF Belgique, 2022. - https://www.unicef.be/sites/default/files/2022-06/Rapport%20What%20do%20you%20think%202022%20FR%20LR.pdf

[5] Selon l’OMS, la santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté - https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/mental-health-strengthening-our-response

[6] Cette enquête a été menée auprès des élèves scolarisés de la 5e primaire à la fin du secondaire en Belgique francophone - https://sipes.esp.ulb.be/publications/enquete-hbsc-2022

[8] Interview de Sophie Maes par France Baie, le 12 février 2024.

[9] Les psychologues de première ligne rendent les soins psychologiques plus accessibles, tant au niveau des démarches qu’au niveau du prix  -https://www.inami.fgov.be/fr/professionnels/professionnels-de-la-sante/psychologues-cliniciens/dispenser-des-soins-psychologiques-de-premiere-ligne-ou-specialises-via-un-reseau-de-sante-mentale

[10] IEDRS – Institut européen pour le développement des relations sociales – Les cours d’empathie aux écoles secondaires : source de qualité de vie au travail – 23 janvier 2017 - https://www.iedrs.com/cours-dempathie-aux-ecoles-scandinaves-source-de-qualite-de-vie-travail/

[11] FALISSARD B., Des adolescents en souffrance ? – Grands dossiers n°72 – septembre -octobre-novembre 2023 - https://www.scienceshumaines.com/des-adolescents-en-souffrance_fr_46445.html

[12] Idem.

[13] L’expression théâtrale, par exemple, peut aussi être intéressante pour exprimer des émotions, parler autour d’un sujet ou apprendre à être empathique. Voir l’analyse : BAIE F., Expression théâtrale à l’école : un plus pour la citoyenneté et la confiance en soi ? , analyse UFAPEC n°04.24 – 18 mars 2024 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0424-expression-theatrale.html . Les projets liés au bien-être sont également à encourager. Voir Floor A. et PREVOST B., Mettre le bien-être et la réussite des élèves au cœur de nos priorités, analyse UFAPEC n°31.18, décembre 2018 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/3118-bien-etre-eleves.html. Les soft skills ont également les mêmes objectifs. Voir LORIERS B, Les soft skills devraient-elles s’apprendre davantage à l’école ? , analyse UFAPEC n°05.24, mars 2024 - https://www.ufapec.be/nos-analyses/0524-soft-skills.html

[14] YAPAKA – La nécessité d’espaces de parole avec les enfants pour penser les questions difficiles qui les touchent - https://www.yapaka.be/video/video-la-necessite-despaces-de-parole-avec-les-enfants-pour-penser-les-questions-difficiles .

[15] Les PMS ont pour mission, entre autres, d’assurer à tous des chances égales d'accès à l'émancipation sociale, citoyenne et personnelle -  http://www.enseignement.be/index.php?page=24633#missions

[16] Interview d’Aline Pirlot, effectuée par Anne Floor, Les groupes de parole dans les écoles secondaires dans la revue de l’UFAPEC - Les Parents et l’École n°115 de juin-juillet-août 2022, pp. 18 et 19.

[17] Ibidem.

[19] LORIERS B., La délégation d’élèves, un exercice pour la pratique démocratique à l’école ?, analyse UFAPEC n°12.19, août 2019, https://www.ufapec.be/nos-analyses/1219-delegues-eleves.html

[20] Recommandations du RPH pour l’ARES, octobre 2022 - https://drive.google.com/file/d/1BQ-i7XbH5dgDh4KqU1JHzetEAU0YdFdc/view

[21] Pacte pour un enseignement d’excellence, Avis n°3 du Groupe central, 7 mars 2017, p. 297 - http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=14928&do_check=RRGYKNCGHJ

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