Tranche de vie d'une enseignante référente pour les élèves à besoins spécifiques dans une école d'enseignement secondaire général et technique de transition avec un internat
Contexte : cette enseignante bénéficie depuis la rentrée 2018-2019 de 8 heures dans son horaire habituel de cours pour assurer la nouvelle fonction de personne référente pour les élèves à besoins spécifiques de la 1e à la 6e secondaire - 04/11/2018
Quelle a été ta première action ?
Les dossiers des élèves étaient, dans le meilleur des cas, rangés dans une farde. J’ai donc commencé par lire tous les dossiers et cherché dans chacun d’eux quels étaient les aménagements souhaités. J’ai ensuite établi une fiche par élève : nom de l’élève, nom du ou des troubles et les aménagements souhaités par les professionnels de la rééducation. Cette fiche a été photocopiée et distribuée à tous les enseignants de chaque élève concerné. Il y a environ 150 dossiers EBS sur 1100 élèves mais je n’ai su établir qu’une soixantaine de fiches avec les aménagements, les 90 autres dossiers sont incomplets et j’ai repris contact avec les parents pour recevoir les infos. Nous sommes à la veille des vacances de Toussaint et j’attends toujours des réponses des parents.
Comment se passent les relations avec les collègues, la direction et les parents ?
Ce qui m’a facilité la tâche, c’est que je suis dans l’école depuis vingt ans et que mes collègues me connaissent. Je suis partie de la réalité de mon école pour mettre en place cette nouvelle fonction. J’ai rencontré les parents, les élèves, les enseignants. Je suis passée me présenter dans toutes les classes. Lors des réunions avec les parents, ceux-ci ont la possibilité de me rencontrer s’ils le souhaitent. Je suis extrêmement bien accueillie par mes collègues, je reçois leur soutien. Les enseignants de mathématiques et sciences sont venus me demander des conseils, alors que je ne suis pas enseignante de ces matières à la base. Ma sous-directrice a présenté ainsi ma fonction aux enseignants : 1. C’est la loi : il est obligatoire de mettre en place des aménagements raisonnables pour les élèves à besoins spécifiques. 2. Votre collègue est là pour vous aider.
Il y a juste les enseignants plus âgés que moi (mais je fais quand même partie des anciennes) et les hommes qui ne viennent pas encore vers moi.
J’ai aussi élaboré un google docs pour chaque enfant avec les difficultés rencontrées et les aménagements possibles (remédiation…) ; c’est une sorte de PIA partagé avec les enseignants, la direction, le ou la titulaire, les enseignants des branches pour lesquels l’élève éprouve des difficultés, les profs de remédiation et le CPMS.
Je me suis aussi dit que ces aménagements leur prenaient du temps et que je voulais les aider, être utile pour eux. J’ai donc créé un google docs avec des ressources de méthodes d’apprentissage différentes. J’ai imprimé et plastifié les fiches outils à destination des enseignants publiées par la Fédération Wallonie-Bruxelles[1] et je les ai affichées dans la salle des profs et dans mon local. Je leur ai également donné la possibilité d’emprunter mes livres personnels en ouvrant une mini-bibliothèque dans mon bureau.
Avec le CPMS ?
Au début, le CPMS avait peur de ne pas bien nous répartir nos rôles spécifiques et se posait la question également de mon « statut », car je ne suis pas contrainte comme eux par le secret professionnel. Nous nous sommes donc réunis pour nous répartir les fonctions et avons décidé de nous rencontrer toutes les deux semaines pour faire le point sur les élèves que nous suivons. Je leur envoie les élèves qui ont besoin d’un conseil pour leur diagnostic ou d’un suivi plus « psy » et eux m’envoient les élèves qui ont besoin d’aménagements. Nous avons eu de beaux échanges et nous sentons qu’en travaillant ensemble, nous allons faire bouger les mentalités.
Avec l’internat
Quand les élèves sont des internes, je partage la feuille des recommandations avec le responsable de l’internat et je lui fais des demandes pour qu’on privilégie le travail en chambre pour certains, qu’on leur prévoit une pause-goûter plus tard s’ils ont dû suivre une remédiation après 16h., etc. J’envoie également des élèves internes auprès des profs de méthodologie après 16h. et je leur demande un suivi.
Qu’est-ce qui t’a le plus étonnée ?
- Premièrement, que les demandes d’aménagements étaient dans des fardes que les profs ne consultaient jamais et donc que ceux-ci n’étaient pas mis en place.
- Je me suis aussi rendu compte qu’il y avait une croyance selon laquelle les aménagements mis en place allaient guérir l’élève de ses besoins spécifiques.
- Certains de mes collègues croient que je vais soutenir envers et contre tout les élèves à besoins spécifiques qui ne travaillent pas, car ils sont à besoins spécifiques. Comme si le fait qu’ils aient des troubles d’apprentissage soit un laissez-passer vers la réussite.
- Il y a aussi le discours ambiant du type « il y a 20 ans ou plus, on ne faisait pas tout cela pour ces élèves et il y en a de plus en plus », sous-entendu les parents trouvent des excuses aux élèves en demandant un diagnostic médical.
- Certains professeurs sont payés pour offrir des heures individuelles de remédiation en mathématiques par exemple (ces heures sont dans leur horaire de travail). Ils me disent : « ce n’est pas possible, cela ne marchera jamais, l’élève n’a même pas les bases de 6e primaire ». Cela ne leur semble pas évident que c’est leur rôle d’aider cet élève à acquérir ces bases.
Reportage réalisé par Anne Floor le 23 octobre 2018.