Les pôles territoriaux, des structures pour faire évoluer les mentalités

Version longue de l'article "Les Parents et l'Ecole" n°119 - juin, juillet, août 2023 p.7-8

Lors d’une réunion de la plateforme des parents d’élèves à besoins spécifiques, nous avons rencontré Séverine Sol, coordonnatrice du pôle territorial inter-niveaux de Philippeville. Lors de cette rencontre, le 18 avril 2023, nous lui avons posé plusieurs questions pour mieux comprendre le fonctionnement des pôles territoriaux et les impacts de la présence de ces structures dans notre système scolaire.

Avant de commencer, Séverine Sol a rappelé que nous ne sommes qu’au début des pôles territoriaux (décret de 2021 et constitution des pôles en 2022). L’organisation des pôles et la diversité des réalités de terrain (leur taille, leur situation géographique…) font que tous les pôles ne fonctionnent pas totalement de la même manière. Le dispositif des pôles est tout jeune, il est mis en place depuis septembre 2022. Cela demande la coordination et l’ajustement de nouvelles compétences. Avec moins d’un an de fonctionnement, il est difficile d’avoir un recul objectif sur les pratiques.

Dans le fonctionnement des pôles, y a-t-il une structure et une ligne commune ?

La ligne commune est définie par le décret[1]. Toutefois, selon les réseaux ou les PO, la façon d’organiser les choses sera sensiblement différente. Pour le SeGEC[2], les coordonnateurs de pôles ont reçu une formation commune l’an dernier.

La liberté donnée aux pôles permet-elle de réellement s’adapter aux besoins de la zone ?

A mon sens, oui. Elle nous permet de prendre le pouls sur le terrain, en écoutant et en créant du lien avec les équipes éducatives, les directions et les centres PMS. Bien entendu, un pôle n’est pas l’autre et son fonctionnement dépend entre autres du nombre d’écoles coopérantes. Certains pôles œuvrent uniquement dans le fondamental, d’autres dans le secondaire, d’autres encore sont inter-niveaux, comme le nôtre.

Les pôles ont-ils des contacts entre pôles des différents réseaux ?

Actuellement, nous avons peu de contacts avec les pôles des autres réseaux. Quelques rencontres ont été initiées par les centres PMS qui nous ont invités à des réunions communes.

Auparavant, les projets d’intégration impliquaient davantage la collaboration d’écoles parfois issues de réseaux différents. Toutefois, avec les pôles, le projet du jeune reste au centre et les contacts entre pôles de réseaux différents s’établiront lorsque le jeune sera amené à changer d’établissement, par exemple lors de la transition primaire-secondaire. Notons qu’il existe des pôles inter-réseaux mais ils sont peu nombreux.

Est-ce qu’il y a un organe qui supervise les pôles ?

Le plus gros organe est la FWB, l’Administration, ensuite ce sont les réseaux. Paul-André Leblanc et Ludivine Halloy accompagnent les coordonnateurs des pôles du SeGEC.

Pourquoi et comment êtes-vous sollicités par les écoles ?

Selon la procédure habituelle, la direction de l’école ordinaire prend contact avec nous.

Il arrive que les enseignants sollicitent directement le pôle, dans ce cas, on informe toujours la direction de l’école. Il est nécessaire de comprendre la situation avant d’entrer en action. Souvent, on nous appelle pour des cas bien précis d’élèves en difficulté ou encore pour des bilans compliqués à appréhender.

Quand ce sont les parents qui interpellent le pôle, est ce que cela risque de tendre la situation ?

On ne ferme pas la porte aux parents. Quand ils nous appellent, nous les renvoyons vers la direction de l’école qui est notre interlocuteur privilégié. Nous invitons les différents intervenants à prendre de la distance, mettre l’émotionnel de côté et revenir sur les faits. Ce qui n’est bien sûr pas toujours évident.

Comment organisez-vous votre aide au sein des écoles et répartissez-vous le temps d’accompagnement auprès des élèves ?

Lorsqu’une école formule une demande, l’idée est d’aider l’enseignant à identifier les obstacles aux apprentissages, les prioriser et déterminer les moyens pour les lever.

On peut mettre du matériel à disposition, l’installer en classe ou encore laisser l’enseignant se l’approprier. Tous les membres du pôle doivent prester 36 périodes. Cela comprend le travail face à l’élève, le travail collaboratif, de formation, les réunions d’équipe, la préparation des projets, la réalisation du matériel.

Dans notre pôle, l'équipe est composée de 13 personnes : 6 logopèdes, 4 enseignants, 2 ergothérapeutes et 1 psychologue. Tous mes collègues assurent l’accompagnement d’élèves en intégration ainsi que les missions relatives à la mise en œuvre des aménagements raisonnables. On veut rester des gens de terrain, avec une posture d’accompagnant.

Avez-vous des écoles spécialisées partenaires de type 1, 2 et 3 ?

Oui.

Accompagnez-vous dans les écoles ordinaires des élèves relevant de ces types ?

Principalement des élèves relevant des types 1 et 3. Cette année, nous suivons un élève relevant du type 2, avec TSA[3]. La réflexion se fait collégialement, avec les parents et l’école et cela se passe bien.

Quelle collaboration avec l’école dans le cadre de l’intégration : c’est le pôle ou une école spécialisée qui assure l’accompagnement ? Quelle est la responsabilité de chacun dans ce processus ?

La mise en place des pôles a bousculé l’organisation des écoles spécialisées pour l’accompagnement des élèves en intégration. Progressivement, les pôles seront à la manœuvre pour la gestion des IPT. Pendant la période transitoire (5 ans), les écoles spécialisées peuvent décider chaque année de les céder ou non aux pôles. L’école ordinaire est responsable de la certification de l’élève tandis que le pôle se doit d’accompagner au mieux l’élève dans son parcours.

Votre pôle a-t-il des projets pour l’intégration d’élèves relevant de l’enseignement de type 2 ? Par exemple, les élèves X-Fragile cumulent des besoins. Peuvent-ils rejoindre l’enseignement ordinaire ?

Il faut trouver les bons partenaires, travailler en amont du projet, anticiper les défis. Parmi nos écoles, au sein d’une équipe très ouverte sur la question de l’inclusion, nous accompagnons le passage d’un élève trisomique en 3e primaire. On saisit ici l’importance d’accorder les attentes des différents acteurs qui gravitent autour de l’élève.

Comment cela se passe pour un élève qui (re)vient dans l’enseignement ordinaire en intégration et que l’équipe du pôle ne comporte pas le profil de professionnel nécessaire ou le pôle n’a pas une école spécialisée partenaire compétente (type correspondant) pour l’accompagnement de l’élève ?

Comme déjà dit précédemment, quand il y a un projet d’intégration, il est réfléchi et préparé. On va donc s’assurer de pouvoir répondre au projet et aux besoins de l’élève. Si nécessaire, on pourrait renvoyer les parents vers un autre pôle. On s’adapte aux demandes. On n’est plus dans le même système qu’avec l’intégration où l’élève devait être suivi par une école spécialisée organisant le type dont il relève. Le pôle fonctionne avec une équipe pluridisciplinaire et des écoles spécialisées partenaires, il peut donc plus facilement répondre à la diversité des demandes.

Par exemple, pour les élèves ayant un handicap sensoriel, le pôle va se diriger vers les partenaires compétents selon les demandes.

Comment se passe la collaboration entre le pôle territorial et les éventuelles associations qui accompagnent l’élève en classe ou en dehors comme Cœur à corps, l‘ASBL Roméo, l’APEDAF… ? Quels conseils donneriez-vous à ces associations pour une bonne collaboration ?

On a déjà eu l’occasion de travailler avec certaines de ces associations. Il s’agit de remettre l’accent sur les bonnes pratiques, se centrer autour de l’élève, croiser les regards. Il faut encourager et soutenir le fait que tout le monde se mette autour de la table au bénéfice du projet de l’élève. C’est le bon sens et la cohérence qui doivent guider le travail du pôle.

Si l’école ordinaire n’est pas collaborante, comment peut-on faire un recours en tant que parent ?

Tout d’abord, il faut savoir que le pôle n’est pas un organe de pression ou de contrôle des écoles. Nous venons en soutien aux écoles de l’enseignement ordinaire pour la mise en place d’aménagements raisonnables (AR) et pour les intégrations. Si une école est peu collaborante avec les parents, elle le sera aussi avec le pôle. Il faut travailler sur le dialogue et la confiance pour dénouer ces blocages, prendre le temps d’en identifier les raisons.
D’un autre côté, les organisations représentatives des parents peuvent également informer sur les organes à consulter en cas de recours.

Mais ce n’est pas si simple. Parfois, les parents n’ont pas du tout de levier quand l’école laisse traîner les choses. Cet immobilisme provoque une perte de confiance de l’élève.

Le décret AR[4] a poussé les établissements à s’impliquer davantage pour les élèves à besoins spécifiques, mais les moyens n’y étaient pas. Cela a provoqué encore plus de blocages auprès de certaines équipes qui se sont senties dépassées. Le pôle a ce rôle-là aussi, de mieux huiler les rouages, de dédramatiser les AR, d’encourager à la généralisation des aménagements qui rencontrent les besoins de plusieurs élèves d’une même classe, de soutenir les équipes. La disparition des intégrations temporaires totales (ITT) qui a coïncidé avec l’arrivée des pôles a également généré pas mal de tension au sein des écoles.

Sur le long terme, un changement de posture des enseignants devrait s’amorcer. Cela va prendre du temps, mais progressivement, les équipes seront moins frileuses sur ces questions. Dans tous les cas, il est nécessaire de prendre de la hauteur, de nuancer. Ainsi, il serait bon de s’intéresser aussi aux situations qui sont débloquées, de savoir pourquoi et comment. Privilégier le factuel en s’écartant de l’émotionnel permettra à l’enseignant de se recentrer sur ses compétences d’enseignant.


Voici 4 exemples qui illustrent nos différentes collaborations.

Exemple 1

Un directeur nous interpelle car un SAJAS[5] souhaite intervenir en classe pour un élève. L’école exprime ses réticences et retarde l’intervention du service. La situation s’est débloquée au terme d’une rencontre que nous avons organisée entre la direction et les membres du SAJAS où chacun a pu expliciter ses objectifs de travail, ses craintes ou encore ses exigences.

Exemple 2

Un centre PMS qui a initié une rencontre avec notre pôle pour échanger sur nos missions et actions respectives nous a ensuite introduit auprès d’une de nos écoles coopérantes. Cette école n’avait pas encore fait appel à nous. La collaboration avec les centres PMS est précieuse. D’une part, nos observations respectives et nos actions sur le terrain se complètent. Par ailleurs, les centres PMS travaillent de longue date avec leurs écoles, leur connaissance du fonctionnement des établissement peut éclairer les pôles qui débutent la collaboration.

Exemple 3

Les enseignants d’une école sollicitent notre pôle pour observer et objectiver la situation d’un jeune élève qui présente une maladie génétique. La situation inquiète particulièrement l’équipe qui pointe les retards développementaux de l’élève. Au terme de plusieurs réunions, les différents acteurs qui gravitent autour de l’élève (parents, paramédicaux, enseignants) ont pu croiser leurs regards, échanger sur les progrès de l’enfant, préciser leurs attentes et définir des objectifs communs à tous. Le profil que chacun avait esquissé s’est enrichi au fil des rencontres, ce qui a permis aux enseignants de remettre leurs attentes en perspectives, de les nuancer et d’apaiser leurs craintes.

Exemple 4

L’UFAPEC a été interpellée par la maman de Blandine qui se trouve en grande difficulté en 1e primaire. Les constats et les propositions présentés lors d’une première réunion n’étaient pas recevables par la famille qui avait l’impression que l’enseignante se concentrait uniquement sur le décalage dû au retard pédagogique de Blandine. Cette annonce tombait aussi de manière abrupte car Blandine faisait beaucoup d’efforts à la maison et était suivie par des intervenants extérieurs. L’UFAPEC a pris contact avec le SeGEC et obtenu mes coordonnées. Après une longue discussion avec l’UFAPEC, une nouvelle réunion a été organisée avec les parents et la communication a pu se rétablir progressivement. Chacun a mieux compris le point de vue de l’autre. L’enseignante adaptait déjà beaucoup en classe, mais le manque d’autonomie de Blandine l’impactait fort. Un protocole AR a été établi avec l’appui du pôle pour soutenir au mieux Blandine en 1e primaire et le pôle a accompagné l’enseignante très concrètement : observations en classe, croiser les regards, déterminer les principaux obstacles aux apprentissages, choix d'AR cohérents pour lever ces obstacles, soutien pour la mise en place des AR, évaluations de l'impact des AR, réajustements si nécessaire.


 

Mon constat est que ces situations reflètent bien le caractère polymorphe de nos missions.

En effet, celles-ci ne se limitent pas à l’accompagnement des enseignants pour la mise en œuvre d’AR dans leurs classes. Une partie de nos actions vise également à créer et assurer le lien entre les différents partenaires qui gravitent autour de l’élève à besoins spécifiques. La construction de ce lien implique du respect, de la fluidité dans les échanges pour croiser au mieux les différents regards et s’accorder sur un « portrait » global et contextualisé du jeune.

Que se passe-t-il quand un pôle n’a pas les intervenants pour répondre à certains besoins, n’est pas compétent pour accompagner les élèves avec des troubles sensoriels ?

Le pôle s’attelle à chercher les collaborations, à coordonner les aides. Il va donc s’assurer de pouvoir répondre au projet et aux besoins de l’élève. Par exemple, notre pôle a été amené à prendre le relais de l’IRSA[6] lors du passage au secondaire d’un élève malvoyant. Nous collaborons avec les ASBL qui accompagnent le jeune au niveau des outils et du matériel. Le pôle s’occupe de l’aspect pédagogique et coordonne les forces vives.

 

Alice Pierard et Anne Floor

 

[1] Décret portant sur la création des pôles territoriaux du 17 juin 2021, intégré dans le code de l’enseignement

[2] Secrétariat général de l’enseignement catholique

[3] Trouble du spectre autistique

[4] Décret "Aménagements raisonnables" du 7 décembre 2017, intégré dans le code de l’enseignement

[5] Service d’Accompagnement pour Jeunes en Âge Scolaire, anciennement Service d’Aide à l’Intégration

[6] Institut royal pour sourds et aveugles, école spécialisée située à Bruxelles

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